« Le lobbying est une corruption autorisée »

Serge Hercberg, nutritionniste de santé publique, évoque les principales techniques de manipulation développées par les lobbies de l’agroalimentaire. Professeur émérite à l’Université Sorbonne-Paris Nord, il a vécu de l’intérieur l’action de ces lobbies et leurs batailles souterraines pour protéger leurs intérêts.

Quelle est la stratégie des acteurs du marché des laits infantiles ? Tous ces produits peuvent avoir une utilité pour les femmes qui ne peuvent pas ou ne souhaitent pas allaiter. Cela est tout à fait respectable, mais ce qui est choquant, c’est tout le marketing qui est fait autour de ces produits pour en vendre en plus grande quantité, ce qui se fait obligatoirement au détriment de l’allaitement maternel. C’est un marché en pleine croissance. Les chiffres sont très impressionnants. Le marché est placé sous la coupe d’un certain nombre de grands groupes agroalimentaires, parmi lesquels Nestlé ou Danone, ainsi que Cargill et Abbott. Il existe aussi d’autres acteurs, qui possèdent une branche de ces préparations destinées aux très jeunes enfants, comme Lactalis. Leur stratégie pour promouvoir leurs produits vise à agir sur différents niveaux : les cibles principales que sont les parents et leur environnement, mais aussi les professionnels de santé, les scientifiques et la recherche, ainsi que les politiques. Le registre de discours tenu par ces sociétés joue sur l’émotionnel, car la grossesse et les suites de l’accouchement constituent une période où les personnes, particulièrement les femmes, sont très vulnérables, sur les plans émotionnel, psychique et physique. Ces groupes ne se positionnent jamais frontalement contre l’allaitement maternel. Ils essaient de jouer sur un côté rassurant, avec des produits qui « répondent aux besoins des enfants », dont on peut contrôler la qualité, la quantité, le rythme… Face aux professionnels de santé, les lobbies sont extrêmement subtils, en essayant d’être présents et en apportant énormément d’informations, en promouvant leurs marques à travers des cadeaux indirects, comme le financement de formations, l’achat de matériel, des prix de thèses, des bourses de recherche, etc. C’est toujours fait avec l’idée de ne pas montrer qu’ils essaient d’interférer sur la vision que peuvent avoir les professionnels…

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