La « clinique du siège » de l’hôpital Érasme, à Bruxelles, prend en charge les patientes et les couples dont le bébé se présente en siège au-delà de 36 à 37 semaines de grossesse (ce qui survient dans 3 % des cas). Son histoire a commencé en 2016. La docteure Sara Derisbourg, obstétricienne, travaillait depuis octobre 2015 à la maternité de l’hôpital universitaire Érasme de Bruxelles, avec une de ses consœurs, la professeure Caroline Daelemans.
UN PARCOURS DÉDIÉ
« Nous avons constaté qu’il y avait vraiment beaucoup d’accouchements par césarienne de bébés se présentant en siège, alors que nous venions toutes les deux d’un autre hôpital où nous étions habituées à une pratique différente, raconte-t-elle. En 2016, avant la mise en place du parcours dédié, les primipares dont le bébé était en siège accouchaient à 88 % par césarienne et ce chiffre était de 77 % pour les multipares à Bruxelles (1). Tout confondu, il n’y avait que 4,3 % d’accouchements par voie basse à Érasme avant l’implémentation de la clinique du siège. » Autre constat de l’équipe : un manque d’information des patientes sur les options qui s’offraient à elles pour leur accouchement.
La professeure Daelemans a alors décidé de mettre en place un « trajet de soins » afin d’accompagner les futures mères dans les processus décisionnels, avec une information détaillée et éclairée sur l’accouchement en siège et la mise en place de protocoles basés sur des recommandations internationales. « L’objectif principal de la clinique du siège est d’offrir aux patientes des informations sur toutes les options qui s’offrent à elles, mais également de leur proposer ces différentes possibilités », souligne la docteure Sara Derisbourg, qui a repris le pilotage de la clinique après le départ de sa collègue.
L’hôpital réalise environ 2000 accouchements chaque année. Il encourage l’accouchement physiologique et dispose d’une maison de naissance adossée à l’hôpital, Le Cocon. La mise en place d’un accueil dédié pour les accouchements de bébés positionnés en siège a donc été une avancée plutôt bien accueillie par les équipes d’Érasme.
VERSION PAR MANŒUVRE EXTERNE
Concrètement, le « trajet de soins » prévoit un accompagnement avant et pendant l’accouchement avec des équipes spécialisées. À l’échographie du troisième trimestre, le médecin propose d’office un rendez-vous de contrôle de la position fœtale si le bébé est en siège, ce qui n’était pas réalisé de manière systématique auparavant.
Pendant ce rendez-vous, une version par manœuvre externe est proposée. Son déroulement, ses avantages et ses risques sont discutés avec la patiente ou le couple et un rendez-vous est organisé en fonction de leurs souhaits. « La version est bien documentée dans la littérature scientifique. On palpe le bébé à travers le ventre de la patiente et on essaie de le retourner en soulevant ses fesses et en le faisant basculer progressivement. Cela fonctionne dans 40 à 50 % des cas et cela comporte très peu de risques », détaille l’obstétricienne.
Si le bébé ne se retourne pas lors de la version, un accouchement pas voie basse peut malgré tout être proposé. « Les patientes ont un rendez-vous pour une radio du bassin le jour de la version, sauf si elles veulent absolument une césarienne. Mais en général, elles sont d’accord pour en discuter et intéressées pour faire une radio du bassin. On les revoit ensuite pour parler des résultats et aborder le sujet de l’accouchement, soit par voie basse soit par césarienne. Dans de rares cas, la voie basse est contre-indiquée », souligne la docteure Derisbourg.
PRÉPARATION SPÉCIFIQUE
Plusieurs autres rendez-vous peuvent être fixés selon les besoins du couple, par exemple des préparations spécifiques à la naissance avec une sage-femme dédiée, ou d’autres rendez-vous de suivi médical ou d’information. Deux sages-femmes sont spécifiquement formées pour l’accompagnement de ces patientes : Martine Pierreux et Marie Trullemans.
