Le Smur obstétrical d’Autun, un modèle d’avenir ?

Suite à la fermeture de la maternité d’Autun, en Saône-et-Loire, le 16 décembre 2022, l’Agence régionale de santé de Bourgogne-France-Comté a réorganisé l’offre de soins. Parmi les mesures prises, la création d’un Smur obstétrical associant des sages-femmes. Un modèle expérimental qui pourrait être étendu.

Le 16 décembre 2022, l’autorisation d’activité de naissance de la maternité d’Autun a été suspendue. En cause : une situation dégradée de longue date, du fait du manque d’attractivité de ce territoire rural, et la grande difficulté à mener des concertations territoriales pour envisager des solutions, à cause de résistances de différents acteurs locaux. Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de 2022 et un rapport de la Chambre régionale des comptes d’octobre 2023 listaient les problématiques : protocoles obsolètes, problèmes de recrutement, rémunérations élevées et irrégulières des médecins pour les fidéliser, qualité des soins non garantie. En 2022, les tensions sur les effectifs, y compris de sages-femmes, ont accéléré la décision de fermeture.

Le Smur obstétrical est opérationnel depuis juin 2023, sans pouvoir encore assurer les astreintes 24 h/24. © D.R.

Ce n’est que devant le fait accompli qu’une concertation territoriale a pu se tenir pour bâtir un nouveau projet local. Il a été annoncé en février 2023. L’Agence régionale de santé de Bourgogne-Franche-Comté a ainsi proposé quatre mesures. À Autun et Château-Chinon, des centres périnataux de proximité (CPP), baptisés « centres de périmaternité » sont créés pour les suivis pré et postnataux, les consultations de gynécologie et d’orthogénie. Les accouchements de la maternité d’Autun sont transférés vers les maternités du Creusot (à 30 minutes en voiture) et de Chalon-sur-Saône (à une heure de route), voire de Nevers (à 1 heure 30). Des hébergements temporaires sont prévus à proximité des maternités du territoire pour les femmes habitant à plus de 45 minutes. Le CPP d’Autun doit assurer des consultations d’urgences relevant d’une sage-femme et une activité de Smur obstétrical 24 h/24, notamment pour prendre en charge les accouchements inopinés extrahospitaliers (AIEH, voir p. 35). La mise en œuvre de ces mesures a été progressive. L’ensemble fonctionne dans le cadre d’une Fédération médicale interhospitalière, créée en juin dernier et regroupant par convention les CH de Chalon-sur-Saône, d’Autun, de Nevers, de Château-Chinon et l’hôpital du Creusot, avec l’appui d’une sage-femme de -coordination territoriale.
Cette fédération regroupe en effet deux groupements hospitaliers de territoire : celui de Saône-et-Loire Bresse-Morvan et celui de la Nièvre.

UN PROJET EXPÉRIMENTAL

Le projet de Smur obstétrical n’a été pensé qu’à partir de mai 2023, au sein de plusieurs groupes de travail réunissant sages-femmes, infirmières, urgentistes, obstétriciens et cadres. « Le Smur répond au besoin de sécuriser l’accès aux maternités, en termes de transport, mais aussi émotionnellement pour les femmes, souligne Valérie Thomassin, conseillère médicale en périnatalité à l’ARS de Bourgogne-France-Comté. Les urgentistes sont formés aux accouchements inopinés extrahospitaliers, mais il nous a semblé pertinent d’y associer une sage-femme. » Pour l’instant, le projet reste expérimental. « Malgré des réticences, nous avons proposé aux équipes de sages-femmes de répondre aux besoins des femmes, témoigne Myriam Bersali, coordinatrice en maïeutique à Chalon-sur-Saône et cadre de pôle territoriale. Les sages-femmes d’astreinte travaillent aux urgences adultes pour assurer des consultations non programmées, apporter leur expertise au régulateur et participer au Smur. En fonction de l’activité, elles participent aux activités du centre de périmaternité, aux côtés de la sage-femme de consultations programmées. Les urgentistes ont accueilli les sages-femmes à bras ouverts, la réanimation néonatale étant mieux maîtrisée par celles-ci. Ils les ont aidées à faire le deuil face aux changements et les ont rassurées concernant la prise en charge des
urgences vitales. » 

