Congrès national de la sage-femme libérale –17 décembre 2020

Béatrice Allouchery, sage-femme libérale à Saint-Aubin-lès-Elbeuf (76). Présentation tirée du mémoire de consultante en lactation (2011).

ENTRE ALLAITEMENT MATERNEL EXCLUSIF ET ALIMENTATION ARTIFICIELLE : L’ALLAITEMENT INDÉTERMINÉ – UNE VOIE ALTERNATIVE POUR LES FEMMES ?

L’autrice déclare n’avoir aucun lien avec des entreprises ou établissements produisant ou exploitant des produits de santé. Elle ne déclare aucun conflit d’intérêts susceptible d’influencer son propos sur le thème de l’allaitement.

Béatrice Allouchery, sage-femme libérale à Saint-Aubin-lès-Elbeuf (76).

Présentation tirée du mémoire de consultante en lactation (2011).

L’autrice déclare n’avoir aucun lien avec des entreprises ou établissements produisant ou exploitant des produits de santé. Elle ne déclare aucun conflit d’intérêts susceptible d’influencer son propos sur le thème de l’allaitement.


© D.R.

Aujourd’hui, le choix de I’alimentation du nouveau-né tel qu’il est présenté aux mères est : allaiter ou ne pas allaiter. La combinaison d’un allaitement et d’une alimentation artificielle n’est pas recommandée en maternité. Certes, seul l’allaitement maternel exclusif permet d’assurer au bébé suffisamment de lait, de stimuler le démarrage de la lactation et d’entretenir la sécrétion lactée [1]. Mais donner plus de souplesse aux mères qui ont choisi I’alimentation artificielle leur permettrait-il d’envisager une expérience d’allaitement ? Sont-elles réceptives à une autre proposition intermédiaire entre I’allaitement maternel exclusif et I’alimentation artificielle? C’est ce que cette étude a cherché à mettre en évidence. Cette autre voie, baptisée « allaitement indéterminé » est strictement réservée aux mères non allaitantes et se déroule durant le séjour en maternité. À la fin, le choix s’impose de lui-même.

Cependant, proposer aux mères favorables à I’alimentation artificielle de donner parfois le sein nécessite une réflexion profonde. La mise en place de l’allaitement indéterminé ressemble fort à un numéro d’équilibriste. Il sera très surveillé d’un côté par les défenseurs de la liberté de choix et, de I’autre, par les protecteurs de I’allaitement qui craignent de voir ressurgir I’allaitement mixte longtemps combattu. Conscients de ces risques, nous avançons en prenant la précaution de définir une approche respectueuse des mères et un cadre pour la mise en place de l’allaitement indéterminé. 

I. CONSTATS

1. Définir les « modes » d’allaitement

Autant définir I’allaitement maternel exclusif est aisé, autant la confusion entre allaitement partiel et allaitement mixte est fréquente :

  • l’allaitement maternel est exclusif lorsque le nouveau-né ou le nourrisson reçoit uniquement du lait maternel [2] directement au sein ou par l’intermédiaire de tout autre dispositif ;
  • l’allaitement est partiel lorsqu’il est associé à une autre alimentation comme des substituts de lait [2].

L’allaitement mixte n’est pas défini, c’est une originalité très française qui apparaît dans les traités de puériculture du XIXe siècle. Nous pouvons, cependant, dégager les principales différences et les points communs entre I’allaitement partiel et l’allaitement mixte. Tout d’abord, I’allaitement partiel fait suite à un souhait d’allaitement maternel alors que I’allaitement mixte est souvent énoncé comme un projet en soi.

L’allaitement partiel est un allaitement maternel avec accès libre de l’enfant au sein et à des compléments [3]. Ces compléments sont donnés en plus des tétées et non à la place des tétées. C’est le point de scission avec I’allaitement mixte où les mères cherchent à remplacer des tétées par des compléments de substituts de lait. Selon les recommandations de I’OMS, l’allaitement partiel en maternité ne doit se faire que sur indication médicale, car il conduit au sevrage [4]. Bien évidemment, il en est de même avec I’allaitement mixte. C’est la loi de l’offre et de la demande.

2. Au nom de la liberté de choix 

En prénatal, les mères subissent une pression sociale en faveur de I’allaitement (famille, amis et professionnels). C’est ce que dénonce Élisabeth Badinter : « On parle de moins en moins de droit et de plus en plus de devoir » [5]. Dans ce contexte, on peut se demander si proposer une période d’allaitement indéterminé correspondra aux attentes des mères ou si cela viendra renforcer un sentiment de devoir.

