EXPOSÉ
Alice*, 35 ans, a accouché par césarienne il y a deux mois de son cinquième enfant. Elle consulte pour un bilan périnéal, car elle souhaite savoir « où elle en est de son périnée ».
ANAMNËSE
Infirmière de formation, Alice ne travaille pas. Ses quatre premiers enfants sont nés par voie basse (2007, 2008, 2013, 2015). Le premier accouchement a nécessité le recours aux forceps, avec épisiotomie. Pour les autres, Alice a eu des déchirures périnéales. Les enfants pesaient entre 2800 et 3200 grammes.
Dans les antécédents d’Alice, on retrouve :
- la mise en place de prothèses mammaires en 2011 ;
- une demande de ligature des trompes, en 2015, à l’âge de 30 ans, refusée au motif qu’elle était « trop jeune ». Le couple choisit alors d’utiliser des préservatifs ;
- la consultation d’un chirurgien urologue pour dyspareunie, après adressage par le gynécologue, en 2018. Compte tenu d’une colpocèle postérieure de stade II, d’une colpocèle antérieure de stade I et d’un diastasis des muscles releveurs, elle bénéficie d’une colpopérinéorraphie postérieure sous anesthésie générale, associée à une cure de béance vulvaire. « Le résultat anatomique est favorable avec disparition des symptômes », note le chirurgien urologue à distance. La question de la contraception n’est pas abordée par le chirurgien avant, pendant ou après l’intervention.
Fin 2019, Alice est enceinte de son cinquième enfant. Le couple souhaite poursuivre la grossesse. À cinq mois de grossesse, interrogé quant à la pertinence d’une césarienne prophylactique, le chirurgien urologue confirme qu’ « un nouvel accouchement par voie vaginale ferait courir un risque très élevé de récidive anatomique ». Il lui « semble effectivement préférable d’épargner le périnée de cette patiente, et ce d’autant que la réparation avait montré des tissus très cicatriciels et extrêmement fragiles ». Une césarienne est donc programmée à 38 SA + 3 jours. Celle-ci se déroule en août 2020 sans problème.
Lors de la consultation, Alice décrit l’impression de ne plus vraiment savoir quand elle doit aller uriner, et aussi de ne jamais vider correctement sa vessie. Un ECBU a été pratiqué. Il ne montre aucune anomalie. Côté transit, on retrouve une constipation depuis l’adolescence. Lorsque nous la voyons, le transit est régulier avec au moins trois selles par semaine, plutôt molles, mais nécessitant parfois des efforts de poussée. La reprise des rapports sexuels, un mois après la césarienne, a généré des pesanteurs. Une gêne devenue quasi permanente, préoccupante. Aucune rééducation n’a été proposée à l’issue de la visite postnatale, effectuée peu de temps avant notre rencontre. À l’examen, le périnée cote à 1. Il n’y a pas de ptose ni de béance. Les tissus sont très mous.
De sa propre initiative, Alice envisage de commencer prochainement un renforcement musculaire avec la méthode du Kangatraining®**. Elle n’a jamais subi de violences, ni physiques, ni psychiques, ni sexuelles. Le couple communique bien.
ACCOMPAGNEMENT
Nous demandons un calendrier mictionnel et des conseils sont proposés pour favoriser la défécation (marche à pied, respiration, manœuvres…) [2]. Nous lui faisons essayer la ceinture confort Physiomat®*** qui lui procure un bénéfice immédiat en station debout. Nous lui déconseillons fortement la pratique du Kangatraining®, au motif que le poids du bébé et les sauts ne peuvent qu’augmenter les pressions délétères et générer des problèmes. C’est l’occasion d’évoquer l’utilisation possible du pessaire cube, à titre préventif, pour l’avenir [3]. Nous l’invitons à envisager un travail ostéopathique, intracavitaire si besoin. Du fait de la fragilité persistante des tissus, des ovules à base d’acide hyaluronique sont prescrits.
Compte tenu de l’éloignement géographique avec notre cabinet, nous proposons à Alice une prise en charge au plus près de chez elle, auprès d’une professionnelle, sage-femme ou kinésithérapeute, formée à l’approche posturo-respiratoire de la Dre de Gasquet. Il s’agit de travailler non seulement son périnée, mais aussi sa posture et sa respiration, et par la même son gainage ainsi que sa conscience des pressions.
