Le Covid a-t-il changé la donne aux urgences pédiatriques ?
Nous avons clairement beaucoup plus d’hospitalisations de jeunes enfants que pendant les vagues précédentes dans notre hôpital (ces observations vont dans le sens des données nationales : voir page précédente, ndlr). Personnellement, je ne me souviens pas d’avoir hospitalisé d’enfant pour le Covid lors des vagues précédentes. Depuis plusieurs semaines, à chacune de mes gardes, je vois entre 10 et 20 enfants positifs de tous âges et je dois en hospitaliser 3 à 4 à chaque fois. Ces enfants sont plus nombreux et nettement plus symptomatiques. Dans ma pratique quotidienne, j’ai surtout vu des enfants jeunes, de moins de 5 ans, avec une surreprésentation des moins de 1 an. Cela va du rhume à la bronchiolite. En ce moment, nous avons donc des bronchiolites à Covid et des bronchiolites à VRS. Dans notre service, nous avons aussi un tableau de PIMS (syndrome inflammatoire multisystémique pédiatrique secondaire au Covid-19). Mais un simple rhume, chez un enfant de moins de 6 semaines, cela peut être grave et vite dégénérer. Dire que le Covid n’est qu’un rhume, que ce n’est pas grave, c’est mensonger. L’enfant n’est pas un adulte en miniature. L’enfant de moins de 1 mois ne respire que par le nez ou presque. S’il a le nez bouché, il va mourir. Dans le cas d’un gros rhume chez un tout-petit, même en dehors du Covid, on peut hospitaliser pour surveiller et oxygéner. Et cela peut devenir une bronchiolite. Pour l’instant, l’enfant le plus jeune que j’ai eu besoin d’hospitaliser avait 21 jours. Le plus souvent, les enfants sont hospitalisés seulement quelques jours, pour surveillance ou oxygénation. Malgré l’hospitalisation, le Covid reste bénin. On ne transfère ces enfants que très rarement en réanimation. Personnellement, pour l’instant, je n’ai transféré que deux enfants. Pour mes collègues, je l’ignore.
Quelles sont les conséquences sur le service ?
En novembre-décembre, c’était dramatique. Nous avons vraiment dû pousser les murs. Il y a eu plusieurs épidémies en même temps. L’épidémie de bronchiolites à VRS a commencé beaucoup plus tôt et beaucoup plus fort. On en voit un peu moins maintenant. Le pic de bronchiolite à VRS commence à s’épuiser. De mon côté, j’ai beaucoup plus de patients Covid positifs que VRS positifs. Mais il y a aussi la grippe et la gastro-entérite, avec beaucoup de rotavirus et d’adénovirus. L’année dernière, comme les gens respectaient davantage les mesures barrières, on a eu un effondrement quasi total de la grippe, avec très peu de bronchiolites à VRS et assez peu de gastro-entérites. Ce n’est pas le cas cette année. Donc je ne sais pas si c’est uniquement le Covid qui maintient les hospitalisations à un niveau élevé. Ce qui est sûr, c’est que nous ne sommes pas comme dans des mois d’été ou comme l’hiver dernier, où il restait de la place en hospitalisation. Nous avons fait des calculs pour notre hôpital : nous avons eu 20 % de passages en plus ces dernières semaines par rapport à l’hiver 2019, soit avant le Covid. On ne sait pas si cette augmentation est uniquement due au Covid. Mais depuis que les vagues Delta et Omicron se sont superposées, les cas de Covid chez les enfants sont devenus hyper courants.
Quand faut-il tester les enfants ?
Dans notre service, nous ne testons pas systématiquement tous les enfants. Nous testons les symptomatiques et les cas contact. Un rhume, de la fièvre, une toux doivent alerter. À moins de 6 ans, si les symptômes sont continus au-delà de trois jours, on teste. Idem chez les tout-petits : si on est absolument sûr qu’il n’y a aucun cas contact dans l’entourage et que les symptômes sont peu bruyants, on peut attendre trois jours avant de tester. Mais si les symptômes persistent, il faut tester, voire consulter. Si l’entourage est positif, quel que soit l’âge, on teste devant le moindre symptôme, même isolé. À plus de 6 ans, avec des symptômes un peu bruyants qu’on ne peut pas rattacher à quelque chose d’évident, comme une gastro-entérite, on va aussi tester. Les enfants de moins de 6 semaines sont ultra à risques, les enfants de moins de 3 mois sont à risques. Les enfants de moins de 1 an sont moins à risques, même s’ils sont plus fragiles qu’un enfant de 2 ou 3 ans.
Pour les tout-petits, il est possible de faire des tests PCR sur les sécrétions récupérées après un lavage de nez. On peut aussi avoir recours aux tests salivaires, mais ils sont moins fiables. Il faut alors les répéter. Dans notre service, nous utilisons des PCR qui ne ciblent que le Covid, mais aussi des PCR multiplex qui ciblent le Covid, le VRS, la grippe, le métapneumovirus et d’autres. Entre les deux, nous avons aussi des triplex : Covid, grippe, VRS. Même si c’est rare, nous trouvons parfois des enfants à la fois positifs pour le VRS et le Covid. Cela ne donne pas des tableaux cliniques plus compliqués. Ils ont une bronchiolite, mais on ne sait pas si les symptômes sont dus au VRS, au Covid, ou aux deux. L’un comme l’autre peut être asymptomatique et découvert fortuitement. Quand les critères pour tester un enfant sont réunis, c’est très important de le faire. Si son état empire 4 à 5 semaines après, on saura si c’est un PIMS.
