« Les sages-femmes accompagnent le deuil dans l’instant présent »

Anne Dejean a rejoint en octobre dernier Paliped, l’équipe ressource régionale en soins palliatifs pédiatriques (ERRSPP) d’Île-de-France, en tant que sage-femme. Intervenant à la demande dans les maternités, elle nous détaille en quoi consistent ses missions.

Qu’est-ce que Paliped ?

Paliped est né en 2010. Dans le cadre du Programme national de développement des soins palliatifs 2008-2012, chaque région devait se doter d’une équipe ressource en soins palliatifs pédiatriques. Deux pédiatres, deux infirmières puéricultrices, deux psychologues et deux chargées de mission et moi-même composant l’équipe. L’équipe intervient surtout en deuxième ligne, pour accompagner et soutenir les professionnels des établissements hospitaliers, médicosociaux et pédagogiques, impliqués dans l’accompagnement d’enfants en soins palliatifs. Ces soins peuvent durer quelques jours, quelques mois ou quelques années. 

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Paliped intervient le plus souvent sur site, mais les modalités d’intervention sont adaptées selon les besoins. Paliped anime des temps de réflexion ou d’échange, sur des situations ou des thèmes particuliers. L’équipe assure aussi des formations, à la demande des équipes. Nous proposons aussi des réunions post-décès aux équipes. L’équipe de Paliped intervient auprès des familles en complément des équipes référentes, selon les besoins, pour apporter un soutien psychologique et les accompagner dans leur réflexion. Elle soutient les familles pendant le deuil. Les psychologues recherchent des orientations adaptées, facilitent les démarches et les premiers contacts souvent délicats. Ils peuvent également, en fonction des besoins, proposer des entretiens familiaux à domicile. Paliped s’est d’abord développé en pédiatrie avec ses approches. Notre rôle d’équipe ressource en périnatalité n’est pas encore bien identifié par les maternités. Et ces dernières n’ont pas encore bien précisé leurs besoins. Ils peuvent être variables. Là encore, il pourra s’agir de formation ou d’échange sur des cas cliniques ou d’accompagner les équipes sur la durée. Mon rôle est aussi d’acculturer les soignants aux soins palliatifs.

Qu’est-ce qui vous a amenée à rejoindre l’équipe ? 

J’ai travaillé pendant douze ans au sein des services de diagnostic prénatal des hôpitaux de Necker et de Poissy. J’ai souvent été confrontée à des familles souhaitant poursuivre une grossesse pour accompagner leur bébé, malgré un pronostic défavorable. Ces accouchements en structure font naître des ­questions difficiles pour les parents et les équipes soignantes. Paliped a ouvert un poste de sage-femme à mi-temps en juin 2021 pour déployer la pratique et la culture des soins palliatifs dans le champ de la périnatalité. Le poste a évolué vers un temps plein, que j’ai accepté d’assurer depuis octobre 2023. 

Mon objectif est d’accompagner les professionnelles sans opposer la culture palliative à une décision d’IMG par exemple. Il s’agit d’un continuum et les approches ne doivent pas être clivées. La situation est effroyable pour les familles et les soignants quand le diagnostic prénatal est défavorable. Les mêmes équipes devront accompagner une IMG ou un accouchement et des soins palliatifs. Que l’on parle de perte précoce de grossesse au premier trimestre, d’IMG ou de MFIU, voire d’IVG, il s’agit de situations de deuils. Ce qui prime est d’accompagner les parents, quelle que soit leur décision, qui peut changer à tout moment.

Alors que de nombreuses sages-femmes sont mal à l’aise face à ces situations, quelle est la place des sages-femmes autour du deuil ?

En tant que sages-femmes, nous sommes là pour suivre une grossesse et la dyade mère/bébé au cours de tout ce qui peut lui arriver. Même si nous pratiquons des examens cliniques, nous apportons une dimension autre que médicale, celle de l’accompagnement de la psyché et du corps. Cette prise en charge globale permet aux femmes confrontées à la question de la perte de leur bébé de trouver un espace. Cela ne passe pas forcément par des mots. Une femme qui ne parvenait pas à exprimer ses émotions après une IMG m’a dit qu’elle ne souhaitait pas interrompre sa montée de lait. « Ce lait sera comme des larmes », m’a-t-elle dit. Le deuil peut donc s’exprimer à travers le corps. Nous avons aussi pour rôle d’être témoins de ce qu’elles vivent, puisque nous sommes là dans les moments les plus durs et où elles sont très seules.

Nous ne faisons pas le même métier que les psychologues. Au sein de Paliped, nous intervenons justement en binôme pour croiser nos regards différents. Un psy va travailler la question du deuil et sa traversée, l’approfondir pour aider une femme ou une famille à cheminer. En tant que sages-femmes, nous ne sommes pas là pour emmener les femmes et les familles quelque part. Nous sommes dans l’instant présent, sans rien projeter. Les femmes se livrent à travers leur vécu corporel. Nous prenons les gens où ils en sont. Certaines femmes qui vivent une MFIU nous questionnent, car elles disent ressentir les mouvements du bébé. Certains parents parlent de « fœtus » ou ne veulent plus du tout en entendre parler après l’IMG. C’est très violent à recevoir, mais on va les accompagner en tenant compte d’où ils en sont. 

Cependant, dans l’inconscient collectif, une sage-femme est là pour accompagner la vie. Quand une grossesse est effractée par la mort, c’est très difficile pour les sages-femmes. Elles craignent de faire un faux pas, d’autant plus que dans notre formation initiale, ces réalités sont traitées à la marge. Souvent, les sages-femmes donnent beaucoup d’elles-mêmes dans ces situations. Mais elles ne s’en rendent compte qu’à posteriori. Elles y laissent parfois des plumes et il est important d’en parler entre nous pour nous soutenir. Au sein de Paliped, en tant que sage-femme, je suis là pour soutenir mes collègues. 

Certaines situations doivent-elles évoluer ?

J’ai en mémoire l’histoire d’une femme dont le bébé avait été diagnostiqué en prénatal comme porteur d’une trisomie 18. Il ne pouvait être viable à long terme. Elle a fait le choix de poursuivre sa grossesse. Après de nombreuses rencontres avec le pédiatre et l’obstétricien, il a été décidé qu’aucun enregistrement du rythme cardiaque fœtal ne serait mis en place pendant l’accouchement, car une césarienne ne serait pas décidée. Les médecins estimaient que réaliser une césarienne sur le corps d’une femme dont le bébé n’allait pas vivre revenait à lui infliger une cicatrice, sans compter le risque chirurgical. Or cette femme voulait rencontrer son bébé vivant. Son bébé est né sans vie par voie basse et elle nous a ensuite beaucoup questionnés pour savoir si elle aurait pu connaître son bébé vivant si une césarienne avait été réalisée. Sur le papier, nous avions tout bien fait. Sauf que nous n’avions pas répondu à son attente majeure. Malgré les risques liés à la césarienne, nous aurions dû respecter le choix de cette femme. 

Nous avons fait beaucoup de progrès dans l’accompagnement des femmes et des familles. Mais il en reste à faire. Chaque histoire est singulière et nous devons accepter qu’elle appartienne à chacun, pour que les deuils soient les moins traumatiques possibles. En maternité, les équipes n’ont pas toujours le temps de connaître les gens et tentent de faire au mieux. C’est pour cela que Paliped existe et je me fais parfois l’avocate des femmes. Surtout, Paliped et les équipes informent régulièrement les autorités de santé que nous avons besoin de temps auprès des personnes pour bien les accompagner.

■ Propos recueillis par Nour Richard-Guerroudj