Obstetrica – juin 2022, n° 6 – Édition Fédération suisse des sages-femmes

Encadrement éthique et juridique de l’autonomie des parturientes

Dr Michael Rost, Institut d’éthique biomédicale, Université de Bâle.

Dre Eva De Clercq, Institut d’éthique biomédicale, Université de Bâle.

Pre Andrea Büchler, Faculté de droit, Pôle de recherche universitaire « Human Reproduction Reloaded | H2R », Université de Zurich.

Pre Bernice Elger, Centre universitaire romand de médecine légale, Université de Genève et Institut d’éthique biomédicale, Université de Bâle.

Lien de l’article en ligne :

https://obstetrica.hebamme.ch/fr/profiles/3f957b8ee011-obstetrica/editions/obstetrica-6-2022/pages/page/5

La rédaction remercie la Fédération suisse des sages-femmes et les auteurs pour leur aimable autorisation de reproduction.

Texte traduit de l’allemand par Marco Fachin, Intertrad.

Les parturientes ont le droit de prendre leurs propres décisions concernant l’accouchement et leur corps. Cependant, la recherche montre que l’autonomie n’est souvent pas respectée lors de l’accouchement et qu’il y a, chez les professionnel·le·s, un manque de clarté sur le sens et la portée de l’autonomie lors de l’accouchement. Cet article traite, dans ce contexte, des fondements éthiques et juridiques de l’autonomie des parturientes.

L’autonomie est un concept aux multiples facettes, qui peut avoir plusieurs sens et est souvent utilisé comme synonyme d’autodétermination. Ce principe central de la bioéthique, largement développé dans de nouvelles directions par les approches féministes au cours des dernières décennies, signifie généralement au moins :

  • la capacité d’agir selon ses propres raisons, motivations et valeurs ;
  • l’absence de facteurs externes limitant indûment ses propres actions ;
  • la nature relationnelle et émotionnelle et l’empreinte culturelle des actions et des décisions humaines étant toujours prises en considération (Jennings, 2007; Scully, 2021).

L’autodétermination, qui relève plutôt du droit, est en revanche définie de manière plus étroite et désigne la possibilité de mettre en œuvre ses propres projets d’action et décisions, c’est-à-dire l’existence de conditions qui le permettent (Büchler, 2017b).

Expériences négatives lors de l’accouchement et violations de l’autonomie

La recherche montre que, dans le monde entier, de nombreuses parturientes vivent des expériences négatives lors de l’accouchement et que celles-ci sont souvent liées à des violations de leur autonomie, par exemple une perte d’autonomie ou des interventions sans consentement (Bohren et al., 2015; Oelhafen et al., 2021; Vedam, Stoll, Taiwo et al., 2019). L’autonomie ou, plus précisément, sa perte intervient dans l’interaction entre les parturientes et les professionnel·le·s. Ce qui montre bien le rôle essentiel que les professionnel·le·s jouent dans le respect de l’autonomie. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les violations de l’autonomie et une communication insuffisante sont des formes de maltraitance pour ce qui concerne l’accouchement (Bohren et al., 2015). Certains groupes (par exemple les Noirs, autochtones et personnes de couleur, en anglais Black, Indigenous and People of Color ou BIPOC, un acronyme né aux États-Unis et utilisé dans la lutte contre le racisme), historiquement exclus pour la plupart, subissent plus souvent de telles formes de maltraitance, ce qui suggère une perspective intersectionnelle à ce sujet. Parallèlement, les violations de l’autonomie ont une dimension juridique, car le droit de décider concernant son corps et son accouchement est garanti par les droits humains et inscrit dans les lois nationales (Büchler, 2017b). Enfin, une perte de contrôle associée à des violations de l’autonomie entraîne au post-partum un risque accru de troubles psychiques, lesquels se répercutent à leur tour sur le lien parent-enfant (Dekel et al., 2017). 

Toutefois, on ne peut pas tenir les professionnel·le·s de la santé pour seul·e·s responsables des violations de l’autonomie des parturientes, car de nombreux facteurs entrent en jeu. Également, il est insuffisant d’assimiler l’autonomie concernant l’accouchement simplement à un choix aussi large que possible, ou encore de l’interpréter de manière formaliste comme un simple consentement éclairé. Il s’agit plutôt d’avoir une compréhension approfondie de son caractère multifactoriel (Kukla et al., 2009).