En fait, les mères sont partagées entre I’envie de donner le meilleur à leur enfant et leur décision de ne pas allaiter. En 2000, une enquête révélait que 75 % des mères aimeraient allaiter quelques semaines et que 25 % d’entre elles renonçaient à leur projet sans même essayer [6]. Cette enquête met en évidence I’ambivalence des mères face au choix du mode d’alimentation de leur enfant.

3. Un choix qui n’est pas libre 

L’allaitement maternel apparaît comme un acte individuel, engageant la relation mère-enfant, mais c’est avant tout un acte qui s’inscrit dans un contexte familial et culturel [7]. Grandir entourées de femmes allaitantes permet d’intégrer que le sein a une fonction nourricière avant d’envisager qu’il puisse être aussi objet de plaisir, de désir. Aussi, dans certains pays où le taux d’allaitement est supérieur à 90 %, les femmes n’envisagent pas de faire autrement. Paradoxalement, en France, le sein nourricier est caché alors que le sein érotique s’expose [8]. Est-ce la conséquence indirecte ? Notre taux d’allaitement en maternité reste le plus bas d’Europe [9] malgré une forte augmentation ces dix dernières années.

Nous savons que l’allaitement est fortement corrélé au niveau d’études et au milieu social : 80 % des cadres allaitent contre 46 % chez les ouvrières qualifiées [10].

La sociologue Séverine Gojard apporte un éclairage en déterminant deux modèles d’allaitement :

  • un modèle savant sensible aux discours sur les bénéfices de I’allaitement. Ce public a été sensibilisé par les récentes campagnes d’allaitement et profite d’un effet « boule de neige » : plus il y a de mamans allaitantes autour d’elles, plus elles sont nombreuses à allaiter ;
  • un modèle familial où la transmission d’un savoir-faire de mère en fille influence fortement la décision en faveur du sein comme du biberon [7].

L’influence socioculturelle est évidente, mais derrière toutes les raisons données par les mères en faveur de I’alimentation artificielle se cachent peut-être des barrières psychologiques infranchissables.

4. Un frein psychologique difficile à appréhender

a. La pudeur

Une étude sociologique de 2003 met en évidence que la pudeur est un frein à l’allaitement pour 26 % des mères [11]. La pudeur est un phénomène normal, elle est I’indice d’une juste acclimatation de la personne à la mentalité collective. Bien ajustée, elle ne censure ni le désir ni le plaisir. Elle permet à la femme de se dévoiler selon sa propre limite [12]. La pudeur est donc d’origine psychologique et culturelle. Mais, comme dans la sexualité, la pudeur peut évoluer avec I’expérience [12].

b. Le sein narcissique 

En plus de la pudeur, vient s’ajouter l’image que la femme a de sa propre poitrine, conforme ou non conforme. Ce jeu du miroir, appelé aussi sein narcissique, se met en place au cours de l’adolescence [8].

c. Un manque de confiance en soi

Dans ce grand bouleversement qu’est I’arrivée d’un enfant, la confiance en soi n’est pas un phénomène inné. Donner le biberon peut sécuriser la future maman. Le biberon permet de contrôler les quantités ingérées. 52 % des mères trouvent l’alimentation artificielle plus pratique. Parfois, c’est la peur d’assurer seule la survie de I’enfant 13] qui oriente inconsciemment la décision. Cette nouvelle responsabilité effraie : souvent, les femmes demandent à la partager avec le futur père.

d. La peur du contact intime 

Avant même de découvrir le contact du bébé au sein, 26 % des mères ont déjà peur de la douleur. Derrière cette idée de la douleur peut se cacher une peur d’un contact « trop » intime, avec parfois une éventuelle confusion entre plaisir sensuel et le plaisir de l’enfant au sein. Winicott va plus loin : selon lui, le biberon représente une barrière entre la mère et I’enfant, comme une protection contre la peur d’une fusion envahissante [14]. Ainsi, donner son propre lait, mais dans un biberon, est quelquefois envisagé.

Il y a les raisons conscientes et les raisons inconscientes. Mais est-ce immuable ? Bon nombre de mères accueillent volontiers I’idée d’une première tétée en salle de naissance.

