Qu’avez-vous souhaité apporter avec ce livre ?
Les livres de témoignages datent d’il y a plusieurs années déjà. L’ouvrage d’Iliana Weizman, que nous citons, est davantage un essai traitant du post-partum. D’autres ouvrages plus théoriques sur la dépression post-partum développent les connaissances sur le sujet en psychologie et en psychiatrie. Or nous avons souhaité aborder la souffrance maternelle en tant que personnes concernées qui en sont sorties, pour apporter un vécu entre pairs et parler entre femmes. Par ailleurs, Larousse, notre éditeur, souhaitait un ouvrage accessible au plus grand nombre, aux femmes, mais aussi à leur entourage et aux professionnels de santé. Nous avons donc écrit à quatre mains et prévu des encadrés et encarts spéciaux à leur intention.
Nous abordons bien sûr les aspects théoriques, dans un premier chapitre qui pose les différentes notions, et nous rappelons les livres parus sur le quatrième trimestre de la grossesse, le mois d’or, le burnout parental, le regret maternel, etc. Mais notre regard est celui de femmes ayant traversé la dépression périnatale pour moi-même et postnatale pour Chloé Bedouet.
Notre objectif est très pratique. Il ne s’agit pas de donner des conseils aux femmes, car chaque situation est unique et elles sont déjà submergées par de nombreuses injonctions. Nous souhaitons davantage donner des pistes de réflexion et de soutien.
Sur la question de l’isolement des mères en post-partum par exemple, nous donnons de nombreuses ressources, évoquons les professionnels à l’écoute ou les associations susceptibles de guider ou d’accompagner les femmes. Nous n’avons pas de solution toute faite, chacune peut y piocher ce qui lui convient. Concernant les facteurs de risque, nous avons pris le parti de les mentionner dans leur totalité, car différentes écoles cohabitent. Le dernier chapitre est consacré à l’après, car il était primordial d’insister sur le fait que la dépression postnatale peut être dépassée. Les femmes ont souvent peur des séquelles de leur mal-être pour leur couple et surtout pour leur enfant. Nous souhaitions bien sûr dire que l’enfant est touché par la dépression de sa mère, mais que cela peut évoluer avec un accompagnement adapté pour la mère et l’enfant. Nous avons déjà eu des retours de femmes en pleine tempête. Elles se servent de notre livre, ce qui nous donne le sentiment d’avoir atteint notre objectif qui était de toucher les femmes concernées. Le fait que nous ayons écrit ce livre avec nos tripes parle aux principales intéressées.
Près de deux ans après les annonces de la politique des 1000 premiers jours, quel bilan tirer des mesures prises ?
Le post-partum était un désert. Mais les choses sont en train de bouger sur le terrain et au niveau politique. L’entretien postnatal est par exemple une très bonne décision et proposition, mais sa mise en œuvre se heurte à un problème de moyens. L’application des 1000 premiers jours et plus spécifiquement le dispositif 1000 Jours Blues, auquel j’ai été associée pour que les personnes puissent être accompagnées et orientées via cette interface en cas de besoin, demandent des moyens pour être pérennes. Or les budgets ne sont pas garantis et nous n’avons que peu de projections sur le projet. Pourtant, en un an et trois mois, j’ai pu orienter plus de mille personnes, ce qui n’est pas négligeable. Cela nous a permis de toucher un public plus large et différent de celui que l’association rencontre d’ordinaire. Il s’agissait notamment de femmes en situation de précarité ou ayant subi des violences conjugales ou de très jeunes filles-mères. Elles ne nous contactaient pas uniquement pour des questions de difficulté maternelle, mais en amont, dès leur grossesse. Je pense à une femme enceinte souhaitant accoucher sous X ou à des femmes des départements et territoires d’outre-mer, faisant face à des problèmes de logement, d’insalubrité ou de peur des serpents, par exemple. Il s’agit de prévention au sens large, avec des problématiques qui ne relèvent bien sûr pas de ma compétence. Mais je disposais de quoi les orienter. Cette mise en lien avec les professionnels de santé est souvent essentielle, d’autant que les réseaux de périnatalité ne connaissent pas toujours leurs propres ressources ! De nombreuses situations ne sont pas prises en charge à temps et sont explosives en post-partum. Ce projet d’application nous a montré que l’outil peut fonctionner et être utile. Mais des moyens financiers sont nécessaires pour continuer.
Les mesures annoncées prévoyaient aussi l’ouverture de « maisons des 1000 premiers jours » ou la remise d’un sac dédié en maternité ?
Les ouvertures de maisons des 1000 premiers jours restent marginales. Et le cahier des charges est flou : des PMI sont à même de devenir des maisons des 1000 premiers jours, donc il ne s’agit pas de moyens humains supplémentaires. En réalité, il faudrait surtout renforcer les centres de PMI plutôt que de créer de nouvelles structures. Quant au sac des 1000 premiers jours, il s’est agi d’une opération ponctuelle, avec 22 000 sacs distribués. Nous ignorons si l’opération va se poursuivre. Quand au livret des 1000 premiers jours, son envoi a débuté dès octobre 2021 par la Poste à tous les couples attendant un enfant. Mais je n’ai aucun retour précis sur ce projet.
Quels sont les projets de l’association Maman Blues ?
Nous avons participé au projet européen Path (voir le site path-perinatal.eu/fr/), initié sur quatre ans, centré sur la santé mentale périnatale et qui se décline en quatre actions. Premièrement, nous avons participé à la construction d’un Mooc d’enseignement pour donner aux professionnels des notions de base sur le processus psychique de la maternité, les troubles psychiques périnatals, le suicide, le déni de grossesse, etc. Il est en fin de construction et sera accessible gratuitement très prochainement sur la plateforme PNS. En second lieu, nous avons collaboré à la construction d’un podcast sur la parentalité et le travail, commande faite à Élise Bultez, réalisatrice et productrice de podcasts. Cet outil permettra de sensibiliser les professionnels et employeurs à la souffrance psychique maternelle et aux besoins parentaux sur la période périnatale. Troisièmement, nous sommes aussi en train de relire des bandes dessinées d’information à destination des pères, avec l’ONG The Ink Link, qui a l’expérience en matière de lecture facile à lire et à comprendre pour informer les populations « empêchées ». Pour finir, nous avons relu le livret d’information à destination des parents, dirigé par le Psycom (site d’information sur la santé mentale, www.psycom.org, NDLR). Maman Blues participe également depuis plusieurs mois au groupe de travail de la Haute Autorité de santé pour la rédaction d’une recommandation de pratique clinique, intitulée « Repérage, Diagnostic et Prise en charge des troubles psychiques périnatals ».
■ Propos recueillis par Nour Richard-Guerroudj