Étendue de l’autonomie

Il est vrai que le début de la personnalité est défini différemment en droit civil (naissance accomplie) et en droit pénal (démarrage du processus d’accouchement). Cependant, les droits au traitement et à la protection accordés le cas échéant au fœtus ainsi que les interventions qui en découlent trouvent leur limite avec l’intégrité physique des parturientes (Büchler, 2017a). En même temps, c’est le plus souvent aussi pour le bien du fœtus qu’il faut respecter l’autonomie des parturientes, car la santé des femmes qui accouchent a un impact sur le fœtus et les violations de l’autonomie peuvent entraîner une perte de confiance des parents dans la médecine. Il arrive donc parfois que le principe de la bienfaisance et le principe de l’autonomie coïncident. Cela dit, il ne faut pas négliger l’aspect de la responsabilité juridique qui pousse souvent les professionnel·le·s de la santé à agir de manière défensive, par exemple en faisant passer le bien-être du fœtus avant l’autonomie des parturientes.

Les décisions respectant l’autonomie lors de l’accouchement se fondent sur un processus décisionnel centré sur la personne, donnant la priorité aux besoins et aux préférences de la parturiente (et non aux besoins institutionnels ou aux préférences des professionnel·le·s) et garantissant une prise en charge individuelle sur la base des connaissances actuelles (Vedam, Stoll, McRae et al., 2019). Une telle approche décisionnelle implique, entre autres, le respect de la dignité et de l’autonomie des parturientes, une attitude de soutien et une relation de confiance et de déférence (Sudhinaraset et al., 2017). Dans les rares cas où les parturientes refusent malgré tout les recommandations (une intervention par exemple) des professionnel·le·s, il faut, tant du point de vue du droit médical que de l’éthique médicale, respecter l’autonomie de la personne capable de discernement (Büchler, 2017b; Académies suisses des sciences [ASSM], 2018) ; cela vaut même en cas d’indication absolue d’une césarienne (Büchler, 2017a). 

Les mesures coercitives ne sont pas autorisées, car elles portent atteinte à l’autonomie et au droit à l’intégrité physique. Une décision autonome présuppose toutefois la capacité de discernement (ASSM, 2019). Si la personne parturiente est incapable de discernement, la décision incombe aux personnes habilitées à la représenter. L’incapacité de discernement ne doit cependant pas être assimilée à tort à l’apparente irrationalité d’une décision ou à un manque d’expertise médicale (Rost et al., 2022), mais doit être établie par des professionnel·le·s qualifié·e·s sur la base de critères définis (ASSM, 2019). Les parturientes sont présumées capables de discernement et toutes les interventions et tous les examens pratiqués pendant l’accouchement nécessitent donc un consentement éclairé. 

La césarienne élective

L’autonomie comprend-elle également le droit à une césarienne élective ? La réponse à cette question est moins claire. Dans le contexte d’une autonomie de plus en plus revendiquée et d’une diminution des risques de l’intervention, il semble toutefois qu’il existe actuellement un large consensus juridique et éthique sur le fait que les parturientes doivent pouvoir choisir leur mode d’accouchement (Büchler, 2017a; Romanis, 2019). À ce sujet, pour des raisons d’éthique de l’équité, il faut accorder à toutes les personnes enceintes la possibilité d’avoir une césarienne si elles le souhaitent, si des raisons compréhensibles, au sens large, justifient l’intervention, ce qui suppose de clarifier la question du financement par l’assurance de base. En revanche, les opérations esthétiques pendant un
accouchement ne relèvent pas directement du domaine de l’autonomie reproductive et ne sont pas défendables éthiquement en raison de taux de complications élevés (Iribarren-Moreno et al., 2019). Il est important de discuter de telles préférences en tenant compte des motifs, peurs et perceptions des risques personnels ainsi que des idéaux de beauté et conceptions de la normalité dominants.

Facteurs influant sur l’autonomie 

L’autonomie est toujours construite socialement (Scully, 2021). Personnes enceintes et parturientes vivent dans des relations avec d’autres personnes et ces relations sont constitutives de leur autonomie. D’une part, l’implication dans des relations signifie être dépendant et vulnérable, mais d’autre part, elle rend possible la capacité d’action et des projets de vie. Ces relations codéterminent les attitudes concernant l’accouchement et celui-ci se déroule dans le cadre de relations. En outre, l’autonomie des parturientes doit être considérée à la lumière d’aspects biographiques (par exemple, vulnérabilité à la suite d’une maladie ou d’un traumatisme), de normes socioculturelles (par exemple, concernant le mode d’accouchement, les conceptions des sexes) et de rapports de pouvoir entre sexes (par exemple, politique de la santé, postes de direction dans les hôpitaux) ainsi que des évolutions actuelles du système obstétrical (par exemple, économisation, médicalisation, technicisation) (Jung, 2017; Kukla et al., 2009). Ces domaines s’influencent mutuellement et se manifestent dans les interactions interpersonnelles lors de l’accouchement et donc dans les expériences des parturientes à cette occasion. L’autonomie lors de l’accouchement se réalise comme le résultat de nombreux facteurs.

