Les tensions en ressources humaines dans les maternités sont-elles la principale préoccupation des sages-femmes coordinatrices ?
Lors des journées d’étude de l’ANSFC, où nous étions 250, nous avons senti un fort besoin de nous retrouver. Celles qui « galèrent » ont besoin d’unir leurs forces, de travailler en réseau, d’échanger leurs expériences. D’où une large part donnée aux retours d’expériences cette année. Face à cette demande, l’ANSFC va aussi organiser un webinaire au premier semestre 2024, pour favoriser des échanges plus intensifs et être moins seules.
Nos préoccupations sont orientées sur la gestion du personnel, en effet. Les manques concernent les sages-femmes, mais aussi les anesthésistes, pédiatres ou obstétriciens, avec des maternités qui ferment temporairement ou définitivement. Le précédent ministre de la Santé, François Braun, souhaitait mettre sur pied une « mission maternités ». Nous n’avons pour l’instant aucun écho de son successeur. L’ANSFC a envoyé un courrier d’alarme.
La gestion des ressources humaines est stressante, met à mal les dynamiques d’équipe et de gestion de projets. Il faut sans cesse former les professionnels en CDD ou CDI ou ceux qui viennent dans le cadre de vacations. Certains postes sont aussi difficiles à pourvoir en coordination, car les professionnelles sont dépitées.
Nous avons connu ces difficultés sur des périodes courtes, comme certains étés, où il était alors possible de rebondir. Mais nous sommes entrés dans la gestion de tensions sur le temps long.
Lors de nos journées d’étude, le philosophe David Maillard est intervenu sur la question du dépassement de soi et de la performance au service de l’équipe. Il a fait passer un message important : il faut s’autoriser à sortir la tête de l’eau, à prendre ses RTT et à sortir de la pression pour s’occuper de soi. Ce message était nécessaire en cette période difficile.
Les coordinatrices se réinventent et c’est ce que nous avons voulu partager lors de nos journées. Nathalie Medrano, coordinatrice en région parisienne, a témoigné des changements observés ces dernières années, la bascule du recours à l’intérim, qui ne suffit parfois plus, le recentrage des effectifs de sages-femmes sur les salles de naissance. Cela implique d’arrêter de proposer la préparation à la naissance par des sages-femmes ou des consultations. Valérie Folie, de Guyane, a abordé la façon de s’adapter aux nouvelles formes d’engagement des sages-femmes. Bien souvent, ces dernières ne souhaitent pas s’engager sur des contrats longs en Guyane.
Le témoignage de Fabienne Galley-Raulin, qui a mis en place le projet de Coaching parental, baptisé Copa, au sein du groupement hospitalier de territoire Grand-Est (voir Profession Sage-femme n° 275) invite à s’ouvrir et travailler différemment avec les professionnels de ville. Yves Ville est venu présenter les propositions de l’Académie de médecine et il est certain que l’organisation des soins de demain ne sera pas celle d’aujourd’hui.
Quelles sont les marges de manœuvre des coordinatrices pour rendre les postes attractifs ?
Les maternités ont des contraintes organisationnelles pour pouvoir fonctionner. Nous étions à l’écoute des soignants et nous le sommes davantage pour comprendre leurs besoins et tenter de nous y adapter. Les seuils de tolérance sont plus faibles chez les nouvelles professionnelles. Elles viennent moins spontanément aider en cas de besoin. Les solliciter nécessite d’assurer le paiement des heures supplémentaires. Il faut aussi tenter d’être très flexible pour satisfaire les sages-femmes qui souhaitent faire des consultations. Mais nous ne pouvons faire du sur-mesure.
Les nouvelles professionnelles arrivent dans des équipes déjà en tension et elles ont du mal à trouver leur équilibre, d’où un turnover important. Au-delà de la question de la rémunération, il faut tenter de répondre aux besoins de qualité de vie des professionnels en matière de logement ou de garde d’enfant. De plus en plus, dans les hôpitaux, les directions sont attentives à créer des micro-crèches ou à proposer des logements dits d’atterrissage.