Avec ses 33 ans de carrière, Martine Pierreux fait partie des sages-femmes très expérimentées. « J’accouchais régulièrement des sièges par voie basse dans les années 90, se souvient-elle. L’étude d’Hannah est sortie sur le fait d’accoucher ces patientes par césarienne (2). Elle n’a pas été très bien interprétée et depuis lors, les accouchements par césarienne ont pris le pas sur les accouchements par voie basse lorsque le bébé est en siège. »
Lors des séances de préparation à la naissance en siège, les patientes ont déjà rencontré l’obstétricienne, qui leur a donné les informations sur les risques d’un accouchement en siège, les pourcentages de complications, etc. « Les mamans ont déjà eu une préparation quasi complète à la naissance, donc pour ne pas les assommer, je fais la préparation siège en une séance, d’une heure à une heure et demie, toujours -individuelle », indique Martine Pierreux. Deux plages horaires sont prévues dans sa semaine, adaptées en fonction de la demande.
La préparation se déroule en deux parties. « D’abord, j’écoute ce qu’elles ont entendu et compris, et j’essaie d’évaluer leur envie d’accoucher par voie basse. En effet, c’est parfois leur maman ou leur mari qui voudrait un accouchement de ce type, mais dans ces cas-là, ça ne fonctionne pas ! », insiste la sage-femme. Elle leur explique ensuite le trajet de soins. « Nous ne sommes pas des illuminées. Notre but est d’avoir une maman et un bébé en bonne santé et nous ne sommes pas plus payées s’il y a beaucoup de patientes à la clinique du siège ! », plaisante-t-elle.
Lors de la préparation, elle aime utiliser l’image du périphérique pour qualifier le travail en siège. « Sur le périphérique parisien par exemple, à 2 h du matin, ça roule bien. C’est ce que j’appelle le feu vert. À 9 h du matin, il y a des ralentissements, c’est le feu orange. Et s’il y a carambolage, c’est le feu rouge et là on va proposer la césarienne. Ces images parlent aux patientes, car nous en recevons de toute la Belgique et il y a un “ring” dans toutes les grandes villes, explique Martine Pierreux.Il y a des patientes qui sont adressées chez nous depuis Mons, Charleroi, et même de Flandres, parce que nous avons une expertise reconnue dans le domaine. »
« Ensuite, je leur explique le trajet de soins, je leur dis qu’il y a des choses pour lesquelles on est intransigeantes, comme le monitoring pendant tout le travail, en continu, et la pose d’un cathéter dans la veine au cas où nous devrions intervenir. Malgré cela, elles sont libres de leurs mouvements et peuvent aller dans le bain. Nous disposons de trois chambres d’accouchement avec une piscine et d’une autre dans le couloir. Quand elles vont dans le bain, elles peuvent se mettre sur le côté, à quatre pattes. Elles ne doivent pas forcément rester en position semi-assise. Nous avons des grands coussins, style coussins d’allaitement spéciaux pour l’eau », développe-t-elle.
La sage-femme effectue ensuite les exercices pratiques avec les patientes. « Je leur apprends à bien se mobiliser. Je leur explique que le bassin est un tunnel, mais qu’on peut gagner des millimètres par-ci par-là pour agrandir l’espace et permettre au bébé de s’engager, de descendre et de sortir. On essaie de faire en sorte que les patientes bougent le plus possible, même lors de l’expulsion », raconte-t-elle.
Les papas ne sont pas oubliés. « Sur 10 préparations, j’ai 7 papas qui sont là. Ils peuvent ainsi imaginer leur place pendant l’accouchement. On essaie de leur trouver une place, soit à côté de leur épouse, soit dans le lit avec elle. On installe le papa dans le fond du lit, confortablement. Son épouse est dans ses bras si elle est en position gynécologique, ou pose sa tête sur sa cuisse si elle est en latéral. Si elle est sur un ballon, Monsieur est à côté. Le fait de mettre le papa dans le lit rassure tout le monde, car la maman n’a pas peur que Monsieur voie quelque chose qu’elle ne veut pas qu’il voie et le papa ne craint pas de s’évanouir sur le sol ! », s’amuse-t-elle.
