Quelles sont les données disponibles ?
En 2021, les données du PMSI, disponibles sur Scansanté, font état de 5160 accouchements hors établissement pour toute la France. Mais cette donnée mêle plusieurs cas de figure : accouchement à domicile choisi et accompagné par une sage-femme donnant lieu à un transfert, accouchement inopiné à domicile, accouchement pendant le transport ou en Centre périnatal de proximité. « Il n’y a pas de codage spécifique pour identifier l’origine des accouchements hors établissement dans le PMSI, explique Margaux Creutz-Leroy, présidente de la Fédération française des réseaux de périnatalité (FFRSP).Cependant, le code Z39.00 ” Soins et examens immédiatement après un accouchement hors d’un établissement de santé “ permet d’estimer le nombre de séjours après AIEH (ex. : domicile, voie publique, trajet, maison de naissance…) hors de la présence de l’équipe du Smur, ceci même si la délivrance a lieu dans l’établissement. » Pendant plusieurs années, l’Observatoire national des AIEH a répertorié les données des AIEH de 25 centres de Samu sur les 103 que compte la France. Ces analyses ont surtout servi à élaborer des protocoles de prise en charge pour les urgentistes.
Les accouchements hors établissement augmentent-ils ?
Les données du PMSI pour la période 2013-2021 permettent de calculer une légère augmentation des AIEH, passant de 0,34 % à 0,56 % du total des accouchements en France métropolitaine, alors que le nombre d’accouchements est en baisse.
Sur la même période, le taux passe de 1,9 % à 3 % dans les départements et régions d’outre-mer, où le nombre d’accouchements est en hausse. Les taux cachent des différences territoriales. En Franche-Comté, la proportion d’accouchements hors établissement a quasi doublé, de 0,44 % en 2013 à 0,85 % en 2021. En Bourgogne, le taux est passé de 0,38 % en 2013 à 0,6 % en 2021. En Île-de-France, le taux a peu augmenté, passant de 0,3 % en 2013 à 0,49 % en 2021. Reste à interpréter les causes de ces augmentations, alors que les facteurs de confusion sont nombreux et la qualité du codage variable.
L’accessibilité des maternités est-elle en cause ?
En 2021, une étude de la Drees sur la période 2000-2017 notait que « dans certains départements, la baisse du nombre de maternités entre 2000 et 2017 conduit à une augmentation de la part de femmes éloignées d’un établissement ». Dans le département de la Nièvre, au sud-ouest de la région Bourgogne-Franche-Comté, la Drees relevait que « l’accessibilité se dégrade aussi fortement ». En 2017, 16 % des femmes qui y habitaient étaient à plus de 45 minutes d’une maternité, alors qu’elles n’étaient que 3 % en 2000. « Il faudrait des analyses qualitatives pour mieux comprendre, par territoire, les causes des AIEH, car les facteurs de confusion sont nombreux et les effectifs faibles, souligne Margaux Creutz-Leroy, présidente de la FFRSP. Les difficultés de codage représentent un premier facteur de confusion. Dans les DROM, où l’organisation des soins périnataux est très différente, comme à Mayotte ou en Guyane, les comparaisons avec la métropole ne sont pas possibles. Au sein du réseau périnatal de Lorraine, d’après nos revues de morbi-mortalité réalisées depuis huit ans, il apparait clairement que la cause principale des AIEH est la précarité médico-psychosociale et non une distance trop importante entre le domicile et la maternité. L’augmentation du nombre global des AIEH ces dernières années est en partie liée à l’augmentation des accouchements accompagnés à domicile par les sages-femmes, car en cas de complication, les parturientes sont transférées vers les maternités et comptabilisées comme des AIEH. »
