À Évian, les jeunes sages-femmes à l’honneur

Pour sa trentième édition, le Grand Prix Evian des sages-femmes, devenu un classique de la profession, a eu lieu au bord du lac Léman début octobre. Pour leur mémoire de fin d’études, les étudiantes ont majoritairement choisi des sujets d’actualité, qui illustrent les compétences et problématiques de la profession.

Le jury de la trentième édition. De gauche à droite : la sage-femme enseignante Stéphanie Paris, du département de maïeutique de l’UFR Santé Franche-Comté, Marianne Portmann, sage-femme hospitalière à Mulhouse et ancienne lauréate du Grand Prix Evian, Isabelle Vaast, vice-doyenne de maïeutique de l’Institut catholique de Lille, qui présidait le jury, Sandrine Brame, sage-femme hospitalière à Lens et élue au Conseil national de l’Ordre des sages-femmes, Claire Ramelli-Lamy, sage-femme libérale à Nancy. © Hervé Schmelzle, pour Evian

Comme chaque année, le Grand Prix Evian des sages-femmes, financé par le groupe Danone, a mis en avant les travaux de fin d’études des sages-femmes récemment diplômées. Les 5 et 6 octobre derniers, en compagnie d’une partie de la fine fleur de la maïeutique, les diplômées de la dernière promotion venues présenter leur mémoire ont passé deux jours dans un hôtel de luxe à Évian. Une expérience un brin anachronique à la veille de la manifestation du 7 octobre dernier pour défendre salaire, statut et conditions de travail des professionnelles de la périnatalité depuis trop longtemps malmenées. Si chaque invité y allait de ses prévisions, revendications et analyses de la situation, certaines anciennes étudiantes ont profité de leur temps de parole publique pour appeler à manifester. 

Reste que mettre à l’honneur les prémices de la recherche en maïeutique – ce que sont les mémoires de fin d’études – demeure une belle preuve de soutien à la profession. Et un rappel de son indépendance médicale et de sa capacité à produire des connaissances sur la grossesse et l’accouchement, et bien au-delà. Comme chaque année, parmi la dizaine de candidates, six mémoires ont été sélectionnés et présentés devant un jury exclusivement composé de sages-femmes. Une quarantaine d’invités étaient également présents. Outre les enseignantes qui accompagnaient les lauréates, une grande partie des organisations de sages-femmes était représentée. Comme c’est le cas depuis plusieurs années, les jeunes diplômées, qui ont travaillé sur des sujets variés couvrant le champ de compétences des sages-femmes, ont été coachées au cours de plusieurs sessions pour améliorer leurs compétences orales et présenter les enjeux et résultats de leur travail en un laps de temps court. Ainsi, les présentations étaient agréables à écouter, certaines ressemblant même à du stand-up. Au final, à l’occasion de cette trentième édition, deux mémoires ont été primés, via un prix scientifique et un prix spécial.


Activités physiques, comportements sédentaires et grossesse

Laurine Perry, ESF de Clermont-Ferrand

© Hervé Schmelzle, pour Evian

Récompensé du prix scientifique, le mémoire de Laurine Perry se penchait sur les connaissances, conseils et sentiments de compétence des sages-femmes sur les activités physiques et les comportements sédentaires pendant la grossesse. Alors que les preuves des bienfaits de l’activité physique chez les femmes enceintes ne cessent de s’accumuler, « la maternité apparaît comme un frein auprès des femmes dans la poursuite ou le commencement d’une activité physique », dit la jeune diplômée. La revue de littérature de l’ancienne étudiante rappelle en effet que les femmes enceintes consacrent plus de 50 % de leur temps à des comportements sédentaires, un ratio plus élevé qu’en population générale. Avec, pour conséquence, une augmentation du risque de macrosomie à la naissance. Les bienfaits de l’activité physique, qui présente de faibles risques pour les femmes enceintes, sont quant à eux multiples : diminution d’incidence de la prise de poids excessive, diminution de la survenue d’un diabète gestationnel, réduction du risque de lombalgies, diminution de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle, baisse des œdèmes des membres inférieurs, diminution de l’incontinence urinaire, meilleure tolérance à la douleur, réduction des accouchements par césarienne, durée de travail plus courte.