Nous la revoyons quinze jours après. Elle dit aller mieux et se sent rassurée. L’analyse du calendrier mictionnel s’avère satisfaisante. Alice a juste tendance à se retenir un peu trop l’après-midi, « faute de temps ». Nous l’invitons à être plus vigilante, plus à l’écoute de son besoin à ce moment-là de la journée.
Dès notre première rencontre, nous avions posé la question de la contraception utilisée depuis la reprise des rapports sexuels. Le mari d’Alice envisage une vasectomie, mais le rendez-vous chez un spécialiste ne peut avoir lieu avant quatre mois. Un délai de quatre mois étant nécessaire entre la première consultation et celle qui fixe les modalités de l’acte opératoire, ce dernier serait ainsi reporté, au mieux, dans huit mois. En attendant, le couple se contente de préservatifs.
Nous avions alors évoqué la possibilité de « tomber » enceinte avant la vasectomie, ou dans les mois qui suivent, préoccupation qui pouvait être « pesante », une nouvelle grossesse n’étant pas dans les projets du couple ni souhaitable dans l’année suivant une césarienne.
Quelques minutes plus tard, alors que nous prenions note de notre examen dans le dossier, nous avions entendu : « je voudrais que vous me prescriviez une pilule ». Bien qu’Alice soit suivie par un gynécologue depuis de nombreuses années, nous avons immédiatement accédé à sa demande en prescrivant une contraception orale adaptée. Il s’agissait de répondre à l’urgence et d’assumer notre rôle de premier recours pour les femmes, en tant que sages-femmes.
DISCUSSION
En même temps que la question du périnée, celle de la contraception a retenu notre attention dans le cas d’Alice. En effet, la chirurgie urologique a été proposée en première intention en l’absence de contraception efficace. Or les deux devraient être étroitement liées pour optimiser les bienfaits de la chirurgie. Toute nouvelle grossesse, et pas seulement le mode d’accouchement, risque en effet de solliciter le système ligamentaire.
L’absence de prise en charge de la demande de contraception nous est apparue patente. En effet, nous estimons qu’il y a eu des manquements par quatre fois :
- lors du refus de ligature des trompes pour un motif opposable, à savoir son âge,
- lors de la chirurgie urologique,
- lors de la césarienne programmée, alors qu’il était possible d’envisager une ligature des trompes dans le même temps pour éviter une récidive de grossesse inopinée chez une femme demandeuse de contraception définitive,
- lors de la visite postnatale effectuée quelques jours avant notre premier entretien.
On peut objecter que la patiente a été ambigüe dans ses demandes ultérieures ou que nous avons recueilli un récit qui peut être différent de la réalité. Cette réflexion vaut pour toute anamnèse qui, comme l’indique son étymologie grecque, consiste « à faire remonter des souvenirs ».
Il est cependant permis d’en douter, au regard de la décision prise par Monsieur de faire pratiquer une vasectomie, alors qu’il s’agit d’une démarche encore très marginale en France (moins de 8 % de la population concernée contre plus de 20 % des couples en Grande-Bretagne et au Canada [4]).
Les refus ou l’absence de proposition de contraception renvoient à la question toujours brulante du droit des femmes à disposer de leur corps, ici comme ailleurs. Quel que soit le motif initial de consultation, l’une des missions des sages-femmes est bien d’aider les femmes à disposer de leur corps, sans jugement de valeur.
*Le prénom a été modifié.
**Développé en 2008 par une maman autrichienne, danseuse professionnelle, le Kangatraining® s’adresse aux jeunes mamans avec leurs bébés, dès 6 semaines après l’accouchement voie basse, 10 semaines après césarienne. Le renforcement musculaire se fait avec le nouveau-né en portage, en poussette.
***Ceinture de maintien du bassin développée par la Dre Bernadette de Gasquet pour une meilleure posture, la protection du périnée et des lombalgies.
Sophie Frignet, sage-femme libérale et formatrice à l’Institut de Gasquet, est l’autrice du livre Le Périnée des filles aux éditions de l’Éveil (2018).
Elle déclare des liens d’intérêt avec l’Institut de Gasquet.
Références bibliographiques
[1] Valérie Haudiquet, Maya Surduts, Nora Tanenbaum. Une conquête inachevée : le droit des femmes à disposer de leur corps. Syllepse, 2008
[2] Dre Bernadette de Gasquet. Libérez vos intestins. Marabout, 2020.
[3] https://www.youtube.com/watch?v=7IeO7Uo4cdQ
[4] http://www.contraceptionmasculine.fr/