Mais nos marges de manœuvre sont insuffisantes pour proposer des activités qui plaisent aux sages-femmes. Alors que nous recentrons nos forces vives sur la salle de naissance, celles qui se sont spécialisées, en suivant un DU d’acupuncture ou d’allaitement par exemple, ne peuvent exercer leur expertise. Elles se dirigent alors parfois vers la pratique libérale.
Ces constats, nous les avons faits avec toutes les organisations de sages-femmes, au sein d’un travail collaboratif du Conseil national professionnel. Le prochain cap à passer est de le mener de façon pluridisciplinaire avec les gynécologues-obstétriciens, les anesthésistes, les pédiatres, car les tensions en ressources humaines concernent toutes les professions et nous avons besoin les uns des autres. Nous avions commencé, en 2018, lorsque nous avons travaillé la refonte des décrets de périnatalité. Il y avait globalement une bonne cohésion.
Y a-t-il des tensions entre les coordinatrices et les sages-femmes de terrain ?
Le sentiment chez de nombreuses coordinatrices est qu’elles ne sont pas soutenues par les équipes de sages-femmes lorsqu’elles souhaitent faire appliquer les textes. Ces dernières sont fatiguées, blasées. Elles souhaitent faire leurs heures et ne plus entendre parler du travail en dehors. L’absence de dynamique de projet accentue aussi le désinvestissement des sages-femmes. C’est un cercle vicieux. Dans ces conditions, défendre le fait que les coordinatrices doivent être rattachées aux directions médicales ou que les cadres de santé soient des sages-femmes est difficile sans le soutien des sages-femmes de terrain dans certains établissements.
Vous sentez-vous entendues par les ARS ?
Selon les territoires et les personnes, l’écoute est présente et des portes s’ouvrent. Je constate que quand une sage-femme exerce au sein d’une ARS, les ouvertures sont différentes. Nous y avons notre place et à nous de montrer de quoi nous sommes capables en y postulant. C’est une piste intéressante.
Quelles sont les autres préoccupations de l’ANSFC ?
Les coordinatrices en maïeutique sont préoccupées par leur avenir, car les textes régissant leurs fonctions n’ont pas été revus et nous avons du mal, par exemple, à mettre en place les unités physiologiques. Toutes se sont engagées sur un poste de cinq ans, renouvelable une fois légalement. De nombreuses coordinatrices voient donc leur poste arriver à échéance. Soit leur poste est remis à la vacance, soit elles changent de maternité, soit elles sont orientées vers une autre activité, au sein d’une ARS ou en intégrant une direction. C’est mon cas et je suis désormais chargée de mission au sein de la direction du CH Annecy-Genevois, qui dispose de deux sites. Je suis chargée du lien ville-hôpital au sens large, au-delà de la seule périnatalité. Je suis aussi chargée d’organiser la prise en charge des patientes victimes de violences. Une enquête de l’ANSFC a montré l’an dernier que cette question de l’avenir des coordinatrices était une préoccupation forte. Nous devons à présent enquêter pour identifier comment elles rebondissent à l’issue de leurs dix années d’exercice.
Autre sujet de préoccupation : l’universitarisation de la profession et l’ajout d’une sixième année d’études engendrent une crainte pour les sages-femmes coordinatrices chargées d’enseignement. Elles redoutent que les postes nécessitent alors des compétences en recherche. Elles s’interrogent sur celles qui seront qualifiées pour enseigner dans un cadre universitaire, la question d’un statut bi-appartenant n’étant pas réglée. Les coordinatrices se questionnent aussi sur la façon dont elles vont travailler avec les futures diplômées. Enfin, l’année blanche induite par la réforme, sans diplômées, inquiète en termes de gestion des ressources humaines.
■ Propos recueillis par Nour Richard-Guerroudj