À la maternité de Lons-le-Saunier labellisée « Hôpital Ami des bébés », 95 % des nouveau-nés qui passent dans les bras de leur mère à la naissance ont droit à Ia première tétée indépendamment du choix qui sera fait ensuite [15].

Les mères acceptent la première tétée, mais elles n’adhérent pas pour autant aux principes de I’allaitement maternel exclusif, trop contraignant à leurs yeux. 

II. PROPOSER L’ALLAITEMENT INDÉTERMINÉ EN ÉTABLISSEMENT

L’idée est donc de prolonger cette expérience de la première tétée sans chercher à amener les femmes vers un allaitement maternel exclusif. Cela passe par le fait d’imaginer que, dès la première semaine, elles puissent donner le biberon et le sein comme elles le souhaitent, même si cela doit les conduire vers le sevrage.

Pour la réussite d’un allaitement maternel, il faut tout mettre en œuvre pour éviter de donner des compléments, mais rien n’empêche une maman qui ne veut pas allaiter de donner parfois le sein dans la mesure où elle ne prend pas de traitement pour stopper la lactation.

L’idée est de proposer une période pendant laquelle les femmes ne seront pas obligées de faire un choix. Cette période d’indétermination correspond au séjour en maternité, car de retour à la maison, le choix est fait : entre sein uniquement, biberon uniquement ou un mix des deux, tout en sachant que l’allaitement mixte conduit au sevrage et que cela peut être leur choix.

Il s’agit d’une porte ouverte au-delà de la première tétée. Après, libre à elles de choisir à l’instant T, selon les circonstances, si elles préfèrent donner le sein ou le biberon. Il sera même possible de donner le sein après un biberon ou encore de donner un biberon après une tétée.

A. Un protocole d’allaitement indéterminé en maternité

Le premier défi consiste à conjuguer une certaine souplesse pour mettre en place l’allaitement indéterminé à de la rigueur pour protéger l’ensemble des allaitements maternels exclusifs. Il s’agit de permettre l’allaitement mixte en maternité en prévenant les mères qu’il conduit au sevrage et, en même temps, tout mettre en œuvre pour éviter de donner des compléments à celles qui ont un vrai projet d’allaitement.

Pour la réussite de l’allaitement maternel, I’OMS recommande pendant le séjour en maternité de « ne donner au nourrisson allaité aucun aliment ou boisson autre que le lait maternel, sauf indication médicale » [4]. L’IHAB donne le pouvoir de décision aux mères si elles ont été informées. Il préconise de « privilégier l’allaitement maternel exclusif en ne donnant aux nouveau-nés allaités aucun aliment ni aucune boisson autre que le lait maternel, sauf sur indication médicale ou sur décision éclairée de la mère ». Le personnel soignant informe la mère allaitante qui veut donner un complément à son bébé des risques de cette pratique, de façon à ce qu’elle prenne une décision éclairée. 

Il est donc important de pouvoir distinguer les mères indéterminées des mères allaitantes. Mais faut-il les opposer ? Dans une étude sur l’allaitement maternel exclusif et l’allaitement partiel en maternité, comparant les modes d’allaitement selon les régions [16], on remarque que les régions ayant un fort taux d’allaitement maternel exclusif ont aussi un fort taux d’allaitement partiel et vice versa. La souplesse lèverait donc certains freins à I’allaitement, mais nous savons qu’elle est un obstacle à la durée de I’allaitement.

C’est pourquoi nous avons élaboré des recommandations pour la pratique de I’allaitement indéterminé en maternité :

  • la réserver uniquement aux mères qui ne souhaitent pas allaiter et favorables à la première tétée ;
  • donner une information en prénatal sur l’allaitement et le non-allaitement ;
  • en maternité, identifier clairement les différents projets : allaitement maternel exclusif, allaitement artificiel, allaitement indéterminé ; 
  • respecter la pudeur des femmes en aidant à la mise au sein en gardant une juste distance ;
  • privilégier la position « Biological Nurturing » de Suzanne Colson qui favorise les réflexes du nouveau-né et l’invite à prendre le sein tout seul ;
  • considérer ces mères indéterminées comme des mères « biberonnantes », ce qui signifie mettre à disposition dans la chambre des biberons et laisser la mère choisir à chaque instant entre le biberon ou le sein.

