Affaire Daraï : la déflagration

Quatre plaintes pour viol ont été déposées contre Émile Daraï, chef de service à l’hôpital Tenon, à Paris. En parallèle, le scandale révèle l’insuffisance des méthodes du Collège national des gynécologues-obstétriciens dans son dialogue avec les associations représentantes d’usagers.

Quatre femmes ont porté plainte contre Émile Daraï, professeur spécialiste de l’endométriose à l’hôpital Tenon, à Paris, dont une pour « viol sur mineur ». En cause, notamment, des touchers rectaux ou vaginaux réalisés avec brutalité, sans information ni consentement des patientes. Une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Paris. Depuis que Flush Magazine et France Info ont publié les premiers témoignages accablants contre le professeur, le collectif Stop les
violences obstétricales et gynécologiques (@StopVOG.fr), qui a contribué à médiatiser le sujet, dit avoir récolté les récits de près de 140 femmes contre Émile Daraï et une trentaine contre d’autres praticiens de son service. 

JUSTICE ATTENDUE

Émile Daraï a été mis en retrait de ses fonctions de chef de service et d’enseignement par l’AP-HP et l’université de la Sorbonne, le temps d’une enquête interne, en cours. Le professeur assure en revanche toujours des consultations. « Malgré la présomption d’innocence, il serait possible de suspendre ses activités de consultation pour protéger les patientes », estime Sonia Bisch, porte-parole de StopVOG.

La procédure judiciaire n’en est qu’à ses prémices. Impossible de dire quelles qualifications le tribunal retiendra. Pour les avocats des victimes, il s’agira de démontrer le viol, qui implique un « acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise », selon la loi. De son côté, l’avocat d’Émile Daraï tentera probablement de démontrer l’absence de caractère sexuel ou d’intentionnalité sexuelle dans ce qui est reproché à son client. À l’hôpital, une pétition en soutien au médecin a été lancée, elle a recueilli 300 signatures. Un groupe Facebook de plus de 200 membres a aussi été lancé par des patientes satisfaites du spécialiste.  

Pour Anne Simon, enseignante-chercheuse en droit à l’université de la Sorbonne, il est trop tôt pour commenter le cas Daraï. Elle a initié avec sa collègue Elsa Supiot un travail de réflexion sur les « Violences gynécologiques et obstétricales saisies par le droit » en 2019, suite au rapport du HCE. L’objectif est de « recenser et de catégoriser des situations dites de violences obstétricales dans le champ du droit afin de clarifier le cadre normatif existant et de permettre tant de fonder les recours éventuels de patients que de sécuriser les pratiques professionnelles ». Que ce soit dans l’affaire Daraï ou au-delà, la notion de consentement, au cœur des faits de viol ou d’agression sexuelle et de la loi Kouchner sur le droit des patients, sera centrale dans les
futurs débats. 

L’EMBARRAS DU CNGOF

Le scandale Daraï éclabousse en tout cas le Collège national des gynécologues-
obstétriciens de France (CNGOF). Le 21 octobre, ce dernier a publié une charte concernant la consultation en gynécologie et obstétrique, rappelant maladroitement la nécessité de respecter l’information et le consentement des patientes. Le Collège enjoint aux soignants de l’afficher dans leur salle d’attente. Pourquoi maintenant, alors que les violences obstétricales et gynécologiques sont dénoncées depuis plusieurs années ? « Beaucoup de nos collègues appliquent déjà les principes de la charte, mais nous nous sommes sentis obligés de restaurer un climat de confiance et de rassurer les femmes. Nous étions pressés de toute part, y compris par les médias. »,
reconnaît Joëlle Belaïsch-Allart, présidente du CNGOF. Le Collège, où Émile Daraï préside toujours une commission dédiée à l’oncologie, craint-il la mauvaise publicité ou des répercussions médico-
légales dans les établissements ?

Invité à amender le texte de la charte et à le cosigner en 48 heures, le Collège
national des sages-femmes a décliné. « La charte du CNGOF est une réponse faite dans l’urgence face au scandale médiatique, note Adrien Gantois, président du Collège national des sages-femmes. Ce ne sont pas nos méthodes de travail. La question des violences obstétricales et gynécologiques mérite un travail de fond. »

Le Collectif interassociatif autour de la naissance (Ciane) a aussi reçu le texte, mais la charte a été rendue publique sans tenir compte de ses retours. Le Ciane a donc décidé de se retirer de la commission Probité du CNGOF, qui planche depuis deux ans, de façon pluridisciplinaire, sur les violences obstétricales et gynécologiques. « Les conditions de dialogue avec le CNGOF ne sont plus réunies, estime Anne Évrard, coprésidente du Ciane. Le travail de Probité, groupe que nous avons initié, pourrait se poursuivre selon d’autres formes. Si la jurisprudence est primordiale en matière de violences obstétricales et gynécologiques, il s’agit d’éviter qu’elles ne se produisent. Cela passe notamment par l’appropriation, dans la pratique concrète quotidienne, de la notion de consentement, et donc par la formation des soignants. Il faudra aussi des engagements politiques pour faire avancer les choses. »

Pour l’instant, Joëlle Belaïsch-Allart affirme que la charte n’était « qu’une première pierre » et que « la maison reste à construire ». « Nous souhaitons initier des recommandations de bonnes pratiques professionnelles concernant la consultation, en associant sages-femmes et usagers », poursuit la présidente. Le CNGOF tient aussi à relancer le label Bientraitance-Maternys alors que ce dernier a toujours été désavoué par les organisations de patientes et le Collège national des sages-femmes. Le dialogue entre les représentants des obstétriciens et des usagères reste donc âpre.

■ Nour Richard-Guerroudj