Des études, clairsemées dans le temps, donnent un aperçu des différents facteurs d’AIEH. Une étude menée dans la région de Caen entre janvier 2002 et décembre 2009 a répertorié 94 AIEH (1). Ses conclusions mettaient en relief la multiparité, l’absence de suivi de la grossesse, le tabagisme, le niveau socio-économique des femmes et la distance domicile-maternité comme facteurs de risque. Une recherche rétrospective a aussi été menée dans la région lyonnaise, sur la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2012 (2). L’analyse retrouvait la multiparité, une situation de précarité et le non-suivi de la grossesse comme facteurs de risque d’AIEH. Une étude publiée en 2019 à partir des données de l’Observatoire des AIEH retrouvait pour sa part une consultation avec une sage-femme dans les 24 heures qui précédaient l’AIEH chez près d’un quart des patientes et 93,5 % avaient un suivi de grossesse conforme aux recommandations (3). Dans l’étude, 11,7 % des femmes ne parlaient pas le français. En mars 2019, lors du congrès Émois à Nancy, Évelyne Combier, médecin de santé publique, et Adrien Roussot, géographe de la santé au CHU de Dijon, analysaient les données de 6733 AIEH survenus entre 2012 et 2014 au niveau national. Leurs résultats confirmaient que la majorité des AIEH concernait les femmes résidant à proximité d’une maternité, mais que le taux d’accouchement hors établissement était proportionnellement plus élevé pour les femmes résidant à plus de 45 minutes d’une maternité. Dans l’Hérault, sur 260 dossiers compilés entre 2015 et 2020, l’Observatoire local des AIEH a identifié que 34 % d’entre eux ont eu lieu dans l’agglomération de Montpellier et 42 % à plus de 30 minutes d’une maternité (4). Dans l’étude, 7 % des femmes présentaient un déni de grossesse et 40 % des antécédents obstétricaux. En revanche, les patientes ne présentaient pas un bas niveau socio-économique. Ainsi, selon les facteurs de risque retenus, l’attention se porte sur le repérage des femmes en situation de vulnérabilité, l’amélioration des pratiques professionnelles et la facilitation de l’accès à une maternité ou à une prise en charge.
Quels sont les risques d’un AIEH ?
Au niveau national, la Drees est en train de mesurer les « impacts de la distance domicile-maternité sur la morbi-mortalité et les pratiques professionnelles en périnatalité ». Annoncés pour 2020 (voir Profession Sage-Femme n° 255 – Mai 2019), les résultats n’ont toujours pas été publiés, des travaux méthodologiques étant toujours en cours. Pour sa part, l’étude de l’Observatoire national des AIEH, publiée en 2019, a recensé 1670 cas entre octobre 2011 et août 2018 sur 25 centres de Samu (3). Dans la grande majorité, il s’agissait d’une grossesse unique (99,2 %) en position céphalique (98,3 %). Mais 8,1 % des bébés sont nés avant 36 SA et le taux de morbi-mortalité néonatale s’élevait à 6,3 %. « La multiparité, la prématurité, des pathologies maternelles ou l’hypothermie du nouveau-né sont des facteurs prédictifs indépendants de morbi-mortalité néonatale », concluaient les auteurs, qui appelaient notamment à mieux prendre en charge les hypothermies. De leur côté, dans les 260 cas recensés par l’Observatoire des AIEH de l’Hérault entre 2015 à 2020, le taux de complications maternelles s’élevait à 19 % et le taux de complications néonatales à 26 % (4). Au total, 10 % des mères et 15 % des enfants étaient toujours hospitalisés à J7 en post-partum. L’étude rapportait 3 morts fœtales in utero, 8 décès liés à la prématurité et une noyade dans les toilettes à 36 SA.
■ Nour Richard-Guerroudj
Sources :
(1) Nguyen m.-L. et coll. Conséquences maternelles et néonatales des accouchements inopinés extrahospitaliers. Journal de Gynécologie Obstétrique et Biologie de la Reproduction. Volume 45, Issue 1, January 2016, Pages 86-91
(2) Billon M. et coll. Accouchement inopiné extrahospitalier : prise en charge et facteur de risque. Journal de Gynécologie Obstétrique et Biologie de la Reproduction Volume 45, Issue 3, March 2016, Pages 285-290
(3) Javaudin F. et coll. Unplanned out-of-hospital birth and risk factors of adverse perinatal outcome: findings from a prospective cohort. Scand J Trauma Resusc Emerg Med. 2019 Mar 2;27(1):26.
(4) Graf C. Poster – Observatoire des AIEH dans l’Hérault sur 5 ans, Poster présenté aux journées du CNSF en janvier 2020