Le deuxième défi de cette démarche est de faire en sorte qu’elle ne soit pas perçue comme pro-allaitement. Il faut pouvoir mettre les femmes à l’abri de toute pression en faveur de l’allaitement qui irait à l’encontre de l’objectif de l’allaitement indéterminé. Nous avons donc défini une approche en cinq étapes.

B. Les cinq étapes de l’allaitement indéterminé

1. Abandonner ses propres motivations

L’étape la plus déterminante dans la mise en place de l’allaitement indéterminé est I’approche. Elle impose de s’interroger sur sa position de soignant entre promotion de la santé publique et I’accompagnement à la parentalité [17]. Abandonner ses propres motivations permet de développer une attitude d’écoute et de respect, loin de tout prosélytisme. Pour s’y préparer, il est possible de se répéter en silence: « Je n’ai pas l’intention de la faire changer d’avis », « Je ne fais que proposer et je la laisse disposer en toute liberté. » 

2. Bien formuler la question

« Est-ce que vous voulez allaiter ? » est la formule la plus souvent utilisée, mais il s’agit d’une question trop fermée et déjà orientée. Elle est en contradiction avec la volonté d’accueillir la réponse, quelle qu’elle soit. Aller vers l’autre passe par la précaution de poser une question ouverte, comme : « Comment souhaitez-vous nourrir votre bébé ? » 

3. Accueillir la réponse

Quand le choix est clairement en faveur du biberon, mieux vaut reconnaître ce choix comme le meilleur et ne pas chercher à en connaître les raisons. En évitant aux mères de se justifier, nous changeons déjà notre approche et évitons de rentrer dans une contre-argumentation stérile. Les femmes apprécient de ne pas avoir à justifier leur choix et de rester libres d’en parler spontanément. Il est bon d’accueillir la réponse en disant par exemple : « C’est bien, vous avez fait votre choix. »

4. Parler de la première tétée

Les mères ont souvent entendu parler de I’accueil de bébé en peau-à-peau en salle de naissance. Parfois, elles savent que l’on peut proposer une première tétée. Il est possible de demander : « Avez-vous entendu parler de la première tétée ? » et leur demander ce qu’elles ont l’intention de faire en prénatal ou en maternité. 

Si une femme n’est pas favorable à la première tétée, mieux vaut conforter ce choix. Si, au contraire, elle est favorable à cette première tétée ou si elle dit « Je ne sais pas, peut-être » ou « On verra bien quand bébé sera là », l’allaitement indéterminé peut être présenté. 

5. Proposer l’allaitement indéterminé

Il est possible de proposer aux mères indécises concernant le mode d’alimentation de leur enfant de rejoindre une séance de préparation en groupe sur l’allaitement, pour leur délivrer l’information la plus impartiale possible. 

Il est alors important de la rassurer sur nos motivations quant à la proposition d’allaitement indéterminé : 

  • nous n’avons pas I’intention de les faire changer d’avis ;
  • elles ont fait leur choix à partir d’une proposition binaire : « allaiter ou ne pas allaiter » ;
  • nous leur proposons plus de la souplesse afin qu’elles découvrent les compétences de leur enfant et le contact avec le bébé au sein, sans pour autant les contraindre à un allaitement maternel exclusif ;
  • il s’agit d’une troisième proposition entre le « tout allaitement » et le « tout biberon de lait artificiel » ;
  • sein et biberons seront possibles ;
  • nous proposons, elles disposent.

En prénatal, il est possible de proposer à la mère d’élaborer son propre projet d’alimentation de son nourrisson, pour le porter ensuite à la connaissance des professionnels de santé de la maternité. La démarche étant complexe, nous avons mis à leur disposition un projet type (ci-dessous). Ce dernier comprend un volet sur leurs attentes et un volet sur l’information reçue. 

Ce projet écrit met en avant les attentes de la femme et ses connaissances pour une prise en charge optimale en maternité. Il peut être affiché par la femme dans sa chambre.

PROJET D ‘ALIMENTATION DE MON ENFANT EN FAVEUR D‘UN ALLAITEMENT INDÉTERMINÉ

[ ] Mon souhait est de nourrir mon enfant au lait artificiel, cependant je ne suis pas opposée à l’idée d’une première tétée au moment de la naissance.

[ ] À la suite de la lère tétée il est probable que je décide de ne pas allaiter. J’en informerai l’équipe médicale.

