Handi CAP vers la maternité fédère les professionnels

Handi CAP vers la maternité est un parcours dédié à l’accueil des futures mères en situation de handicap, développé voilà plus de trois ans au sein du Groupement des hôpitaux de l’Institut catholique de Lille. Pensé par une équipe pluridisciplinaire, il veut réserver un accueil universel aux femmes.

À la maternité Saint-Vincent-de-Paul, à Lille, la salle nature, spacieuse, permet aussi d’accueillir les femmes en situation de handicap. Les lianes et d’autres adaptations leur sont d’une grande aide. © D.R.

« C’est notre cœur de métier ! En tant que sages-femmes, nous devons accompagner toutes les patientes, les couples, les nouveau-nés, dans le respect du souhait de leur projet, que les femmes soient ou non en situation de handicap. » Sage-femme coordinateur au Groupement des hôpitaux de l’Institut catholique de Lille, Mathieu Rossi est ravi de la mise en place d’un parcours dédié aux femmes enceintes en situation de handicap. « C’est un projet fabuleux, poursuit-il. Nous avons essayé d’adapter notre offre au mieux par rapport aux différents types de handicap, qu’ils soient moteurs, visuels, sensoriels, cognitifs… » S’il réserve un meilleur accueil aux patientes, le parcours Handi CAP vers la maternité, mis en place voilà plus de trois ans à la maternité de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, à Lille, rassure aussi les professionnels.

SITUATION CRITIQUE

L’histoire débute véritablement en 2014. À l’époque, la maternité fait face à la difficile prise en charge d’une parturiente avec un lourd handicap moteur. L’équipe est déstabilisée. « La situation était très complexe, mais elle a permis aux chefs de service de la maternité et de la médecine physique et de réadaptation de se rencontrer », raconte Émilie Bachary, qui dirige aujourd’hui le service d’accès aux soins pour les personnes handicapées. Un groupe pluriprofessionnel d’une quinzaine de professionnels se constitue : médecins spécialisés dans le handicap, sages-femmes, gynécologues-obstétriciens, infirmiers, aides-soignants, anesthésistes, assistantes sociales, ergothérapeutes, infirmiers… « Et en fonction des situations, nous pouvons faire appel à d’autres compétences en interne, précise la porteuse de projet. Par exemple, dans les situations de handicap psychique, comme des femmes schizophrènes ou bipolaires, nous sollicitons le service de psychiatrie. Pour une mère avec une maladie invalidante, nous appelons le service de neurologie. » À l’entendre, dès le départ, tous les professionnels étaient convaincus et motivés. « Je pense que chacun dans sa pratique avait dû être confronté à une situation de handicap et avait été dépourvu, analyse-t-elle. On sait que l’un des freins de l’accès aux soins est la méconnaissance du handicap par les professionnels de santé. Ici, je crois qu’ils avaient tous cette curiosité. Les secrétaires étaient également motivées. Au démarrage du projet, elles étaient les premiers contacts des patientes. Il fallait les accompagner. Nous réalisons des formations pour tous les paramédicaux et des immersions pour les médicaux, ainsi que des rencontres avec des associations de patients. Nous nous appuyons également sur un groupe de recherche hospitalo-universitaire. Il s’agit de faire tomber les représentations et les stéréotypes sur le handicap. Nous avons aussi la chance d’être accompagnés par des mamans expertes, des femmes en situation de handicap qui ont accouché à la maternité. Nous leur faisons par exemple valider nos adaptations. »

DIAGNOSTIC DU CIRCUIT

Le temps que les équipes échangent, se documentent, recueillent des données, trouvent les fonds, achètent du matériel adapté, le projet voit le jour deux ans plus tard. « Avec une ergothérapeute et une maman experte, nous avons d’abord réalisé un diagnostic du circuit que devait accomplir une maman handicapée à la maternité, poursuit Émilie Bachary. Il a constitué un premier axe directeur. Par exemple, dès l’accueil de l’hôpital, l’agent s’était adressé à moi, vulgaire accompagnatrice, au lieu de parler à la personne concernée et autonome. Plusieurs petites choses de ce type ont été repérées, comme l’interphone des urgences, positionné à hauteur d’un homme debout, inaccessible à une personne en fauteuil. » L’établissement investit dans du matériel : poinçon pour sculpter en relief les images d’échographie, tables d’examen et d’accouchement adaptées, baignoires pour bébé à hauteur variable, coussins de positionnement et planches de transfert, sonnettes lumineuses dans les chambres qui seront occupées par des personnes malentendantes, poupons lestés pour les ateliers de préparation à la parentalité… Au même moment, la maternité veut se doter d’une salle nature. Choix est fait de mutualiser les dispositifs. « Nous avons anticipé la surface et les éléments qui allaient composer cette salle, raconte la sage-femme Mathieu Rossi. Nous avons par exemple envisagé une salle de bains PMR avec une giration de 1,50 m pour les patientes en fauteuil, des rambardes sur les côtés des toilettes, une chaise de douche, des moyens pour se repérer… Les rails au plafonnier permettent de fixer un lève-malade mais aussi les lianes d’étirement utilisées pour favoriser la progression du bébé, le confort de la patiente, la prise en charge de sa douleur. La table d’accouchement physio permet de multiples positions. Ce type d’aménagement peut bénéficier à toute femme, en situation de handicap ou non. D’ailleurs, nous envisageons désormais toutes nos salles d’accouchement équipées de lianes. » Fin 2017, une première étape du parcours Handi CAP vers la maternité est opérationnelle.

