« La maltraitance n’est pas réductible à une question d’effectif »

Alice Casagrande a été confirmée le 11 mars à la tête de la Commission nationale de lutte contre la maltraitance et de promotion de la bientraitance, créée il y a quatre ans. Elle revient sur l’inscription de la définition de la maltraitance dans le Code de santé publique (lire Profession Sage-Femme n° 279 – mars 2022) et ce que cette définition doit permettre.

Quel est l’intérêt d’avoir une définition de la maltraitance inscrite dans la loi ?

Jusqu’ici, les uns parlaient d’événements indésirables graves, les autres de défaut de qualité, d’absence de satisfaction des usagers, de violences, de déni, d’humiliation, etc. Dans ce flou, les professionnels ont été sur la défensive, en minimisant la parole des patients et en affirmant qu’ils sont eux aussi maltraités. Nous étions face à une grande confusion qui empêchait d’avancer. Or, il y a une urgence à agir, face à des situations graves dans un certain nombre de cas. Les situations de négligence ou de violence appellent des réactions individuelles, politiques et institutionnelles, mais aussi des modifications de pratiques, des remises en question, des retours d’expérience. Comme, par ailleurs, en situation de maltraitance, il n’y a rarement qu’une personne qui doit agir, mais de multiples acteurs, il est impossible de les faire agir ensemble s’ils ne partagent pas le même vocabulaire. En inscrivant la définition de la maltraitance dans le Code de la santé publique et dans le Code de l’action sociale et des familles, il s’agissait de dire qu’il y a un vocable pour tous les professionnels de l’aide et du soin. Avec cette base commune – perfectible et à évaluer – tout commence désormais.

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Que souhaitez-vous construire maintenant ?

Brigitte Bourguignon, ministre déléguée à l’Autonomie, nous a demandé une contribution suite au scandale Orpéa, révélé par la publication du livre Les Fossoyeurs de Victor Castanet. Notre note, envoyée à Brigitte Bourguignon, mais aussi à Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, et aux secrétaires d’État, Sophie Cluzel, chargée des Personnes handicapées, et Adrien Taquet pour l’Enfance et les Familles, ne se limite pas à dénoncer la maltraitance en Ehpad et fait huit grandes propositions transversales. Nous demandons notamment un diagnostic d’ensemble des phénomènes de maltraitance et un plan d’actions publiques pluriannuel. Cela passera également par une meilleure formation des professionnels de l’aide et du soin. À partir de la définition, nous souhaitons une prise de conscience des représentants des usagers, des familles, des ARS, des départements ou des Ordres professionnels. Il faut pouvoir alerter et signaler les maltraitances. Aujourd’hui, ce sont les stagiaires qui signalent la maltraitance à l’hôpital ! Cela ne va pas ! Pourquoi ce sont les impressionnables étudiants en médecine ou les futures sages-femmes qui alertent ? Sans doute car leur sensibilité n’est pas encore « carapacée » et, spontanément, ils témoignent de situations anormales. Si cette indignation est utile, elle est aussi brouillonne et intimidable, car il faut oser et pouvoir témoigner jusqu’au bout. On a besoin que cette indignation soit structurée et structurante. Il faut que les responsables qualité, les directeurs d’hôpitaux, les médecins, les sages-femmes, les aides-soignants ou auxiliaires de puériculture puissent à la fois alerter et faire sortir du petit sérail ce qui est jusqu’ici silencié. 

La loi sur le droit des patients, qui fête ses 20 ans cette année, a prévu les commissions des usagers (CDU) pour recueillir leur plainte…

Les CDU ne se sont pas saisies du sujet de la maltraitance de façon frontale. L’une des raisons est la méconnaissance du phénomène. Par ailleurs, les représentants d’usagers ont eu à s’installer dans l’institution : ils se sont d’abord emparés de sujets moins difficiles. Par ailleurs, ce que mon expérience à la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église m’a appris, c’est qu’une personne victime parle après une autre victime. Il y a un besoin profond d’une légitimation acceptante, écoutante et bienveillante de la parole pour qu’une autre vienne après. Or, les CDU ne sont pas conçues pour cela : elles ne vont pas faire de prospective ni organiser une réunion publique à l’hôpital avec tous les patients pour faire remonter les situations problématiques. Les maltraitantes n’émergeront pas simplement par le biais des questionnaires de satisfaction. Et le système d’information des événements indésirables graves met une forme de masque sur la spécificité des actes de maltraitance. Un des grands tabous, c’est de dire qu’on doit penser la maltraitance sans victimiser les soignants. Je ne le dis pas en offense aux soignants qui se battent pour leurs conditions de travail et leur reconnaissance, ce qui est légitime et important. Mais il faut arrêter de penser que toute la violence de l’hôpital serait résolue avec la fin de l’hôpital gestionnaire et le sauvetage de l’hôpital public. Il serait trop simple de penser que la maltraitance est réductible aux questions d’effectifs. 

■ Propos recueillis par Nour Richard-Guerroudj