En octobre, 4 sages-femmes du centre hospitalier d’Autun, 4 sages-femmes du Creusot et 2 professionnelles libérales participaient au service mobile. Elles ont été formées au sein du centre des enseignements par la simulation de Chalon-sur-Saône et en accompagnant le Smur en observation au départ, puis en intervention à partir de juin. Les sages-femmes libérales ont aussi été formées à la réanimation néonatale. Les huit sages-femmes – dont nous n’avons pu recueillir les témoignages directs – -permettent pour l’instant d’assurer toutes les astreintes en journée et quinze astreintes de nuit. En septembre, seule la moitié des astreintes de nuits étaient couvertes. « Nous espérons finaliser les recrutements de quatre sages-femmes supplémentaires d’ici janvier, pour permettre au Smur de fonctionner 24 h/24 », explique Myriam Bersali. Cet aspect est important, car 58 % des AIEH se déroulent la nuit selon l’Observatoire national des AIEH (voir p. 35). 

Les contrats de vacation sont financés par le fonds d’investissement régional (FIR). L’ARS n’a pas souhaité communiquer les sommes allouées. « Les montants seront sans doute retravaillés après évaluation, justifie Valérie Thomassin. Ces primes d’astreinte sont destinées à reconnaître l’engagement et l’intelligence des sages-femmes, notamment celles d’Autun, qui ont supporté beaucoup de changements. »

Le déclenchement du Smur obstétrical d’Autun est réalisé par le Centre de réception et de régulation des appels de Chalon-sur-Saône (CRRA71), mais son territoire d’intervention se situe sur trois départements : Saône-et-Loire, Nièvre et Côte-d’Or. Selon l’évaluation de l’imminence de l’accouchement, l’équipe se déplace au complet ou la sage-femme intervient seule avec une IADE et l’ambulancier. Un HéliSmur peut être engagé si la distance d’intervention est à plus de trente minutes de route de l’hôpital d’Autun.

En fonction des besoins, le camion est armé d’une couveuse, d’un appareil d’échographie portable, d’un cardiotocographe portable et d’un doppler fœtal.

Un premier bilan de cette réorganisation a été présenté le 13 octobre. Entre le 1er juin et le 25 août derniers, plus de 400 patientes ont été reçues au CPP d’Autun, dont 63 femmes enceintes. Sur la période, trois sorties du Smur obstétrical ont été assurées pour risque d’accouchement inopiné. L’une a permis le transfert d’une patiente pour menace d’accouchement prématuré vers la maternité du Creusot. Les deux autres ont donné lieu à des accouchements à domicile accompagnés par l’équipe du Smur, l’un à Autun même et l’autre à Épinac, à 20 minutes en voiture d’Autun et 30 minutes du Creusot. 

VERS UNE GÉNÉRALISATION DU DISPOSITIF ?

Il est encore trop tôt pour évaluer ce dispositif mis sur pied après la fermeture de la maternité. Mais le projet est suivi par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), compte tenu des réorganisations prévisibles d’autres maternités en France, dans un contexte de tensions de la démographie médicale. « Le projet n’est pas reproductible tel quel, car chaque modèle correspond à un territoire », estime toutefois Valérie Thomassin.

Le Smur d’Autun intéresse l’hôpital de Chalon-sur-Saône, qui couvre le bassin de population du massif du Morvan, avec des femmes parfois situées à une heure de route. De plus, un rapport d’analyse faisant suite à la suspension de l’activité de la maternité d’Autun, réalisé par les obstétriciens Olivier Morel, du CHRU de Nancy, et Philippe Deruelle, du CHU de Montpellier, remis le 4 août dernier, alerte sur les fragilités des maternités du Creusot et de Chalon-sur-Saône. Les experts invitent à réfléchir dès à présent à « stabiliser l’offre de soins à l’échelle du territoire ». 

Associer des sages-femmes au Smur n’est pas une idée nouvelle. La Société française de médecine d’urgence et la Société française d’anesthésie-réanimation le préconisent depuis 2010 pour la prise en charge des AIEH. Dans plusieurs départements comme le Doubs, l’Hérault ou en Charente-Maritime, des sages-femmes sont ou ont été correspondantes d’un Samu ou d’un Service départemental d’incendie et de secours (SDIS), avec des contrats types variables. 

L’idée avait été reprise par la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, en 2019, à la suite d’un décès néonatal à Die, dans la Drôme, survenu peu après la fermeture de la maternité. L’« Engagement Maternité » annoncé prévoyait une permanence de sages-femmes dans tous les territoires éloignés et la contractualisation de libérales pour accompagner 24 h/24 les parturientes en ambulance. 

