
Une méthode ancienne, mais qui pourrait être révolutionnaire
Depuis 2023, le docteur Philippe Gosse, cardiologue et spécialiste de l’hypertension artérielle au CHU de Bordeaux, mène avec son équipe des recherches sur l’efficacité d’une méthode révolutionnaire, pourtant basée sur un principe assez ancien.
« On brûle un petit faisceau nerveux présent dans la paroi des artères rénales, qui conduit le flux sympathique entre le cerveau et le rein, et en faisant cela on diminue de façon très importante la tension artérielle », explique le docteur Gosse. La pression artérielle est en effet régulée par plusieurs facteurs, notamment le système nerveux sympathique.
« Notre système de régulation de la tension artérielle est le même que celui de nos lointains ancêtres qui avaient un mode de vie très différent. La capacité à maintenir une pression artérielle importante était à l’époque un atout pour la survie de notre espèce. Par exemple, cela pouvait permettre aux bébés atteints de diarrhée de survivre à la déshydratation. »
Mais comment ce protocole peut-il fonctionner ?
« Dans les années 1950, quand il n’existait pas encore de médicaments pour traiter l’hypertension, les chirurgiens coupaient les nerfs sympathiques afin d’essayer de garantir la survie de certains patients sévèrement hypertendus. Mais cette chirurgie lourde avait des effets secondaires très importants. En brûlant seulement ce faisceau nerveux lors d’une artériographie, le résultat est le même, mais cette technique mise au point il y a une quinzaine d’années est simple, sans danger, et sans effets secondaires.
Cela ne fonctionne pas à tous les coups, car d’autres facteurs peuvent être en cause dans l’hypertension artérielle, comme les hormones, ou le système rénine-angiotensine–aldostérone. Jusqu’à présent, cette technique était réservée aux patients présentant une hypertension artérielle sévère et résistante aux médicaments. Mais nos premières données montrent que cette technique semble particulièrement efficace chez les jeunes femmes hypertendues, à condition d’avoir éliminé auparavant les causes connues d’hypertension artérielle secondaires. »

Recherche de patientes pour conclure l’étude
L’équipe du docteur Gosse a jusqu’à la toute fin de l’année 2025 pour donner les conclusions de son étude, après quoi elle ne sera plus financée. Malheureusement, les chercheurs n’ont pas encore atteint le nombre de patientes nécessaires pour y arriver.
Cette méthode cible les femmes hypertendues ayant un projet de maternité, car peu de médicaments anti-hypertenseurs sont disponibles pour les femmes enceintes. Ils ne sont pas toujours très efficaces et peuvent engendrer des effets secondaires désagréables. De plus, les cardiologues se sont aperçus que, par peur de porter préjudice à leur bébé à naître, certaines femmes enceintes ne prennent pas leur traitement.
« Si cette technique confirme son intérêt dans notre étude, elle pourrait être pratiquée à grande échelle avant les grossesses chez les femmes hypertendues, et pourrait ainsi permettre de diminuer de façon nette le risque de prééclampsie » et donc réduire drastiquement l’une des premières causes de mortalité des femmes enceintes et de leurs bébés, sans avoir à leur administrer de médicaments.
« Nous avons besoin de 80 patientes pour l’étude, 40 qui subissent une dénervation, et 40 qui ont une dénervation factice, sur tirage au sort. Pour l’instant, il nous manque une trentaine de patientes. Nous recherchons des femmes de moins de 40 ans, avec une hypertension confirmée sans cause curable, et susceptibles d’avoir un enfant un jour », explique le cardiologue.
Si certaines de vos patientes correspondent à ces critères et sont intéressées pour participer à l’étude, vous pouvez les mettre en contact avec l’un des sept centres hospitaliers spécialisés en hypertension artérielle qui pratiquent cette technique (Paris, Bordeaux, Grenoble, Lille, Nantes, Pau, et Toulouse), ou bien avec l’assistante de recherche clinique qui centralise les demandes :
julie.gaudissard@chu-bordeaux.fr
« Les premières données soutiennent l’idée que cette technique pourrait changer complètement l’approche de la grossesse chez les femmes hypertendues », confie le Dr Gosse. « Mais il faut que cette étude aille à son terme pour être convaincante ! »
Anne-Florence Salvetti-Lionne
Source : Gosse P, Sentilhes L, Boulestreau R, Doublet J, Gaudissard J, Azizi M, Cremer A; WHY-RDN investigators. Endovascular ultrasound renal denervation to lower blood pressure in young hypertensive women planning pregnancy: study protocol for a multicentre randomised, blinded and sham controlled proof of concept study. BMJ Open. 2023.
Auraient-ils pu sauver Sybil ?

La série télévisée Downton Abbey, diffusée à partir de 2010, offre un aperçu intéressant des pratiques obstétricales en 1920, à travers le tragique destin de lady Sybil Branson. Ce personnage très apprécié entame le travail à domicile, sous la supervision du docteur Richard Clarkson, médecin généraliste local, et de sir Philip Tapsell, obstétricien anobli. Le diagnostic de prééclampsie établi par le docteur Clarkson est fondé sur des symptômes clairs : œdème de la cheville, protéinurie, retard de croissance fœtale et confusion. Il préconise alors une césarienne en milieu hospitalier. Sir Philip, cependant, privilégie un accouchement à domicile, une opinion que lord Robert Crawley, le père de Sybil, s’empresse de soutenir, se fiant à la réputation du prestigieux obstétricien.
L’accouchement par voie basse a lieu, mais la joie est de courte durée. L’état de lady Sybil se dégrade rapidement jusqu’à son décès. Cora, sa mère, accable Robert de reproches. Pour apaiser la famille, le docteur Clarkson, avec réticence, affirme que l’hospitalisation n’aurait pas pu sauver Sybil.
C’est là qu’Adrienne K. Ho intervient. Cette étudiante en quatrième année de médecine à l’université de York en Grande-Bretagne a analysé les décisions prises par les médecins au regard des symptômes et de la situation de lady Sybil. Voici ses conclusions, parues en 2014 dans la très sérieuse revue British Journal of General Practice.
Les choix des médecins étaient-ils justifiés ?
Sir Philip, influencé par les travaux de Stroganoff* au début du XXe siècle, privilégiait la sédation à l’intervention chirurgicale, une approche alors répandue pour la toxémie. Il rappelait également les risques liés aux interventions « agressives », s’appuyant sur les observations de ses prédécesseurs. Les césariennes, bien que moins dangereuses qu’au XIXe siècle grâce aux progrès de l’anesthésie et de l’asepsie, restaient des procédures risquées.
Le docteur Clarkson, quant à lui, préconisait une césarienne rapide, pour traiter la prééclampsie. Il n’excluait pas non plus la possibilité d’un accouchement vaginal assisté, une alternative envisageable.
La posture décérébrée de Sybil, avec la tête cambrée, les bras étendus sur les côtés et les jambes allongées, suggère une hernie cérébrale due à un accident vasculaire, complication fatale à une époque où la réanimation cardiopulmonaire était loin encore d’être normalisée.
Rétrospectivement, K. Ho conclut que l’hospitalisation de Sybil aurait été la décision la plus avisée. Sir Philip a sous-estimé la gravité de la prééclampsie. L’oubli d’utiliser un tensiomètre par les deux médecins apparaît également comme une négligence notable. Enfin, la déclaration du docteur Clarkson, visant à consoler la famille, contredit son propre jugement professionnel et risque d’ébranler la confiance de la famille durablement. Cette fiction tragique rappelle les limites des pratiques médicales de l’époque et les dilemmes auxquels étaient confrontés les professionnels de santé.