« Je termine en leur décrivant la césarienne, au cas où elles devraient en avoir une. J’explique aussi comment va se passer le peau-à-peau, ainsi que le fait que nous réalisons d’office un clampage tardif. Même si c’est un acte chirurgical, nous essayons de faire en sorte que ça ressemble à un accouchement voie basse. On fait le clampage tardif même chez les prématurés, car des études ont montré que cela leur était bénéfique », ajoute-t-elle.
DES OBSTÉTRICIENS ENTRAINÉS
Pour l’accouchement, une équipe de garde dédiée et experte est disponible chaque jour afin de proposer une prise en charge optimale. « Il y a une ligne de rappel avec des obstétriciens qui font tous des accouchements de siège, reprend la docteure Derisbourg. Nous sommes 7 obstétriciens à faire des versions, mais seulement 5 à faire les gardes. Les deux plus jeunes ne font pas de gardes siège. La nuit, elles appellent toujours en renfort. L’objectif est d’avoir toujours des personnes expérimentées. »
En salle d’accouchement, toutes les sages-femmes du service, qui en compte une vingtaine, peuvent être amenées à accompagner les patientes accouchant en siège. Le service compte 3 sages-femmes par tranche horaire : 3 le matin, 3 l’après-midi, et 3 la nuit. « Mais certaines sages-femmes sont plus à l’aise et plus motivées que d’autres et nous voulons que les personnes gardent un bon feeling dans le service. Si une professionnelle n’est pas à l’aise avec le siège, c’est une collègue qui prend la patiente », insiste la docteure Derisbourg.
« Nous avons un protocole strict, basé sur le travail d’une sage-femme anglaise, Shawn Walker, et d’une gynécologue allemande, Anke Reitter (3). Quand les fesses sont fixées, le bébé doit naître dans les sept minutes. S’il ne sort pas, à ce moment-là on doit faire des manœuvres. Le plus fréquemment, elles sont effectuées pour dégager les bras et la tête. Notre particularité, à la maternité d’Érasme, est de proposer aux patientes qui le souhaitent d’accoucher à quatre pattes en “upright position” quand le bébé est en siège. On les laisse assez libres dans le choix de leur position d’accouchement. J’ai déjà accouché des sièges, à quatre pattes, debout, couchées, etc. À Francfort, ils font des accouchements de siège à quatre pattes depuis plus longtemps qu’ici et ils ont publié de la documentation sur les manœuvres à faire dans cette position (4) », indique la médecin.
L’obstétricienne a organisé des formations pour que les sages-femmes soient bien informées et se sentent le mieux préparées possible. Elle s’est elle-même formée en se rendant en Angleterre auprès de la sage-femme Shawn Walker, au travers du Breech Birth Network, et l’a invitée à l’hôpital Érasme.
« Quelles que soient les précautions que nous prenons, nous savons que ce sont des accouchements avec plus de possibilités de complications précoces. Nous avons donc des protocoles qui reposent sur l’étude Premoda (5). Nous proposons une échographie systématique pour évaluer la position du bébé, plus précisément la position de ses pieds et la flexion de sa tête. Nous avons aussi des critères de poids. Nous regardons les proportions fœto-pelviennes avec une radio du bassin pour vérifier si le bébé est adapté à la largeur du bassin de la maman. Si la tête du bébé est bien fléchie et qu’elle présente un plus petit diamètre que le bassin de sa mère, il y a de grandes chances qu’il passe bien. Il y a aussi des critères un peu plus subjectifs, notamment de motivation de la patiente. Car si elle n’est pas partante ou qu’elle est trop stressée, le jour J cela ne va pas fonctionner d’accoucher par voie basse », souligne la docteure Derisbourg.
