Tout a commencé par un groupe sur WhatsApp. À l’automne 2021, des sages-femmes de 120 maternités privées se sont rassemblées pour faire le poids face à la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP).
« J’ai lancé le groupe, qui désormais s’autogère, relate Céline Morais, sage-femme à la clinique de la Croix du Sud de Toulouse. En 2020, j’ai comparé les salaires du privé et du public à Toulouse. J’ai passé deux mois à récolter les données et voir ce qui était comparable et tenable. Le constat était clair : les professionnelles du privé gagnent 25 % de moins que dans le public. Cette différence est moindre en début de carrière, mais elle évolue vite. En fin de carrière, cela équivaut à 1500 euros nets de moins. »
BATAILLE DE CHIFFRES
Le 11 novembre, 2049 sages-femmes signent un long courrier de seize pages à la FHP détaillant leur revendication. En parallèle, des grèves sont lancées. « Nous revendiquons des salaires en rapport avec nos responsabilités pénales, la pénibilité du travail, nos compétences et notre nombre d’années d’études », clame Céline Morais. « Nous réalisons en clinique un quart des naissances françaises. Nous représentons 14 % de l’ensemble de la profession. Nous ne pouvons pas être laissées pour compte », martèle leur courrier. « Dans les grilles salariales de la FHP, nous sommes considérées comme des agents de maîtrise, ce qui correspond à un niveau bac+3, alors que nous avons fait cinq ans d’études », souligne Pierre Le Vraux, sage-femme à la clinique Bretéché, à Nantes. Un deuxième courrier est adressé à la FHP le 24 décembre. La réponse du président de la FHP, Lamine Gharbi, tombe le 10 décembre et reprend surtout la question de la transposition au privé de l’accord signé dans le public le 22 novembre.
Pour parvenir à la même augmentation que dans le public, la FHP intègre l’augmentation de 54 euros bruts mensuels par sage-femme, appliquée depuis le 1er octobre 2021. L’accord négocié courant décembre entre les syndicats et la FHP prévoit aussi une revalorisation de 300 euros nets mensuels, qui entrerait en vigueur le 1er février dans le privé. Selon le courrier de Lamine Gharbi, cela correspond à une « mesure simplifiée » et plus rapide par rapport à celle du secteur public. « Le compte n’y est pas, estime Céline Morais. Nous ne discutons pas de la transposition de l’accord signé dans le public. Elle est actée et nous toucherons aussi 500 euros nets de plus. Mais les différentiels demeurent ! » La FHP estime, en s’appuyant « sur un échantillon de salaires à dix ans d’ancienneté », que le différentiel entre les salaires du public et du privé n’est que de 2 %, loin de celui de 25 % affiché par les sages-femmes.
EFFECTIFS EN DANGER
Outre cette bataille de chiffres, les maternités privées font aussi face à des manques d’effectifs et de postes. Les grèves menées ciblent aussi cet enjeu, chacune avec ses particularités locales. Fin décembre et courant janvier, des grèves ont eu lieu, entre autres, dans les cliniques Bretéché, à Nantes, des Cèdres, à Échirolles, de Keraudren, de Beauregard, à Marseille, ou encore Claude-Bernard, à Ermont, dans le Val-d’Oise. Le climat est tendu. Le groupe Elsan aurait porté plainte contre les sages-femmes qui n’avaient pas répondu aux réquisitions, ne les ayant pas reçues en mains propres, selon plusieurs sources. Dans plusieurs lieux, la grève a entrainé des arrêts d’activité, transférée vers d’autres établissements. Ce fut le cas à la clinique Rive Gauche, à Toulouse, qui accueille en moyenne 3800 naissances par an. Après des grèves en octobre et novembre, obligeant déjà la maternité à fermer, les sages-femmes ont de nouveau mené une grève dure en janvier. Elles auraient obtenu gain de cause et signé un accord confidentiel avec leur direction, selon nos sources. « À la clinique de la Croix du Sud de Toulouse, deux collègues ont démissionné à l’automne et deux autres s’apprêtent à le faire courant avril, témoigne en revanche Céline Morais. Nous alertons la direction, sans retour pour l’instant, car il nous manquera environ 8 équivalents temps pleins, sur 19 postes, pour 2000 naissances par an. N’avoir qu’une sage-femme en salle de jour comme de nuit n’est pas acceptable en termes de sécurité ! » Entre combativité et lassitude, les sages-femmes résistent.
La mobilisation se poursuit
Alors que les syndicats signataires du protocole d’accord du 22 novembre continuaient de négocier les revalorisations des grilles salariales des sages-femmes du secteur public, un nouveau week-end noir était lancé le 27 janvier à l’initiative de l’Organisation nationale des syndicats de sages-femmes. Selon le syndicat, en octobre, 468 sages-femmes libérales qui ont répondu au questionnaire en ligne de l’ONSSF se sont déclarées grévistes. Elles ont été au nombre de 423 en décembre. Du côté des maternités, des sages-femmes étaient en grève dans 220 établissements en septembre, 138 en octobre et 156 en décembre.
■ Nour Richard-Guerroudj