Ce n’est que le 29 septembre dernier, avec la publication du cahier des charges national des centres périnataux de proximité (CPP) par la DGOS, que la possibilité de Smur obstétricaux a été inscrite dans le marbre. Le cahier des charges stipule en effet qu’une structure peut mettre « à disposition des personnels sages-femmes du CPP en renfort de sorties Smur incluant la présence d’un médecin ». Mais force est de constater que l’organisation détaillée de ces dispositifs est laissée à la discrétion de chaque CPP. 

Pourtant, dès 2020, un groupe de travail au sein du CNSF a planché sur un cahier des charges et une expérimentation des sages-femmes correspondantes Samu (SaFeCos). Le rapport, non publié, a été rédigé par Christelle Graf, sage-femme qui a exercé comme experte opérationnelle auprès des sapeurs-pompiers volontaires de l’Hérault, et Nicolas Dutriaux, sage-femme libérale à Lagor. Le texte a été remis par le CNSF au ministère, sans que les suites données soient connues.

« Nous avons posé les bases pour un cadre clair, car des initiatives de ce type ont cours, sans être cependant ni pérennes ni correctement formalisées », témoignait Nicolas Dutriaux en 2022 (voir Profession Sage-Femme n° 283 – Juillet-Août 2022). Ce cadre détaille la formation des sages-femmes, leur rémunération et leur statut, les coordinations et le matériel nécessaire, de même qu’il mentionne les besoins territoriaux spécifiques. « Il faut former les sages-femmes en situation, car une réanimation en Smur n’a rien à voir avec une réa sur une table chauffante à l’hôpital, par exemple », souligne Nicolas Dutriaux. Pour Christelle Graf, les analyses préalables à la mise sur pied d’un Smur obstétrical devraient s’appuyer sur des données de l’Observatoire des AIEH (voir p. 35). « Le préhospitalier est un monde inconnu, difficile à apprivoiser et peu connu dans nos pratiques quotidiennes, c’est pourquoi une formation est indispensable en amont, estime l’experte. On peut s’interroger sur la pertinence d’un monitoring en cours d’intervention. Une évaluation du RCF avant transport est suffisante. »

UN OUTIL DE LA PDS

Selon certains experts, un Smur obstétrical n’est pas uniquement utile en zone rurale. Pour Olivier Morel, du CHRU de Nancy, « il faut mesurer l’activité d’un Smur obstétrical pour le dimensionner correctement. Il n’est peut-être pas nécessaire d’ouvrir un Smur obstétrical chaque fois qu’une maternité ferme. Souvent, on se concentre sur le risque d’AIEH qui ne se vérifie pas toujours. Lorsqu’on analyse les déterminants de l’AIEH et des risques de complications maternelles et périnatales, il apparaît que les difficultés socio-économiques et les défauts d’organisation de l’offre de soins et de la prévention (suivi de grossesse et identification des précarités) sont des facteurs de risque beaucoup plus importants que le temps d’accès à une maternité. Il y aura toujours des AIEH. Ils sont plus nombreux en zone urbaine, à proximité de CHU, et nous devons développer des outils pour les sécuriser. Un Smur obstétrical peut par exemple être plus utile en Seine-Saint-Denis qu’ailleurs. À Nancy, nous réfléchissons à une organisation qui permettrait de mobiliser des sages-femmes en renfort en salle de naissance ou venir appuyer un Smur en cas d’AIEH. »

Margaux Creutz-Leroy, présidente de la Fédération française des réseaux de santé en périnatalité, va plus loin : « Un Smur obstétrical avec le recours possible à un gynécologue obstétricien peut être une solution intéressante pas uniquement en cas d’AIEH, mais aussi pour renforcer une équipe de maternité en difficulté. Effectivement, dans de nombreuses maternités en activité, un seul gynécologue-obstétricien est présent sans astreinte opérationnelle de renfort possible. Or, l’enjeu est parfois de pouvoir gérer plusieurs urgences concomitantes dont certaines peuvent nécessiter des compétences chirurgicales plus spécifiques. C’est de ces situations que proviennent la plupart des événements indésirables graves. Par ailleurs, les AIEH les plus à risque sont ceux où la présence d’un gynécologue obstétricien serait nécessaire comme la grande prématurité, la gémellité ou encore la dystocie. » Ainsi, au niveau global, la participation des sages-femmes au Smur est donc l’une des pistes envisagée pour assurer la permanence des soins et désengorger les urgences hospitalières. Reste à l’encadrer et l’harmoniser. Il serait aussi nécessaire d’identifier les causes des AIEH propres à chaque territoire pour affiner les organisations, la coordination et l’accès aux soins.

Nour Richard-Guerroudj