Obstetrica : Comment avez-vous été amenée à travailler sur la douleur du clitoris ?
Leen Aerts : Je fais la consultation pathologie de la vulve aux Hôpitaux universitaires de Genève, ainsi que la consultation douleur chronique en gynécologie vulvaire et pelvienne. J’y reçois des patientes avec douleurs du clitoris, et si l’on regarde la littérature, il y a peu de connaissances sur ce sujet. On estime que 10 % des femmes souffrent de douleurs chroniques de la vulve. Le pourcentage des femmes souffrant d’une douleur au niveau du clitoris est inconnu. Les femmes n’osent souvent pas en parler ; déjà, parler de douleur vulvaire peut être compliqué, mais évoquer une douleur du clitoris, c’est encore plus difficile. Et cela concerne des patientes de tous âges, je reçois des femmes de 18 à plus de 70 ans.
Par ailleurs, j’ai travaillé au Canada dans le laboratoire de la professeure Sophie Bergeron sur les douleurs génitales. J’ai collaboré avec le docteur Irwin Goldstein, ancien président de l’International Society for the Study of Women’s Sexual Health et directeur du Centre pour la médecine sexuelle à San Diego. Le docteur Goldstein et moi avons fait une recherche (1) pour regarder parmi les femmes qui venaient à cette consultation de médecine sexuelle le pourcentage de patientes présentant des adhérences du capuchon du clitoris. Le résultat était assez élevé : 23 %.
Vu le fait qu’il y a peu de données scientifiques sur la douleur au niveau du clitoris, j’ai commencé une étude sur ce type de douleur qui contient deux parties :
- un examen clinique et une IRM pelvienne pour évaluer les facteurs cliniques qui peuvent provoquer la douleur ;
- un questionnaire pour évaluer l’impact de cette douleur sur la vie sexuelle, le moral et la relation de couple.
Le clitoris et la douleur du clitoris sont-ils assez pris en compte aujourd’hui, dans le monde médical et celui de la recherche ?
Heureusement, depuis quelques années, le clitoris apparait dans les livres de médecine et fait partie de l’éducation des médecins et professionnels de santé. Et heureusement, il y a aussi de plus en plus de connaissances diffusées dans les médias sur ce petit organe important pour la femme !
Par contre, je vois que la connaissance sur leur propre vulve est encore (trop) minime chez les femmes. Quand je fais l’examen clinique durant la consultation, j’utilise un vulvoscope pour montrer la vulve à la patiente. C’est une sorte de caméra qui me permet de mieux voir les détails de la vulve et qui permet à la femme de suivre sur écran ce que je regarde. Alors, je montre l’anatomie de la vulve à toutes mes patientes. Étonnamment, je vois que pas mal de femmes ne connaissent pas leur propre anatomie. Alors, je donne volontiers des explications sur l’anatomie de la vulve à mes patientes en montrant leur vulve sur l’écran.
Même si l’anatomie du clitoris est abordée durant les cours de médecine, je remarque malheureusement que la vulve n’est souvent pas encore assez regardée ou bien évaluée dans l’examen clinique gynécologique classique, et encore moins le clitoris. Et pour pouvoir diagnostiquer des pathologies au niveau de la vulve, et plus spécifiquement au niveau du clitoris, il faut d’abord avoir connaissance de l’anatomie normale !
Concernant la douleur, je pense qu’en général la douleur de la femme est encore considérée comme quelque chose de normal par de nombreuses patientes et médecins : la douleur de l’accouchement, celle des règles, celle des rapports sexuels. J’entends souvent : « Mon médecin a dit que la douleur pendant les rapports sexuels est normale », ou alors, venant des patientes elles-mêmes : « Mais toutes les femmes ont des douleurs ! » C’est quelque chose qui doit changer !
Les docteures Nicole Keller et Cornelia Betschardt, de l’Hôpital universitaire de Zurich, soulignent le fait que, contrairement à celles du pénis, les capacités érectiles du clitoris ne sont pas une préoccupation en cas de chirurgie. Est-ce que vous partagez cette constatation ?
Effectivement. Aux derniers congrès des grandes associations de médecine sexuelle, ce sujet est heureusement de plus en plus abordé. Par exemple, il y a des chirurgies pour incontinence urinaire où l’on opère tout près de l’urètre. Comme chez l’homme (la prostate), il y a des glandes localisées à ce niveau. On se demande si la chirurgie touche ces glandes et si cela a un impact sur la fonction sexuelle de la patiente. Jusqu’à maintenant, il y a très peu de recherches sur ce sujet.
Quels sont les signes ou douleurs qui conduisent les femmes à vous consulter ?
Les signes sont très variables. La douleur peut être de type brûlure, irritation, lancement ou autre. La douleur peut être provoquée par contact (durant l’activité sexuelle, par vêtement serré…) ou spontanée, donc sans contact. La douleur peut être localisée au niveau du clitoris, mais parfois elle est plus diffuse au niveau de la vulve ou irradie.
Les patientes sont adressées par des collègues gynécologues ou bien par des sages-femmes, des physiothérapeutes, des ostéopathes…
Quelles en sont les principales causes?
Quand je fais une évaluation de la douleur au niveau du clitoris, je le fais en plusieurs étapes : d’abord, j’examine la vulve, puis le bassin, et par la suite j’évalue le sacrum et le dos, car le nerf pudendal qui donne la sensibilité au niveau du clitoris part de S2-S4.