[ ] Il est probable aussi que je veuille continuer cette expérience au-delà de la lère tétée sans pour autant envisager un allaitement maternel exclusif.

[ ] Aussi J’aimerais avoir à disposition dans ma chambre des biberons de préparation pour nourrisson afin de proposer le sein ou le biberon à ma guise.

Je sais que : 

[ ] Mon bébé peut préférer le biberon et bouder le sein.

[ ] Seul l’allaitement maternel exclusif permet de produire suffisamment de lait. Un allaitement partiel ou mixte conduit au sevrage.

[ ] 70% des mères ressentent une tension mammaire 48 h après la naissance. Pour me soulager je pourrais proposer une tétée à mon bébé, ou utiliser un tire-lait ou encore extraire du lait manuellement.

[ ] Il est possible de tenter une relactation même à distance du sevrage en prenant contact avec un professionnel de la santé spécialisé dans l’allaitement.

[ ] Dans l’allaitement indéterminé, il n’est pas nécessaire de prendre des médicaments pour stopper la lactation, je préfère qu’il en soit ainsi.

D’avance merci de l’accueil que vous réserverez à ma démarche

III. ÉTUDE DE CAS

Pour notre étude, lors de I’entretien prénatal, plusieurs mères ont exprimé clairement leur souhait de nourrir leur enfant au biberon. En suivant l’approche prédéfinie, nous avons sélectionné des mamans favorables à la première tétée, leur avons présenté l’allaitement indéterminé. Elles ont toutes accepté de participer à une séance d’information sur l’alimentation de l’enfant et sur les différences entre le sein et le biberon.

L’expérience de la première tétée a été déterminante dans le choix du mode d’alimentation. Quand le nouveau-né ou la mère n’était pas dans de bonnes dispositions au moment de la première tétée, le nouveau-né a été alimenté avec des préparations lactées. Quand la première tétée était réussie, ces mères ont envisagé un allaitement. Certaines mamans ont proposé le sein et le biberon en fonction des circonstances, et ce jusqu’au sevrage. D’autres, découvrant les compétences de leur bébé, se sont orientées vers un allaitement maternel exclusif :

  • l’une en donnant parfois son propre lait au biberon pour que le papa puisse prendre le relais, pour se rassurer sur les quantités prises ou par pudeur,
  • I’autre n’a utilisé aucun des biberons présents dans sa table de nuit et a allaité exclusivement pendant deux mois et demi,
  • la maman de Lubin qui a fait partie de cette étude pour son premier enfant a allaité exclusivement son deuxième enfant.

Cette expérience a permis à des mamans qui avaient choisi initialement l’alimentation artificielle, plus par sécurité que par conviction, de faire un choix en fonction des circonstances.

L’allaitement partiel ou mixte conduit au sevrage. Cette décision s’est faite parfois selon la volonté de la maman, par insuffisance lactée ou par refus du sein par l’enfant. Toutes les mamans ont été satisfaites d’avoir fait bien plus qu’elles n’avaient imaginé en prénatal.

Les mamans ont contourné le problème de la tension des seins soit en utilisant un tire-lait, pour une des mamans exclusivement biberonante, ou les compétences de leur enfant, pour les mamans qui allaitaient partiellement.

L’information en prénatal permet aux mamans de gérer à leur façon cette tension mammaire. L’allaitement indéterminé élargit I’offre de solutions tout en respectant la liberté des mères. Nous informons, elles décident.

Pour certaines, I’obstacle de la pudeur a pu être contourné en proposant un biberon de lait préalablement tiré ou un complément de préparation lactée pour nourrisson (PLPN). D’autres ont tout naturellement dépassé la peur de se dévoiler.

Les seules difficultés rencontrées viennent d’une incompréhension avec certains professionnels de santé. En prénatal, ces mères ont été surprises par la proposition et craignaient de ne pas avoir le soutien des professionnels de maternité. Elles ont majoritairement été bien accompagnées. Cependant, deux situations ont été plus délicates. Dans un cas, le protocole n’a pas été présenté aux professionnels, la maman n’a pu obtenir des biberons de PLPN dans sa table de nuit, elle a ressenti une forte pression à allaiter au point d’envisager un sevrage complet. Dans l’autre cas, l’option de « tire-allaiter » n’a pas été encouragée par le professionnel et son intervention a conduit à une perte de confiance et au sevrage brutal.

