Crise de la périnatalité : l’ordonnance de l’Académie de médecine

L'Académie nationale de médecine demande un plan de périnatalité d’urgence. Outre la fermeture de 111 maternités de type 1 réalisant moins de 1000 naissances, elle propose une refonte globale du système de soins périnatal pour améliorer les indicateurs nationaux et répondre aux attentes des femmes.

Face à la crise de la périnatalité, l’Académie nationale de médecine propose sa feuille de route détaillée. Son contenu a fuité fin février, contraignant l’Académie à dévoiler son rapport avant son adoption formelle. 

Portées par le professeur Yves Ville, les recommandations vont dans le même sens que celles du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), rendues publiques mi-novembre 2022 et préconisant des regroupements de maternités. Mais le rapport propose une approche plus globale, allant au-delà de la seule concentration des moyens humains dans les grosses structures. Les départements et régions d’outre-mer faisant face à des problématiques spécifiques, le rapport se concentre sur la France métropolitaine.

DIAGNOSTIC SANS APPEL

L’Académie de médecine rappelle d’abord les facteurs ayant conduit à la dégradation actuelle. Les budgets consacrés à la périnatalité sont restés quasi identiques depuis la mise en place de la tarification à l’activité, alors que les coûts réels ont augmenté du fait de nouvelles normes de sécurité notamment. Face à cet « effet ciseau » entre les tarifs et les coûts, « la réduction massive des effectifs a été un levier choisi pour obtenir la réduction des coûts et elle s’est aggravée depuis 2009 avec la Loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) », souligne le rapport. S’ajoutent à cela des décisions réglementaires, comme la réduction du temps de travail des soignants ou la limitation des recrutements de praticiens étrangers. Résultats : les maternités de type 2 et 3 saturent, les établissements privés se désengagent de la périnatalité, les métiers du secteur ne sont plus attractifs, les fermetures ponctuelles ou définitives des petites et moyennes maternités s’accélèrent de façon erratique, les indicateurs périnataux sont mauvais et les attentes de la population ne sont pas satisfaites. « L’adoption d’un plan de périnatalité ambitieux est donc une urgence et une priorité de santé publique », estime l’Académie. 

Ce constat est largement partagé : les organisations de sages-femmes et le CNGOF demandent des États généraux de la naissance depuis plus d’un an. Et dans une tribune du 2 mars publiée dans Le Monde, la Société française de médecine périnatale, la Société française d’anesthésie et réanimation, le Caro, la Fédération des réseaux de santé en périnatalité, la Société française de néonatologie et l’association d’usagers SOS Préma alertent sur le risque de « naufrage » de la -périnatalité. Ces derniers jugent indispensable de regrouper les unités d’obstétrique, bien que les fermetures de maternités soient impopulaires. 

FERMER 111 MATERNITÉS

Pour l’Académie de médecine, les regroupements de maternité depuis vingt ans sont conduits sans réflexion globale ni anticipation. Selon elle, il faut poursuivre les restructurations, mais de façon planifiée. Maintenir les 111 établissements de type 1 réalisant moins de 1000 accouchements serait illusoire en raison de la désaffection des parturientes qui s’amplifie, du souhait des professionnels de travailler dans des équipes dotées, du recours croissant à l’intérim et des risques dans les plus petites structures qui ne disposent pas de médecins d’astreintes sur place en permanence. La France ne compterait alors plus que 321 maternités, dont 39 types 1 réalisant plus de 1000 accouchements. 

En parallèle, les 54 maternités de type 2 de moins de 1000 accouchements devraient être renforcées en priorité, selon le rapport. Pour éviter un effet « usine à bébé », l’Académie propose de doter toutes les maternités d’espaces physiologiques. Ces secteurs seraient « susceptibles d’intégrer les maisons de naissance », détaille le rapport. Les préconisations académiques portent aussi sur la continuité des soins et les ressources humaines dans les établissements. « Pour toutes les spécialités concernées, les listes de garde doivent intégrer au moins sept praticiens ayant une activité régulière dans la structure et qui participent à l’évaluation des pratiques », précise le rapport. Il insiste notamment sur le besoin d’un gynécologue-obstétricien de garde et d’un en astreinte opérationnelle, d’un anesthésiste-réanimateur et d’un infirmier anesthésiste de garde sur place et des sages-femmes en nombre proportionnel à l’activité. Pour rendre la profession de sage-femme attractive, l’académie recommande la création d’un statut de -praticien en maïeutique au sein des maternités publiques.