Bien que les préférences en matière d’autonomie et de prise de décision varient selon les personnes, la plupart d’entre elles souhaitent une implication active et significative et une grande autonomie (Vedam, Stoll, McRae et al., 2019). Dans une étude suisse, il a été démontré que plus la préférence de la personne parturiente pour l’autonomie était élevée, plus la coercition informelle par les professionnel·le·s (par exemple, intimidation, manipulation) était probable (Oelhafen et al., 2021). Les conceptions de l’autonomie sont souvent complexes ; elles diffèrent des conceptions traditionnelles et incluent des aspects tels que le partage des expériences et des attentes liées à l’accouchement, ainsi que des informations et un soutien personnalisés (Ledward, 2017). On sait également que les parturientes ne connaissent parfois pas suffisamment leurs droits en matière de procréation (Rost et al., 2022).

Promotion de l’autonomie

Une promotion fondamentale de l’autonomie concernant l’accouchement doit agir à tous les niveaux mentionnés ci-dessus. Quelques approches concrètes sont esquissées ci-après. Il ne fait aucun doute que les contacts prénataux entre les personnes enceintes et les professionnel·le·s favorisent une prise de décision centrée sur la personne, plus proche de l’autonomie durant l’accouchement. Il existe en outre toute une série d’outils d’aide à la prise de décision (par exemple, instruments avec des étapes concrètes, poupée fœtale, modèle de placenta). La formation initiale, continue et postgraduée des professionnel·le·s de la santé ainsi que les cours de préparation à l’accouchement devraient aborder les droits des parturientes en matière de procréation, afin de clarifier non seulement les questions physiologiques et médicales, mais aussi les questions normatives. Ils devraient en outre montrer que l’expérience d’autonomie des parturientes a des répercussions sur le bien-être du fœtus et de l’enfant après sa naissance. La politique de santé est appelée à créer de meilleures conditions pour l’autonomie lors de l’accouchement (par exemple, plus de personnel, la correction des incitations économiques en matière de santé). Il convient d’envisager l’adaptation des normes juridiques (par exemple, l’indemnisation en cas de violence) et éthiques (par exemple, le respect comme principe fondamental). Conformément aux directives de l’OMS, les expériences d’autonomie, de respect et de maltraitance devraient être recueillies de manière routinière et reconnues comme des indicateurs essentiels de la qualité des soins. En définitive, la promotion de l’autonomie durant l’accouchement est un défi pour l’ensemble de la société, car il faut remettre en question et surmonter des normes, des récits et des structures de pouvoir largement acceptés, qui désavantagent le plus souvent les femmes, mais aussi d’autres groupes.

Reconnaître les expériences négatives de l’accouchement

Le point fondamental de toute approche doit cependant être la reconnaissance inconditionnelle des expériences négatives de l’accouchement. La reconnaissance de ces expériences est avant tout un impératif d’éthique de la bienfaisance (Tronto, 1993). Ce n’est qu’en plaçant ces expériences au centre des efforts de promotion de l’autonomie que l’on peut y parvenir. Désavouer les expériences négatives de l’accouchement constitue, comme le montre la philosophe Miranda Fricker (2009), une injustice épistémique et une violation de l’autonomie. La crédibilité des parturientes et leur statut d’être pensant ne doivent pas être remis en question sur la base de préjugés à leur égard. En ce qui concerne leurs expériences d’accouchement, les parturientes jouissent d’un privilège de conscience et d’interprétation. Il devient alors évident qu’en plus de la reconnaissance par les autres, la propre capacité à décrire et à problématiser les expériences d’accouchement est nécessaire. Dans une société sans conscience critique des violations de l’autonomie lors de l’accouchement, il manque un langage et des concepts pour pouvoir le faire et intégrer les expériences négatives à ce sujet dans son autobiographie. La justice reproductive exige donc, entre autres, une reconnaissance des violations de l’autonomie et l’association systématique des personnes concernées aux processus de création des connaissances et de formation du langage tels que la recherche, le journalisme et la politique.

Références bibliographiques

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