Au niveau de la vulve, je regarde s’il y a des inflammations, des pathologies dermatologiques, des lésions. Et je palpe la vulve pour évaluer s’il y a des masses qui peuvent provoquer une douleur ou une pression. Je rétracte le capuchon du clitoris pour voir s’il y a des sécrétions collectionnées ou des adhérences entre le gland du clitoris et le capuchon. L’inflammation en dessous de ces adhérences peut provoquer une douleur au niveau du clitoris.
Puis je fais un toucher vaginal pour évaluer le nerf pudendal et les muscles pelviens. Le nerf pudendal part du sacrum, va dans le pelvis et passe entre les muscles pour donner les branches au niveau du clitoris. Souvent, les femmes qui ont des douleurs vulvaires ou pelviennes contractent ces muscles pelviens. La contracture des muscles pelviens peut comprimer les nerfs pudendaux et donc provoquer une douleur au niveau de la vulve.
Finalement, j’évalue le sacrum et le dos. Je demande aussi une IRM pelvienne pour diagnostiquer des fissures ou hernies discales ou autres pathologies qui peuvent irriter le nerf pudendal.
Quand elle est liée au nerf pudendal, la douleur est-elle concentrée sur le clitoris ou peut-elle être plus diffuse ?
Tout dépend de la localisation de la lésion ou inflammation. Si la lésion/inflammation est située au niveau des branches clitoridiennes du nerf pudendal, la douleur sera plus au niveau du clitoris. Mais si le nerf est irrité plus haut dans le bassin, la douleur peut être plus diffuse dans le pelvis ou la vulve.
La grossesse et l’accouchement ont-ils une incidence sur la douleur du clitoris ?
C’est possible, oui. On peut avoir des lésions au niveau du nerf pudendal après un accouchement par voie basse. Le risque est plus augmenté après un accouchement instrumenté. De même, une déchirure vulvaire suite à l’accouchement peut être localisée tout près du gland du clitoris et provoquer des douleurs.
Peut-on observer inversement, non pas une douleur, mais une perte de sensibilité ?
Oui, c’est plus rare, mais il y a des femmes qui consultent pour une diminution de sensibilité. Une diminution de la sensibilité peut être provoquée par un problème neurologique, donc il faut une évaluation neurologique. Par contre, dans la plupart des situations, il y a une diminution de la sensibilité suite à une hypotonicité des muscles pelviens. Quand les muscles sont trop « fatigués », il y aura moins de sensibilité vaginale et aussi au niveau du clitoris. Puis, il ne faut pas oublier qu’une bonne éducation sur l’anatomie et la physiologie de la vulve et du clitoris peut aussi aider les patientes à mieux utiliser ce petit organe.
Quels sont les traitements possibles des douleurs du clitoris ?
Le traitement de la douleur dépend de l’étiologie de la douleur. S’il y a une inflammation ou une maladie dermatologique au niveau de la vulve, comme le lichen scléreux (2), on traite la maladie. Quand il y a des sécrétions en dessous du capuchon, qui irrite le clitoris, on les enlève. Souvent, les adhérences entre le gland du clitoris et le capuchon peuvent être enlevées sous anesthésie locale.
S’il y a une hypertonicité des muscles, j’adresse la patiente à une physiothérapeute spécialisée en muscles pelviens et en douleur. Parfois, on organise des infiltrations des nerfs pudendaux.
Et bien sûr, s’il s’agit d’une fissure ou hernie discale, on collabore avec des neurologues.
Un message de conclusion ?
Un message pour toutes les femmes : il ne faut pas accepter la douleur génitale, ni la douleur pendant les menstruations ni la douleur pendant les rapports sexuels ! Pour les patientes, la honte de parler de la douleur génitale est encore très grande. Alors, c’est à nous, les médecins, les infirmiers et les sages-femmes, de commencer la discussion sur la douleur génitale, et c’est à nous de bien examiner les femmes et de prendre leurs plaintes au sérieux. L’impact d’une douleur chronique sur le moral, l’estime de soi, la vie sexuelle et la relation de couple peut être tellement important et causer une détresse énorme. C’est aussi la raison pour laquelle on ne doit pas limiter l’évaluation de la douleur à une évaluation de l’anatomie et physiologie de l’organe douloureux, mais évaluer tous les facteurs biologiques, psychologiques et sociaux qui peuvent être associés avec la douleur. Et pour cela, il faut travailler en équipe, car chaque spécialiste (gynécologue, physiothérapeute, ostéopathe, psychiatre/psychologue, sexologue…) a ses compétences, mais aussi ses limites.
■ Propos recueillis par Jeanne Rey
Pour en savoir plus :
(1) Aerts, L., Rubin, R. S., Randazzo, M., Goldstein, S. W., Goldstein, I. (2018). Retrospective Study of the Prevalence and Risk Factors of Clitoral Adhesions: Women’s Health Providers Should Routinely Examine the Glans Clitoris. Original research women’s sexual health ; vol. 6, issue 2, p. 115-122, juin. https://www.smoa.jsexmed.org/article/S2050-1161(18)30025-4/fulltext
(2) Günther, A. et Kalberer, U. (2018). Quand la vulve brûle et démange. Obstetrica ; 12, p. 58-61. https://obstetrica.hebamme.ch/fr/profiles/3f957b8ee011-obstetrica/editions/obstetrica-12-2018/pages/page/30