Les sages-femmes se trouvent donc au cœur de la promotion du sport. Qu’en pensent-elles ? « Elles se sentent compétentes pour accompagner les femmes, mais si ces dernières sont complètement inactives ou, au contraire, très sportives, les sages-femmes se sentent en difficulté sur le sujet », répond Laurine Perry. Pour le savoir, elle a interrogé onze sages-femmes. Au moment de l’enquête, elles travaillaient dans des maternités de type 2 et 3, des cabinets libéraux ou en services de PMI. L’étudiante a aussi montré que la pratique sportive personnelle des sages-femmes influence leur pratique professionnelle. Mais globalement, les sages-femmes interrogées recommandent la marche ou les activités aquatiques, ce qui ne semble pas satisfaire les patientes. Autres freins aux recommandations des sages-femmes : le manque de temps et de moyens. Pour elles, la préparation à la naissance et à la parentalité débute trop tard pour sensibiliser les femmes au sujet. En outre, les professionnelles se heurtent à la prépondérance de femmes inactives au sein de leur patientèle. Elles regrettent aussi un manque de formation. Pour aider ses consœurs, Laurine Perry aimerait créer un programme sportif évolutif pour les femmes enceintes, via un format vidéo, avec 3 à 5 séances par semaine. Le projet a enchanté le jury.


Le toucher relationnel en salle de naissance, étude qualitative auprès de patients

Juliette Larivière, Faculté de médecine et maïeutique de Lille

© Hervé Schmelzle, pour Evian

Geste presque choquant après de trop longs mois de mesures barrières, Juliette Larivière a introduit son exposé par une poignée de main échangée avec une responsable du marketing d’Evian, qui s’est prêtée au jeu. En pleine pandémie, l’étudiante a en effet choisi d’étudier le toucher relationnel, autrement dit le toucher lorsqu’il n’est pas médical, mais sert à établir un contact, un soutien, un lien. Juliette Larivière a voulu recueillir « la trace mnésique au travers du récit des femmes » de ces touchers échangés avec une sage-femme en salle de naissance. Elle a choisi d’interroger neuf femmes ayant accouché de façon physiologique dans une maternité de type 2B. Globalement, les patientes se souvenaient bien de ces moments, qu’elles ont trouvé apaisants ou rassurants. Mais, comme le souligne l’ancienne étudiante, le toucher sans parole ne sert à rien. Les patientes l’ont spontanément mentionné. Les sages-femmes accompagnaient leurs gestes de paroles explicatives ou de soutien verbal. Un dialogue avec la soignante est ainsi mis en place. Plusieurs femmes ont souligné qu’en l’absence d’un accompagnant avec qui elles partagent une relation intime, elles auraient apprécié davantage de soutien, de paroles et de touchers de la part de la sage-femme.

Ainsi, Juliette Larivière a essayé de mettre en lumière une pratique professionnelle « souvent considérée comme naturelle ou instinctive », les touchers relationnels étant la plupart du temps spontanés. Mais comment sont-ils reçus par les patientes ? Cela dépend de leur histoire personnelle. Il faut donc s’assurer que la patiente y est bien réceptive et veiller à ne pas avoir la main trop lourde. Lors des gestes médicaux, le recueil du consentement favorise la mise en place d’un lien de confiance. D’ailleurs, Juliette Larivière n’a pas éludé la question des violences obstétricales, « étant donné que [le toucher relationnel est] un acte pour lequel le consentement n’est pas recueilli, sans justificatif purement médical, pouvant être potentiellement ressenti comme intrusif ». Il doit dès lors être « validé ». Comme dans les services de gériatrie, en salle de naissance, le toucher relationnel peut s’apparenter à un soin. Un passage du mémoire de l’étudiante est ainsi un plaidoyer pour augmenter les effectifs de sages-femmes en maternité. Après s’être intéressée aux réceptrices de la relation de toucher, elle aimerait aujourd’hui interroger les émettrices, c’est-à-dire les sages-femmes.


État des lieux et optimisation du dépistage et de l’accompagnement des femmes présentant un trouble psychique dans le post-partum

Marjorie Sperenza, ESF de Paris Baudelocque

© Hervé Schmelzle, pour Evian

De 43 jours à 1 an après leur accouchement, la première cause de mortalité des mères est le suicide, selon les résultats de la dernière Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles, qui portait sur les dossiers des décès survenus entre 2013 et 2015. Face aux troubles psychiques de leurs patientes en post-partum, alors qu’elles sont les professionnelles de premier recours, les sages-femmes se sentent démunies. « Une sage-femme m’a dit qu’après avoir vu une patiente, elle avait fermé la porte de sa salle de consultation et prié », raconte Marjorie Sperenza, pour illustrer le désarroi des professionnelles. 

Pour comprendre pourquoi cet accompagnement est si difficile, l’ancienne étudiante a interrogé quinze sages-femmes libérales du Val-d’Oise. Leur constat est unanime : elles manquent de formation, de temps, d’outils de repérage et d’accompagnement. Elles se heurtent aussi à la réticence des femmes à évoquer leurs troubles. Résultat : les sages-femmes éprouvent de grandes difficultés à orienter convenablement ces femmes, parfois repérées tardivement. Le morcellement de leur parcours de soins, y compris en prénatal, n’arrange rien.