Durant toute la durée du travail, les patientes bénéficient d’un monitoring en continu pour vérifier que le bébé progresse régulièrement et qu’il supporte bien le travail. Par ailleurs, les professionnelles n’imposent pas de péridurale aux patientes. « C’est un peu à contre-courant des pratiques habituelles, car les recommandations belges prévoient toujours d’en proposer. J’explique aux patientes quels sont les avantages. Celles qui choisissent d’accoucher leur siège par voie basse sont souvent motivées par un projet d’accouchement physiologique et la péridurale n’entre pas dans ce projet », remarque-t-elle.
PLUS DE SIÈGES PAR VOIE BASSE
La clinique du siège a ouvert en 2016. Entre 2016 et 2018, elle a accueilli 115 patientes, puis entre 50 et 60 par an. Grâce à cet accompagnement dédié, le nombre d’accouchements de sièges par voie basse à l’hôpital Érasme est passé à 40 % en 2019, contre 4,3 % auparavant.
Les retours des patientes sont plutôt positifs. « Elles sont contentes qu’on leur offre toutes les options, qu’on prenne le temps d’en discuter avec elles, même si in fine elles accouchent par césarienne. Elles ont souvent l’impression que certains gynécologues ne se posent même pas la question, que c’est une césarienne et c’est tout. Grâce à la clinique du siège, elles sont plus accompagnées et se sentent plus écoutées », estime la docteure Derisbourg.
« Les sages-femmes sont contentes de pouvoir accompagner ces patientes. C’est un souhait des femmes de pouvoir accoucher comme ça. Pour nous, c’est un projet de service motivant et qui nous permet d’avancer », conclut Géraldine Wagemans, la sage-femme cheffe de service adjointe. La clinique du siège a reçu un label Health Standards Organization (HSO) l’année dernière, qui reconnaît la qualité de la prise en charge (6).
■ Anne-Gaëlle Moulun
Les chiffres des accouchements en siège en Belgique
La présentation par le siège à terme concernait 5,2 % des grossesses à Bruxelles en 2021*.
En 2021, la proportion de césariennes en Région bruxelloise (20,1 %) était plus faible qu’en Wallonie (22,4 %), mais avait légèrement progressé après quatre années sous la barre des 20 %.
En revanche, pour les bébés en siège, la proportion de césariennes grimpe à 86,8 % en 2021, contre 91 % en 2012.
La proportion d’accouchements voie basse parmi les enfants vivants en siège a augmenté au fil des années. Elle est passée de 9,1 % en 2012 à 14,8 % en 2017 avant de se stabiliser : 12,6 % en 2018, 13,4 % en 2019, 13,9 % en 2020 et 13,2 % en 2021.
Source : Virginie Van Leeuw, Charlotte Leroy. Santé périnatale en Région bruxelloise, Année 2021. Centre d’épidémiologie périnatale.
Pour en savoir plus :
(1) Chiffres du Centre d’épidémiologie périnatale, CEPIP, 2021 et 2016 : https://www.cepip.be/img/pdf/rapport_CEPIP_Bxl_2021-fr.pdf https://www.cepip.be/img/pdf/rapport_CEPIP_Bxl_2016-fr.pdf
(2) Hannah et al., 2000
(3) Practical insight into upright breech birth from birth videos: a structured analysis. Reitter A, Halliday A and Walker 2 (2020), Birth 47(2):211-219. doi.org/10.1111/birt.12480
(4) Does breech delivery in an upright position instead of on the back improve outcomes and avoid cesareans? Frank Louwen, Betty-Anne Daviss, Kenneth C Johnson, Anke Reitter, Int J Gynaecol Obstet . 2017 Feb;136(2):151-161. https://doi: 10.1002/ijgo.12033
(5) Mode d’accouchement des femmes avec une présentation du siège à terme dans l’étude Premoda (PREsentation et MODe d’Accouchement), M. Carayol, S. Alexander, F. Goffinet, La Revue Sage-Femme, Volume 3, Issue 3, 2004, Pages 142-149, ISSN 1637-4088,
https://doi.org/10.1016/S1637-4088(04)72216-6
(6)
https://healthstandards.org/fr/leading-practice/clinique-du-siege/