« Un système complexe impose de la coordination »

Claude Leicher, médecin généraliste et ancien président de MG France, n’a cessé de promouvoir la collaboration entre professionnels libéraux. D’abord au sein des maisons de santé pluridisciplinaires et à présent au sein des CPTS. Le président de la Fédération des CPTS promeut un modèle qui doit rester souple.

Claude Leicher, président de la Fédération des CPTS. © D.R.

L’enjeu de la coopération et de la coordination des professionnels libéraux est ancien en périnatalité. En quoi les CPTS sont une réponse ?

Il ne suffit pas d’avoir des professionnels de santé bien formés, en nombre suffisant pour que le système fonctionne bien. Et l’avenir n’est pas lié qu’au financement de l’hôpital. Nous sommes dans un système de santé complexe, ce qui impose des besoins de coordination. La France est en train de corriger son point faible en matière d’organisation collective. Les CPTS permettent de s’organiser en ambulatoire, pour faire des choses compliquées, comme l’accompagnement de parcours complexes pour des patients, et travailler avec l’hôpital. Il est possible de traiter de situations complexes en ville en ayant des protocoles partagés d’orientation pour l’entrée et la sortie des patients de l’hôpital par exemple. Savoir quelles structures existent, qui contacter pour quelle problématique, où et quand, est capital.

Les professionnels de santé libéraux semblent l’avoir compris, notamment à travers la crise sanitaire. Nous n’atteindrons pas l’objectif de 1000 CPTS en 2022 souhaité par le Gouvernement, mais nous en approchons. Alors que cela ne fait que deux ans que les CPTS ont obtenu un cadre et des moyens de fonctionnement, nous avons comptabilisé plus de 700 CPTS à l’état de projet ou actives, couvrant près de 50 millions d’habitants, ce qui est très positif. Parmi elles, près de 160 ont déjà signé un accord conventionnel interprofessionnel. La moitié d’entre elles sont adhérentes de la Fédération. Le phénomène des CPTS apparaît désormais comme irréversible.

Ce qui est intéressant, c’est que quasiment toutes comptent des sages-femmes parmi leurs adhérents. Nos enquêtes ne nous permettent pas en revanche d’identifier combien de CPTS comptent de sages-femmes dans leur gouvernance.

Cette participation nous intéresse en tout cas beaucoup, car la profession se développe de plus en plus en libéral. Et si nous voulons solutionner les problématiques de l’hôpital, il faut développer l’ambulatoire. C’est la qualité de l’organisation de la ville qui pourra apporter des solutions à l’hôpital. L’hôpital ne souffre pas que de problématiques capacitaires. Depuis des années, l’hôpital a été rendu attractif pour la population, mais en même temps, une grande partie de la population s’y rend sans avoir réellement besoin de toute l’infrastructure hospitalière. Il est donc nécessaire de grader les soins. Au préalable, les professionnels ont à organiser les soins en ville et à faire savoir qu’ils sont organisés. Les sages-femmes occupent en cela une place centrale.

La notion de territoire est primordiale. Les ARS et les CPTS s’entendent-elles sur leur définition ?

Le territoire est défini par les professionnels de santé et ne correspond pas nécessairement au découpage administratif des communes ou départements. L’ARS ne décide pas, mais peut engager une discussion sur la base de la proposition des soignants pour affiner le territoire couvert par une CPTS. Il n’est en effet pas pertinent que des CPTS doublonnent sur certaines parties des territoires. Mais nous n’avons pas connaissance de refus définitif d’une ARS en matière de définition d’un territoire. Les professionnels ont le dernier mot.

De nombreux professionnels de santé libéraux redoutent un contrôle important de l’État, mettant à mal les piliers de la médecine libérale. Qu’en est-il avec les CPTS ?

D’emblée, lors de la création des CPTS en 2016, j’avais dit à Marisol Touraine qu’il fallait laisser l’initiative aux professionnels libéraux de s’organiser comme ils l’entendent. Les ARS jouent un jeu subtil, qui n’a pas été coercitif. Avec la contractualisation proposée aux CPTS, les libéraux peuvent avoir l’impression d’être sous la coupe de l’État. En réalité, un contrat permet des financements et il paraît légitime que les ARS contrôlent que les fonds alloués ont été correctement employés et observent ce qui est fait de l’argent public. 

Pour l’instant, les sommes allouées servent à créer les fonctions support des CPTS : logiciels de communication entre professionnels, annuaires, messagerie sécurisée, embauche d’un coordinateur, etc. Les premiers indicateurs prévus par la contractualisation concernent surtout la mise en route de moyens de fonctionnement. Nous ne sommes pas soumis à des indicateurs de résultats pour l’instant. Les professionnels libéraux devraient se percevoir en tant qu’acteurs de santé publique et non en tant qu’agents de l’État. C’est un changement de culture qui les fait passer du dialogue singulier avec leurs patients, à la gestion de patientèle, et, maintenant, à la coordination entre professionnels de santé, puis avec l’hôpital.

En quoi les CPTS peuvent-elles être utiles concrètement aux professionnels ?

Il s’agit de faciliter le métier de chacun par de meilleures collaborations et une meilleure articulation ville-hôpital à terme, dans l’intérêt de la population d’un territoire donné. Très concrètement, en matière de vaccination anti-Covid, nous allons passer de la vaccination en centre à la vaccination de proximité, en cabinet. Une CPTS peut recenser les soignants qui pratiquent cette vaccination et le faire savoir à la population, avec l’aide d’une municipalité par exemple. La liste des professionnels peut ainsi être diffusée. C’est important, alors que les professionnels ont l’interdiction de faire de la publicité concernant leurs activités. 

Il ne faut pas oublier non plus le fait que les CPTS ont pour mission de favoriser les liens et la coordination avec les structures médico-sociales. Les personnes à risque, vulnérables, ne dépendent pas que de soins médicaux. Notre limite en libéral pour accompagner au mieux nos patients est souvent l’absence d’articulation avec des partenaires médico-sociaux. C’est encore nouveau pour nous et nous n’imaginons ni le nombre de structures existantes ni le rôle des professionnels qui y exercent. Qu’il s’agisse d’accompagnement des personnes âgées, de personnes en situation de handicap, d’hébergement des femmes, de lutte contre les violences faites aux femmes… les structures sont nombreuses. Nous sommes souvent démunis et il est compliqué de se parler. Dans les deux sens, nous ne savons jamais quelles sont les bonnes heures pour se joindre, comment nous travaillons. La première étape est de se parler et la CPTS offre le cadre.

■ Propos recueillis par Nour Richard-Guerroudj