Alors que le dépistage des femmes présentant un trouble psychique en post-partum est un enjeu central pour les libérales, il ne semble pas reposer sur l’utilisation d’outils ou de protocoles formalisés et n’est pas systématique. Face aux difficultés d’adressage de leurs patientes, les libérales tentent de pallier le manque via un soutien renforcé des femmes concernées. Pour améliorer cette prise en charge, Marjorie Sperenza suggère de créer un annuaire départemental de professionnels ressources, de constituer un arbre décisionnel pour orienter les patientes, de distribuer les coordonnées de diverses associations. Selon la jeune sage-femme, il faudrait également augmenter la durée du congé paternité et réaliser un entretien postnatal systématique. Par ailleurs, au cours de son travail, l’étudiante a utilisé de nombreux outils destinés à faciliter les entretiens : photolangage, questions ouvertes, cotations, mots clés, présentation de supports existants. Les sages-femmes ont apprécié, parfois découvert, ces « outils d’optimisation ». Aussi la jeune sage-femme a-t-elle communiqué par mail la liste de tous les outils présentés à l’ensemble des sages-femmes interrogées.


Vaccination antigrippale chez la femme enceinte : connaissances et prescription selon le statut du prescripteur

Élodie David, ESF Paris Foch

© Hervé Schmelzle, pour Evian

En pleine opération de vaccination massive contre le Covid-19, Élodie David s’est intéressée à la vaccination des femmes enceintes contre la grippe, travail débuté avant la pandémie. Avec un angle intéressant : la proposition du prescripteur est-elle influencée par son choix personnel ? Recommandée depuis 2012, la vaccination antigrippale des femmes enceintes rencontre en effet un très faible succès. Malgré des complications materno-fœtales graves dues au virus, la couverture vaccinale des femmes enceintes est de 7,4 % seulement. Pour savoir si le statut vaccinal du prescripteur constitue un frein, la jeune sage-femme a mené une étude quantitative par questionnaire électronique auprès de 370 professionnels de santé concernés : sages-femmes, médecins généralistes et gynécologues. Tous les milieux ont été ciblés : libéral, hospitalier, territorial. Plus de 86 % des professionnels sont vaccinés contre la grippe, mais à peine plus de 59 % proposent le vaccin à leurs patientes. Pour expliquer leur choix, ceux qui ne sont pas vaccinés évoquent, pour un quart d’entre eux, un doute sur l’efficacité et l’innocuité du vaccin, le fait que le vaccin change chaque année pour 22 % et des effets indésirables pour 19 %. En outre, nombre d’entre eux ne se perçoivent pas comme personnes « à risque », ignorant par là-même le fait que les professionnels de santé contractent davantage le virus en comparaison avec la population générale et qu’ils contaminent davantage leurs patientes, selon la littérature. Moins évident, un autre facteur intervient. L’étudiante a en effet montré que « les professionnels de santé sont significativement plus vaccinés s’ils ont déjà contracté la grippe par rapport à ceux qui ne l’ont jamais attrapée »

Alors que les connaissances des professionnels de santé sur le virus et le vaccin ne varient pas en fonction de leur statut vaccinal, et sont plutôt élevées, celui-ci influencerait directement leur pratique. « Les professionnels vaccinés recommandent significativement plus la vaccination que ceux non vaccinés. Ils savent plus, de manière significative, que le vaccin est administrable à tout terme », affirme Élodie David. À l’inverse, tous reconnaissent que la femme enceinte est une personne à risque. Leurs connaissances sur les complications materno-fœtales et les spécificités du vaccin ne dépendent pas de leur propre statut et paraissent à jour. Pourtant, à peine 57 % d’entre eux fournissent systématiquement ces informations à leurs patientes, 31 % les fournissent « parfois », 9 % « rarement » et 4 % « jamais ». La pandémie de Covid-19 a influencé positivement ces résultats, puisque les professionnels ont davantage abordé et proposé la vaccination contre la grippe, davantage souligné l’importance de la sensibilisation cette année et ont trouvé leurs patientes plus réceptives.