42 700 FEMMES ÉLOIGNÉES

L’Académie de médecine a tenté de modéliser l’impact des restructurations proposées. La fermeture des 111 maternités qui sont les seules sur leur commune augmenterait de 32 176 le nombre de naissances à plus de 30 minutes du domicile. Au total, près de 42 700 femmes résideraient au-delà de ce temps d’accès. En moyenne, 3 % des femmes, soit plus de 21 000, résideraient dans une commune située à plus de 45 minutes d’une maternité, contre 1,2 % en 2021, soit plus de 8600 femmes. Et 0,9 % des femmes seraient à plus de 60 minutes d’une maternité, soit près de 6000 femmes, au lieu de 0,3 % en 2021, soit plus de 1900 femmes. Les départements les plus concernés seraient ceux des zones montagneuses, à faible densité de population. L’Académie liste ainsi l’Allier, l’Ardèche, le Cantal, le Puy-de-Dôme, la Côte-d’Or, la Saône-et-Loire, la Corse-du-Sud, la Haute-Marne, l’Orne, la Corrèze, la Creuse, la Dordogne, le Lot-et-Garonne, les Pyrénées-Atlantiques, l’Ariège, l’Aveyron, le Gers, la Haute-Garonne, le Lot, la Lozère, les Alpes-de-Haute-Provence, les Hautes-Alpes et la Nièvre.

Pour accompagner les femmes éloignées, l’Académie propose d’améliorer les transports d’urgence – Samu et Smur – qui pourraient davantage intégrer de sages-femmes dans leurs équipes. Les hôtels hospitaliers, déjà prévus dans l’engagement maternité, seraient aussi pris en charge. Les maternités qui auront fermé deviendraient des « centres de prise en charge de la femme et du nouveau-né », pour le premier recours, l’orientation et le suivi des grossesses. Il s’agirait ainsi de centres périnataux de proximité normés, ce qui n’est pas le cas actuellement. 

UN PLAN RÉALISTE ?

Alors que les réseaux de santé en périnatalité assurent surtout des liens interétablissements aujourd’hui, l’Académie insiste surtout sur le besoin d’une plus grande coopération ville-hôpital. Elle propose des « groupements hospitaliers périnataux de territoire » associant les structures hospitalières et les professionnels libéraux, jugés essentiels. « Forcer les sages-femmes à rester à l’hôpital est sans fondement, estime Yves Ville. Elles effectuent un travail nécessaire auprès des familles en libéral. »

Ces groupements seraient définis par le temps d’accès à une structure de type 2 ou 3. L’Académie insiste alors sur la nécessaire bonne coordination entre tous les acteurs pour qu’une telle organisation soit sûre. Le dossier personnel médicalisé servirait de lien, des relations inter-ARS devraient voir le jour, car certains groupements ne correspondraient pas au découpage régional actuel.

Ces propositions sont présentées comme les seules possibles compte tenu de la réalité de terrain. Pour le CNGOF, elles doivent s’accompagner de mesures pour rendre l’activité en type 2 et 3 attractive, avec une revalorisation forte des salaires, actes, gardes et astreintes.

Mais ces mesures suffiront-elles à assurer le principe de vases communicants avancé par l’Académie de médecine ? Après avoir été critiqués pour l’insécurité de leur établissement au sein de réseaux de périnatalité très CHU centrés, les professionnels des types 1 fermés iront-ils exercer auprès de leurs collègues de type 2 et 3 ? Par ailleurs, assurer la coordination des soins pour les femmes éloignées des maternités est déjà une gageure. Qu’en sera-t-il pour près de 32 000 femmes de plus ? Combien d’accouchements inopinés extrahospitaliers auront-ils lieu, avec leurs conséquences délétères sur le vécu des femmes ? La création d’un Observatoire du vécu maternel et d’un Observatoire national de la périnatalité, proposée par l’Académie de médecine, -suffira-t-elle ? 

En admettant les préconisations de l’Académie, il faut repenser l’architecture et le dimensionnement des maternités maintenues et former davantage de professionnels.
Or l’Académie de médecine n’a proposé aucun déroulé chronologique réaliste de son plan, qui demande pourtant du temps. Si le traitement des maux de la périnatalité paraît simple sur le papier, il peut s’avérer plus complexe sur le terrain. 

Par ailleurs, le Gouvernement adoptera-t-il toutes les mesures préconisées ou se contentera-t-il de fermer 111 maternités, au mépris de la cohérence voulue par -l’Académie de médecine ? Pour l’instant, le Gouvernement est concentré sur les Assises de la pédiatrie et attend l’évaluation de la politique périnatale en cours à la Cour des comptes. 

Déjà, l’Association des petites villes de France, présidée par Christophe Bouillon, ancien député de Seine-Maritime et maire de Barentin, dénonce une politique de l’offre de soins basée sur la rationalisation financière. « Continuer à fermer des maternités, dans les territoires qui manquent déjà globalement de services médicaux, n’aurait pour conséquence qu’une aggravation des inégalités d’accès à la santé, écrit l’association dans un communiqué. Si des mutualisations peuvent parfois s’avérer nécessaires, elles ne doivent pas toujours se faire au profit des seules métropoles. » Sans surprise, la Coordination nationale de défense des hôpitaux et maternités de proximité rejette aussi les recommandations de l’Académie de médecine. Dénonçant un rapport « plus politique que scientifique », elle demande plus de moyens pour la santé et le maintien des maternités de proximité. Quant aux élus concernés par les fermetures préconisées, ils ne vont pas manquer de se mobiliser.

■  Nour Richard-Guerroudj