Les mères qui adoptent l’allaitement indéterminé ont besoin plus que d’autres d’être soutenues. Elles attendent des professionnels à la fois un accompagnement, mais aussi la garantie d’une grande autonomie. L’information des mères en prénatal est essentielle pour acquérir cette autonomie. L’information des professionnels de santé est aussi un élément décisif dans I’accompagnement de l’allaitement indéterminé.

Les mères dont I’expérience s’est arrêtée à la première tétée avaient jusqu’au bout laissé la porte entrouverte à l’allaitement. Mais il en a été autrement, indépendamment de leur décision. Cela leur a permis de balayer le sentiment de culpabilité de ne pas allaiter.

Les mères qui ont passé l’étape de la première tétée ont été satisfaites de ce programme. L’une d’elles parle de découverte : « Je n’aurais jamais imaginé apprécier autant l’allaitement et, sans ce programme, je ne l’aurais jamais découvert. » Elle a allaité exclusivement son deuxième enfant. 

Pour ces mères, allaiter un peu leur a permis de développer un sentiment d’autosatisfaction en plus de les déculpabiliser.

Exemples d’allaitement indéterminés :

  • La maman d’Antoine a très vite adhéré à l’allaitement indéterminé, elle a compris qu’elle n’avait pas à décider avant l’arrivée de son enfant. Le « peut-être » lui allait bien et lui évitait aussi les pressions familiales. Elle a eu des biberons dans sa table de nuit et n’en a utilisé aucun. Elle a allaité exclusivement pendant deux mois et demi et nous a confié que l’allaitement l’avait aidée à trouver sa place de mère par rapport à sa mère et sa belle-mère. Elle en a tiré une grande fierté. Son deuxième enfant a été allaité aussi. 
  • La maman de Zoé était une maman hyper anxieuse, elle a très vite imaginé faire du tire-allaitement. Elle a allaité en prise directe à la maison et a donné son lait au biberon quand elle ne se sentait pas à l’aise. Cela a duré trois semaines. Tout a basculé lors d’une consultation de PMI où un professionnel non averti a mis en doute sa pratique. L’éjection du lait a été brutalement stoppée. Cette maman a été déçue d’arrêter.
  • La maman de Lubin ne souhaitait pas allaiter, mais était favorable à la première tétée, pensant ne pas aller plus loin. La première tétée s’étant bien déroulée, elle a choisi de poursuivre un allaitement mixte en vue du sevrage. Quand il y avait des visites ou quand Bébé lui paraissait énervé, elle préférait le biberon. Et le soir, elle privilégiait des moments de tétées-câlins. De retour à la maison, Bébé était aux biberons de lait artificiel, mais ça n’a pas été facile : changements de tétines, de lait. La mère a commencé à regretter son allaitement tant et si bien que son deuxième enfant a été allaité exclusivement. Elle est même venue nous voir en consultation pour s’assurer que tout allait bien. 

À la suite de cette étude, nous pouvons dire que certaines mères, déjà favorables à la première tétée, acceptent de poursuivre l’expérience d’allaitement si toutefois elles ne sont pas contraintes à un allaitement maternel exclusif. L’allaitement indéterminé tel qu’il a été défini ici leur offre un cadre à la fois souple et respectueux. Il remet en question la notion même de choix, en favorisant un choix circonstanciel basé sur l’expérience plutôt qu’un choix prédéfini.

Témoignage d’une mère, allaitement indéterminé pendant dix jours puis alimentation artificielle