Produits cosmétiques et grossesse : évaluation des connaissances des sages-femmes d’Alsace

Laure Murat, ESF de Strasbourg

© Hervé Schmelzle, pour Evian

Sujet régulièrement abordé par les patientes, la consommation de produits cosmétiques en cours de grossesse questionne. Une femme enceinte utilise environ 18 produits cosmétiques quotidiennement. Sa grossesse ne l’incite donc pas à diminuer sa consommation, même si elle varie. En effet, lorsqu’elles sont enceintes, les femmes diminuent leur utilisation de produits de maquillage et de produits capillaires, tandis qu’elles semblent augmenter leur consommation de produits d’hygiène générale et de produits de soins pour la peau. « La population de femmes enceintes constitue donc un groupe unique de consommatrices aux besoins modifiés », dit Laure Murat. 

Malgré le battage médiatique, les sages-femmes sont-elles suffisamment informées pour alerter leurs patientes sur les risques à court, moyen et long terme ? Pour répondre, l’ancienne étudiante a réalisé une étude quantitative sur la base d’un questionnaire auquel 129 sages-femmes ont répondu. Résultats : les trois quarts des sages-femmes ont une connaissance « convenable » du sujet, quand 9 % en ont une connaissance « approfondie ». Malgré tout, « la majorité des professionnelles (66 %) ne semblait pas assez sensibilisée à cette thématique pour répondre aisément aux demandes des femmes enceintes », souligne Laure Murat. D’ailleurs, 90 % d’entre elles aimeraient être davantage formées sur le sujet. Cela semble nécessaire, car seuls 19 % des interrogées pensent que les perturbateurs endocriniens peuvent augmenter le risque de diabète gestationnel alors que plusieurs études ont montré un lien entre certains perturbateurs endocriniens, la prise de poids, et l’intolérance glucidique. Par ailleurs, si 53 % des sages-femmes de l’étude ont bien identifié le risque augmenté d’asthme, elles ne sont que 27 % à avoir établi un lien entre le risque d’obésité chez l’enfant à naître et l’exposition prénatale à des perturbateurs endocriniens. « Or, différentes études concluent à l’association entre exposition prénatale aux perturbateurs endocriniens et comorbidités chez l’enfant à naître, telles que l’obésité, l’asthme, des allergies alimentaires et des troubles neurocomportementaux », rappelle Laure Murat. L’étudiante s’est aussi intéressée aux pièges du greenwashing, appelé encore écoblanchiment. Selon son étude, la quasi-totalité des sages-femmes (94 %) a correctement identifié ces techniques. Malgré tout, 27 % des sages-femmes ont choisi le label « 100% organic ». Or, ce label n’existe pas et représente un parfait exemple des pseudo-labels que les marques peuvent utiliser pour tromper le consommateur. Pour Laure Murat, « la connaissance du greenwashing et de la forme de manipulation qu’il sous-tend n’empêche pas son influence sur le consommateur, même avisé. »


Intérêt de la mesure de la hauteur utérine dans le dépistage des macrosomes durant le dernier trimestre de grossesse

Roxane Ponsot, ESF de Nice

© Hervé Schmelzle, pour Evian

Le mètre ruban, objet emblème des sages-femmes ? C’est ce qu’a l’air de penser Roxane Ponsot. Sauf qu’elle regrette que cet objet soit délaissé. Après avoir comparé 172 dossiers obstétricaux de femmes ayant accouché d’un bébé macrosome à 172 dossiers de femmes ayant accouché d’un bébé ayant un poids dans la norme, la jeune sage-femme conclut qu’il faut réhabiliter la pratique clinique de la mesure de la hauteur utérine. Le dépistage des macrosomes s’est en effet « avéré fiable à terme alors que l’estimation du poids fœtal par échographie du troisième trimestre n’était pas concluante », soutient-elle. D’après son étude, la hauteur utérine n’était pas systématiquement mesurée aux septième et huitième mois de grossesse. En effet, dans le groupe des macrosomes, seuls 42 dossiers sur 172 présentaient une hauteur utérine aux septième, huitième et neuvième mois, soit moins d’un quart des dossiers. Interrogées, quelques sages-femmes évoquent leurs doutes sur la fiabilité de la mesure, décidant alors de l’exclure de leur pratique clinique. Pourtant, la littérature montre qu’une hauteur utérine supérieure à 37 centimètres présume d’un poids fœtal de plus de 4500 g. 

Pour améliorer le dépistage des macrosomes, l’étudiante suggère de combiner la mesure de la hauteur utérine à une échographie aux huitième et neuvième mois de grossesse, ce qui améliore significativement le dépistage des macrosomes d’après son étude. Geste clinique facile à réaliser et non invasif, la mesure de la hauteur utérine est cependant très variable entre les opérateurs. La variabilité intra-opérateur existe aussi, mais elle est moindre. « Ce travail ne serait-il pas un plaidoyer pour un suivi de grossesse réalisé par une seule sage-femme ? », s’amuse un membre du jury.