L’année suivante, Émilie Bachary, qui pilote le dispositif, s’entoure de trois personnes, qu’elle coordonne dans le cadre de l’équipe mobile d’accès aux soins des personnes handicapées (Émah), une équipe transversale sur l’ensemble des services, avec du temps dédié pour les patients, leur entourage et les professionnels de santé. L’infirmier coordinateur et deux ergothérapeutes organisent, accompagnent, reformulent, proposent des solutions. Financièrement soutenue par l’ARS, l’équipe s’astreint à un suivi d’activité. En trois ans, une trentaine de femmes a été accompagnée en maternité, essentiellement des femmes en situation de handicap moteur, mais aussi quelques patientes avec un déficit sensoriel, psychique ou cognitif. De nombreuses femmes en situation de handicap n’ont pas forcément besoin d’un parcours dédié et personnalisé, sans parler des handicaps invisibles ou de ceux qui se déclarent tardivement. L’équipe peut être contactée par une sage-femme ou un obstétricien ou directement par la patiente, orientée par le bouche-à-oreille, des professionnels de ville, des associations de patients. Certaines femmes la contactent avant même le début de grossesse. Charles Piedoux, infirmier coordinateur de parcours, reçoit les premières demandes. En fonction de son recueil de données, il évalue les besoins. « Ce pourra être seulement un accompagnement physique pour rassurer ou aider à l’installation sur une table d’examen, explique l’ergothérapeute Sarah Gaillard. Mais cela pourra aussi être un peu tout : de la coordination de parcours de soins, de l’accompagnement physique, de la reformulation, etc. Avec d’autres patientes, on fait seulement un point une ou deux fois pour mieux évaluer leurs besoins et on vérifie que les consultations se passent bien. » Chaque fois qu’un patient suivi par l’Émah arrive à l’hôpital, l’équipe reçoit une alerte électronique. Après l’accouchement, chaque patiente est encore suivie. Si nécessaire, l’équipe coordonne le parcours avec des professionnels de ville, le parcours se voulant du désir de grossesse jusqu’au retour à domicile.

VISITE BLANCHE

« Pour les patientes qui ne peuvent pas accoucher dans des positions gynécologiques ordinaires pour cause de limitations articulaires ou autres pathologies, ou pour celles qui ont un doute sur leurs capacités à supporter les positions, nous prévoyons une visite blanche, détaille Sarah Gaillard. Il s’agit d’une visite du bloc obstétrical avec une mise en situation, la plupart du temps dans la salle nature. J’accompagne la patiente avec une sage-femme, pour trouver les meilleures positions pour un accouchement par voie basse. Mon expertise d’ergothérapeute me permet d’envisager des coussins de positionnement ou d’autres adaptations. La sage-femme apporte sa connaissance des postures d’accouchement. Quand nous avons identifié ce qui convient le mieux à la patiente, je prends des photos et fais une fiche récapitulative, avec les recommandations d’installation, mais surtout les contre-indications, pour éviter que la patiente soit en souffrance pendant son accouchement à cause de sa pathologie. Si nécessaire, je prépare aussi un package de coussins de positionnement, avec le nom de la patiente, qui servira exclusivement pour elle. Cette fiche est rangée dans le dossier de la patiente. À son arrivée aux urgences, tout professionnel peut la trouver facilement. » Idéalement, la visite blanche se déroule après le septième mois. Elle rassure beaucoup l’équipe de sages-femmes, chacune étant susceptible d’accueillir cette patiente. « Les photos de la visite blanche sont aussi réalisées en présence d’un gynécologue-obstétricien, ajoute la sage-femme Mathieu Rossi. En fonction du handicap, la progression du travail peut être plus lente, avec un risque d’extraction instrumentale. Il faut tout évoquer, d’où la présence du médecin. L’anesthésiste vient également valider la posture envisagée pour la péridurale. » Chaque professionnel se rend disponible pour la patiente au moment de sa visite, même si tous ne sont pas présents en même temps. Le maître-mot : anticipation.

Le parcours permet de prévoir la prise en charge selon le handicap, mais n’a pas forcément une conséquence directe sur la finalité de la naissance. « On peut parfaitement prendre en charge une patiente en situation de handicap moteur, mais on ne peut pas dire que ce handicap va être obligatoirement lié à un type d’accouchement, par césarienne ou par voie basse, précise Mathieu Rossi. Il peut y avoir un lien entre le handicap et la voie d’accouchement, mais pas forcément de lien direct. En revanche, on peut confirmer la satisfaction des patientes. Les professionnels sont également rassurés. » L’anticipation permet de personnaliser la prise en charge et d’éviter les surprises. Le jour J, l’ergothérapeute, ou une interprète en langue des signes, peut être présente en salle de naissance, à la demande de la patiente. « Cela permet de transmettre des informations, mais également d’avoir un retour sur le ressenti de la patiente », souligne la sage-femme. Afin d’adapter, toujours, l’accompagnement.

■ Géraldine Magnan