« Mon petit Nolhan, lorsque j’étais enceinte de toi, je suis allée voir une sage-femme qui après discussion m’a proposé de faire un allaitement indéterminé. Je me suis demandé de quoi elle me parlait, car on m’avait toujours dit : “Soit tu allaites, soit tu n’allaites pas ! “ Après avoir eu toutes les explications, j’ai décidé de tenter I’expérience, même si à la base j’avais décidé de faire uniquement un don de colostrum, comme je I’avais fait pour ta sœur. Tu es né le vendredi 10 février 2012 à 6 h 00, nous avons fait un long moment de peau-à-peau puis une aide-soignante t’a mis au sein. Tu l’as pris sans aucun problème, j’ai vraiment adoré ce moment d’échange entre nous deux, c’était vraiment très fort ! Par la suite, suivant nos envies et nos humeurs, on variait, un coup le sein, un coup le biberon et ça allait très bien ! Tu t’adaptais avec une telle facilité que je pouvais passer de I’un à I’autre sans problème. Par exemple, parfois après le sein tu avais encore faim donc je complétais avec un peu de biberon. Le jour de la montée de lait, je t’ai donné le sein presque toute la journée. Quand je sentais que I’on avait besoin I’un de I’autre, c’était le sein. Si tu étais énervé, le biberon et la nuit, le biberon. Cette expérience était pour moi la meilleure solution, car elle m’a permis de vivre un allaitement sans contraintes. Toi comme moi, nous avions les bons côtés de l’allaitement. Si je ne voulais pas allaiter, c’était parce que je trouvais trop de contraintes (Bébé réclame trop souvent, on ne sait pas ce qu’il boit, sortir mon sein partout, la reprise du travail…). J’étais bien consciente que tu pouvais décider d’arrêter du jour au lendemain, même si au fond de moi j’espérais que ça dure le plus longtemps possible. Je savais que le peu que tu prenais te serait bénéfique. Tu as quand même tenu dix jours malgré la facilité du biberon par rapport au sein. Je pense que cette solution nous convenait bien ! Et malgré les réticences de certains, tout s’est fait le plus naturellement du monde. Je garde vraiment un très bon souvenir de ces quelques jours de partage et de complicité entre nous. »

CONCLUSION

La population reçue dans notre cabinet de sage-femme est issue de classes moyennes. Ces femmes ne bénéficient pas toutes d’un environnement de mamans allaitantes, mais ont été sensibilisées par les discours en faveur de I’allaitement. L’allaitement indéterminé recevrait-il le même accueil dans un milieu plus modeste où le choix est fortement influencé par la transmission mère-fille ? Une étude plus large serait nécessaire. Permettre à des mères non allaitantes de donner le sein en plus ou à la place du biberon, est-ce encourager le retour de l’allaitement mixte ? Nous savons que la nuance est ténue. Cependant, sans ce programme, ces mères n’auraient jamais tenté l’expérience d’allaiter. En toute conscience, elles vont vers le sevrage et tel est leur souhait. À nous, professionnels de santé, d’accompagner chaque mère selon son projet, de permettre un choix éclairé en délivrant une information juste. Bien informer les mères est la base de la bientraitance, car I’information donne le pouvoir de décision à la mère alors que les conseils placent les professionnels de santé en position dominante. Mais aujourd’hui, alors que la formation des professionnels de santé sur l’allaitement est encore insuffisante, le risque de confusion est grand. Généraliser I’allaitement indéterminé sans une politique de soutien de I’allaitement maternel, comme le préconise I’IHAB, risque de banaliser I’usage des compléments en maternité. L’auto-évaluation des pratiques selon I’IHAB pourrait donc servir de préalable à l’allaitement indéterminé [18].

Témoignage – Montée de lait chez une mères non allaitante

Sans inhibiteur de la lactation, certaines mamans peuvent ressentir la montée de lait comme une gêne invalidante pour les gestes du quotidien (1) et surtout pour assurer leur rôle de maternage. Dans les conseils délivrés en maternité, certains déconseillent tous modes d’extraction par peur de stimuler la lactation alors que d’autres encouragent le massage sous la douche, l’extraction manuelle ou au tire-lait, voire proposent une tétée pour un soulagement immédiat (2). Voici le témoignage d’une maman non allaitante qui a vécu très difficilement la montée de lait au retour de maternité. 

« Le 28 mars 2014, naissance de mon fils Jules. Tout au long de ma grossesse, ma décision de ne pas allaiter était claire et nette. À sa naissance, on m’a proposé la tétée d’accueil. J’ai accepté en me disant “pourvu qu’il ne veuille pas téter”. Quand on refuse l’allaitement, il y a toujours un sentiment de culpabilité. Heureusement, Jules n’a pas voulu téter, il a tout de suite pris le biberon, à mon grand soulagement. 