Quels symptômes doivent alerter ?
Pour consulter aux urgences, les mêmes règles doivent prévaloir pour le Covid ou une bronchiolite. Si l’enfant a un comportement anormal, qu’il est totalement amorphe, s’il a des problèmes respiratoires, qu’il lutte pour respirer, qu’il creuse sous le cou, sous les côtes, il faut consulter. S’il prend moins de la moitié de ses biberons plusieurs fois d’affilée, il faut aussi consulter. Les enfants de moins de 6 semaines, voire moins de 3 mois, doivent être surprotégés, même en dehors du Covid. Avec un enfant de moins de 6 semaines, on ne va pas à des réunions, même familiales. On ne fait pas de visite à un enfant de moins de 6 semaines. Aujourd’hui, ce n’est pas dans les mœurs. Mais il faut respecter cela. Les mères doivent pouvoir refuser sans passer pour des folles.
Avec l’épidémie de gastro-entérites, les symptômes gastro-intestinaux ne sont pas spécifiques. S’ils ne sont pas bruyants, ce n’est pas la peine de consulter, surtout chez des enfants plus âgés. En revanche, sur un tableau bruyant de gastro-entérite qui survient plusieurs semaines après un Covid connu, il faut évoquer un PIMS.
Quelles sont vos inquiétudes ?
Le PIMS est un vrai danger pour les enfants. C’est cela qu’on néglige actuellement. Ce syndrome se déclare en moyenne 4 à 5 semaines après l’infection Covid. On verra le résultat dans 4 à 5 semaines chez les enfants qui sont en train de se contaminer en masse actuellement. Cela nous inquiète tous beaucoup. Même si ces cas sont très rares, vu la taille de l’échantillon, cela nous fait peur. Pour l’instant, le PIMS touche plutôt des enfants entre 4 et 11 ans. L’enfant hospitalisé chez nous a 7 ans, mais il y a toujours des enfants qui excèdent les marges. Le PIMS cause des atteintes cardiaques qui nécessitent des traitements plutôt lourds et assez souvent un transfert en réanimation. Or, en comparaison avec la réanimation adulte, il y a vraiment très peu de place en réanimation pédiatrique. On n’est pas du tout taillés pour une épidémie. On ne peut pas recevoir en masse des enfants avec des PIMS, d’autant moins que les autres enfants ne s’arrêtent pas d’être malades. La politique actuelle du laisser-aller est une véritable honte.
Que pensez-vous des vaccins ?
Il faut vraiment vacciner les enfants. Les dernières études montrent que la vaccination prévient la quasi-totalité des syndromes du PIMS. Il n’y a vraiment plus à se poser la question. Le vaccin permet d’éviter les formes graves. Il permet également de limiter la transmission. Même s’il ne la stoppe pas, vu l’ampleur de l’épidémie, il faut prendre cette protection supplémentaire. En réduisant la transmission, cela évite aussi de fermer les écoles quand il y a trop de cas. Car fermer les écoles est aussi un drame. Le ministre de l’Éducation a reproché aux médecins de vouloir fermer les écoles. Cela fait pourtant deux ans qu’on dit exactement le contraire : on ne veut pas fermer les écoles, mais on veut qu’elles soient sécurisées. Car la fermeture des écoles est un autre danger pour les enfants. Aux urgences pédiatriques, pendant le premier confinement, on a eu plein d’enfants avec des troubles psychologiques, des idées suicidaires ou anxieuses. En évitant aussi la fermeture des écoles, le vaccin apporte donc un bénéfice global. Côté risques, le vaccin peut provoquer des myocardites postvaccinales qui sont plutôt dans des tranches d’âge plus élevées. Chez les 5-11 ans, aux États-Unis, on est autour de 10 cas de myocardites pour 5 millions d’enfants vaccinés. C’est donc extrêmement rare. Et surtout, c’est transitoire et bénin. Il y a sept fois plus de myocardites engendrées par le virus du Covid. Elles restent donc rares, mais elles donnent des tableaux beaucoup plus sévères, car elles s’incluent le plus souvent dans un tableau de PIMS. Ces myocardites ne sont donc pas un symptôme isolé. Ici encore, la balance bénéfices-risques est très en faveur du vaccin. Il en va de même pour les femmes enceintes, y compris pour la troisième dose qui apporte un bénéfice largement supérieur. Il n’y pas de risque ni pour la mère ni pour l’enfant. On espère un jour pouvoir étendre la vaccination aux moins de 5 ans, mais pour l’instant les fabricants ne sont pas satisfaits du niveau de protection des vaccins évalué dans le cadre de leurs essais chez cette tranche d’âge.
Quant aux parents, ils doivent évidemment être vaccinés. Dans le service, nous ne leur demandons pas systématiquement s’ils le sont. Pour ma part, ça dépend si je suis accaparé par l’état grave de l’enfant que je cherche à stabiliser. Dans ce cas, je peux oublier de poser la question. Dans les autres cas, je constate que deux tiers des parents environ qui amènent leur enfant aux urgences ne sont pas vaccinés, soit pour des convictions personnelles, soit parce qu’ils ont peur. Dans le cas des enfants en très bas âge, il s’agit souvent de mamans qui ont eu peur d’être vaccinées pendant leur grossesse, malgré des informations super rassurantes.
■ Propos recueillis par Géraldine Magnan