Dossier partagé informatisé, le cas unique de l’Auvergne

Pour faciliter le lien entre les professionnels de l’hôpital et de la ville, partager de façon fluide les informations concernant les patientes est un des axes plébiscités. Cas unique, le Réseau de santé périnatale d’Auvergne a mis en place un dossier informatisé partagé depuis 2008.

L’existence d’un dossier informatisé périnatal, partagé entre professionnels de la ville et de l’hôpital en Auvergne, semble être un cas unique en France. En 2006, le Pr Didier Lémery, président du Réseau de santé en Périnatalité
d’Auvergne (RSPA), avec l’appui de Françoise Vendittelli, obstétricienne engagée dans l’association Audipog, profitent de crédits du Fonds européen de développement régional (Feder) pour financer la création d’un outil informatique. Ils s’appuient sur le modèle papier du dossier Audipog, très complet. 

Les financements permettent à la fois de créer l’outil logiciel et d’équiper les maternités en ordinateurs. D’emblée, le logiciel Icos Maternité, développé par la société Medicode, est proposé à la fois aux maternités de la région et aux professionnels libéraux impliqués. Il est déployé de façon opérationnelle en 2008. « C’est un dossier médico-psychosocial, comprenant un volet sur les vulnérabilités, témoigne Anne Debost-Legrand, médecin au RSPA. Il est partagé entre les professionnels de la périnatalité de l’hôpital, installés en libéral ou professionnels territoriaux de PMI, mais aussi avec des psychologues, psychiatres ou infirmières spécialisées. Seule différence entre ces professionnels : tous ne disposent pas des mêmes droits d’accès ou d’intervention sur le dossier. »

UN OUTIL DE BASE…

Gratuit et archivé via le système informatique du groupement de coopération sanitaire Sara, l’outil est désormais employé par 10 maternités sur les 11 établissements d’Auvergne. Près de 100 % des jeunes sages-femmes installées en libéral l’utilisent et 90 % des sages-femmes installées de longue date. « Nous n’avons quasiment plus de gynécologues-obstétriciens en libéral et peu de généralistes suivent les grossesses. Mais tous ceux qui le font utilisent Icos Maternité », rapporte la docteure Anne Debost-Legrand.

Pour les professionnels, le logiciel est devenu un outil indispensable. « Le dossier informatisé partagé a de nombreux avantages par rapport au dossier papier classique, note Julie Duclos, une des sages-femmes coordinatrices du RSPA, exerçant aussi en libéral. Sur papier, les transcriptions sont souvent illisibles, mal complétées. Pour un professionnel libéral, cet outil représente la base pour travailler efficacement. Je n’imagine pas que je saurais de nouveau travailler sans. Lorsque j’adresse une femme à l’hôpital, je peux suivre sa prise en charge grâce à son numéro de dossier. De même, la libérale qui reçoit une femme en post-partum aura accès à toutes les informations concernant la grossesse et l’accouchement de sa patiente. Les informations sont claires, sans redites. »


Le dossier informatisé partagé Icos Maternité comprend plusieurs volets médico-psychosociaux. © D.R.

L’outil peut tout tracer, intégrant tous types de documents : les hospitalisations en cours de grossesse, les monitorings de suivi à domicile, etc. « Il ne s’agit pas d’une application et aucun professionnel ne reçoit de notifications l’avertissant de tel ou tel détail, complète Julie Duclos. Mais il est possible de se créer des alertes, des notes partageables concernant des informations délicates. »

« Le dossier informatique partagé est normé, structuré comme un dossier Audipog, disponible sur n’importe quel support à travers l’internet, plaide Anne Debost-Legrand. L’archivage permet de conserver l’antériorité de toutes les grossesses d’une patiente. Il sert donc à la recherche et permet d’émettre des requêtes à des fins d’évaluation. Le modèle est donc transposable. »

… ET ÉVOLUTIF

En 2020, le dossier a été mis à jour, complété d’un volet sur le suivi diabétologique et endocrinologique des patientes et d’un volet IVG. Suite à la création de l’entretien prénatal précoce en juillet 2022, le dossier va encore être actualisé et comprendre de nouveaux volets.

En 2017, Icos Maternité a aussi donné naissance à un dossier informatique partagé concernant les enfants vulnérables nés au sein du RSPA (enfants prématurés, de petits poids de naissance, avec une pathologie anoxo-ischémique ou une cardiopathie). Ce dernier est partagé entre les pédiatres hospitaliers et libéraux, les généralistes et les Centres d’action médicosociale précoce (Camsp). La cohorte augmente chaque année. Fin 2021, la cohorte comptait 600 enfants, suivis pendant leurs sept premières années de vie, avec un lien vers le dossier obtétrical de leur mère.

À l’heure de la santé numérique et de la coopération entre professionnels de santé, plébiscitées par les politiques, il paraît difficile de croire qu’il n’y ait aucune volonté nationale de généraliser un tel dossier numérique. En Auvergne, la pérennité de l’outil, qui a fait ses preuves depuis près de quinze ans, est pourtant remise en cause chaque année. « Avec la fusion des ARS en 2016, du fait de la création des grandes régions, nous dépendons désormais de Lyon, témoigne Anne Debost-Legrand. L’ARS mène donc des concertations avec quatre autres réseaux périnataux qui ne disposent pas du même outil que nous. Il est ainsi difficile de convaincre de notre besoin de financer un poste pour la maintenance informatique de l’outil et la hotline. Nous devons nous battre chaque année pour obtenir le financement du dispositif. Ailleurs, le dossier Icos Maternité est utilisé également, mais uniquement en inter ou intra-établissement. Il faut un réseau périnatal pour porter un tel projet interprofessionnel. Aujourd’hui, les crédits Feder sont plus complexes à obtenir, de nombreuses ARS refusent de financer de tels outils et il n’y a pas de volonté nationale. »

Le déploiement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), censées faciliter le lien ville-hôpital, permettra-t-il d’obtenir les financements pour créer des outils de ce type ? Encore faudra-t-il que la périnatalité soit inscrite dans leur priorité, grâce à des sages-femmes impliquées. Sur le terrain, les sages-femmes libérales sont en tout cas en demande d’outils simples d’utilisation de liaison avec les hôpitaux.

■ Nour Richard-Guerroudj