Au cours de mon séjour à la maternité, on m’a donné quelques précautions à prendre pour la montée de lait : ne jamais tirer mon lait, ne pas toucher aux seins, car cela peut stimuler le processus d’allaitement. N’ayant aucune expérience, j’ai suivi leurs conseils. À ma sortie de la maternité, on m’a prescrit de l’homéopathie pour éviter les montées de lait. J’avoue que je n’étais déjà pas très enthousiaste quant à l’effet de l’homéopathie sur moi. La montée de lait a été très intense à mon retour à la maison. Seins durs et très douloureux, difficultés à m’habiller et surtout à porter mon propre enfant. J’ai suivi les conseils de la maternité de ne surtout pas vider mes seins : quelle erreur ! Heureusement, le lendemain de ma sortie, une sage-femme est venue à la maison pour voir si mon retour se passait bien. Je lui ai parlé de mon gros problème. Et quelle délivrance ! Elle m’a dit de vider mes seins soit avec des coquilles, soit sous la douche. Ni une ni deux, j’ai fait couler l’eau de la douche sur mes seins, j’ai porté les coquilles et là : soulagement ! J’ai beaucoup moins souffert par la suite. Pour mon deuxième enfant né trois ans plus tard, je savais à quoi m’attendre. Je me suis souvenue des conseils de ma sage-femme. Malgré une bonne montée de lait, j’ai beaucoup moins souffert et cela a duré beaucoup moins longtemps. » 

(1) https://dune.univ-angers.fr/fichiers/20081077/2014MDNSF1805/fichier/1805F.pdf

(2) https://www.maternite-vitrolles.fr/upload/conseils/ENRE.MATE.063_v2_-_Conseils_pour_eviter_la_montee_de_lait_.pdf.

Références bibliographiques

[1] Beaudry M, Chiasson S et Lauzière J. Biologie de I’allaitement. Ed Presses de I’Université du Québec. 2006

[2] ANAES : Allaitement maternel mise en œuvre et poursuite dans les six premiers mois de vie de I’enfant, recommandations, mai 2002.

[3] Laurent C. Allaitement mixte, est-ce possible ? Les cahiers de puériculture N° 178, Juin 2004. Site internet : www.coordination-allaitement.org

[4] OMS. Données scientifiques relatives aux dix conditions pour le succès de I’allaitement. Site consulté le 10.11.2013 http://whqlibdoc.who.int/hq/1998/WHO*CHD*98.9Jfre.pdf

[5] Badinter E. Le conflit, la femme et la mère. Paris : Flammarion, 2010

[6] Ulpat A. L’allaitement, c’est bien mais pas obligatoire. Famili. 2000. N° 90 : p.48-52

[7] Gojard S. Approche sociologique de I’allaitement maternel en France. La santé de I’ Homme. N° 408. Juillet-Août 2010

[8] Bayot I. Allaitement ou non ? Savoir suffit-il pour choisir ? 2016, Site internet : cocoonbiennaitre.com

[9] Pilliot M. La situation de l’allaitement maternel en France. La santé de I’Homme, N° 408, juillet-août 2010.
[10] Taux d’allaitement maternel à la naissance en 2003, selon la catégorie socioprofessionnelle de la mère. Inserm, Enquête périnatale 2003

[11] IPA, Information pour l’allaitement. Études sociologiques en France. Site consulté le 22.06.10 www.Info-alIaitement.org/etude-en-France.html.

[12] Thomas B. La pudeur et le plaisir d’allaiter, mémoire de consultante en lactation IBCLC 2006.

[13] Confiance en soi. La Leche League. En ligne : www.lllfrance.org/Allaiter-Aujourd’hui/AA-19-confiance-en-soi.html

[14] Pilliot M. Allaitement maternel, état des lieux en France et en Europe. Site consulté le 10.08.10.ftp://fQ2.coordination-allaitement/…/Allaitementmaternel-etatdeslieux-mars200a.pdf

[15] Schwetterlé F. Maternité de Lons-le-Saunier : deux heures peau à peau pour « entrer dans la vie ». La santé de I’Homme, N° 408, juillet-août 2010

[16] Bonet M, Foix l’Hélias L, Blondel B. Allaitement maternel exclusif et allaitement partiel en maternité : la situation en France en 2003. Archives de pédiatrie (Paris) 2008, Vol 15, Num 9, pp 1407-1415, 9 p ; ref : 27 ref

[17] Girard L. Communiquer autour de l’allaitement maternel en France. Les dossiers de l’obstétrique, N° 377, décembre 2008

[18] IHAB. Formulaire d’auto évaluation et critères pour les pôles Femme-Mère-Enfant. Site consulté le 10. 11. 2013 : http://amis-des-bebes.fr/pdf/documents-ihab/AutoevIHABpole.Fev2013.pdf