À la vie, un film sensible sur le post-partum et la place des sages-femmes

Aude Pépin signe un documentaire sur l’accompagnement de la délicate période du post-partum. Elle a choisi de suivre Chantal Birman, une figure de la profession qui exerce en Seine-Saint-Denis, un département particulièrement touché par les inégalités de santé. Sortie prévue le 20 octobre dans les salles de cinéma.

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Vous avez choisi de ne suivre qu’une sage-femme. Pourquoi Chantal Birman ?

Aude Pépin : L’idée du film est née en 2018, lors d’un plateau de l’émission des Maternelles avec Chantal Birman au sujet de la dépression du post-partum. J’ai eu la conviction de rencontrer une grande dame, aux idées claires et fortes, de la trempe d’une révolutionnaire ou d’une avant-gardiste. J’avais aussi été marquée par son livre Au monde, ce qu’accoucher veut dire. Il ne s’agit pas d’une femme qui cherche la lumière, mais qui porte des idées vers la lumière. Sur les 104 heures de rushs, je n’ai pas conservé les passages où Chantal exprime ses idées. Car un film trop bavard est contre-productif. Il est plus parlant de voir ses idées en action dans son rapport aux femmes, à une étudiante sage-femme en stage ou dans d’autres situations de la vie.

Pourquoi avoir décidé d’une sortie en salles de cinéma ?

Aude Pépin : Je veux que le public puisse regarder les femmes dans leurs premiers instants en tant que mères, pour leur redonner leur force et leur grandeur. Leur accorder ce temps sur grand écran, pendant un peu plus d’une heure, me paraît indispensable. Face à la télévision, on peut être distrait et détourner le regard. J’espère que le film pourra aussi susciter des débats et des échanges.

J’ai moi-même vécu cette fragilité des premiers jours avec un bébé, après la sortie de la maternité. Je souhaitais à la fois montrer au grand public ces instants fondamentaux en post-partum et les problématiques des femmes, dans leur intimité. Le film ne traite pas de la dépression du post-partum, mais de cette zone grise d’adaptation. Quand l’idée du film a germé, la notion de post-partum était inconnue du grand public, réservée aux spécialistes. Depuis, plusieurs voix se sont exprimées à ce sujet sur les réseaux sociaux ou par le biais de livres. Il n’y avait pas encore de documentaire. Il faut de nombreuses voix pour briser le tabou de la maternité heureuse et rose. Je souhaitais aussi faire savoir aux femmes qu’elles peuvent être accompagnées à domicile par une sage-femme durant cette période délicate, même si le Prado tend à disparaître dans son organisation initiale.

Chantal Birman : Quand on exerce qu’en maternité, on ne se préoccupe plus des femmes qui sont sorties. Or les visites à domicile permettent de comprendre les vraies problématiques des femmes en post-partum. Les femmes ont un profond désir de rentrer chez elles quand elles sont à l’hôpital. Elles veulent autant revenir dans leur maison que dans leur corps en réalité. Une fois rentrées, nous, sages-femmes, nous arrivons au moment où il va falloir leur faire comprendre qu’elles ont définitivement déménagé, que rien ne sera comme avant ! Elles tombent de la chaise à ce moment-là !

Chantal Birman, sage-femme, en visite à domicile en post-partum. ® D.R.

Dans le documentaire, on vous voit faire une ordonnance indiquant de « se faire des amis » à une femme. Qu’est-ce que cela veut dire ?

Chantal Birman : Il y a des situations terribles ou nous sommes dans l’impuissance. La dame n’a pas de papiers, s’est faite tabassée par son premier conjoint, ses enfants lui ont été retirés. Elle vient d’avoir un bébé et elle est très isolée. Je rencontre une ou deux mamans chaque mois dans de telles situations. Même les assistantes sociales sont impuissantes et n’ont pas de solutions. Cette ordonnance est un aveu d’impuissance totale.

Je me suis sentie dans l’impuissance majeure de ma vie lors de ma visite à domicile auprès d’une femme d’origine étrangère qui avait eu trois enfants en l’espace de trois ans. Son dernier venait de naître par césarienne. J’arrive chez elle et le père n’est pas là. Elle était totalement épuisée et était très isolée aussi, vivant dans un tout petit espace. Les deux aînés avaient la varicelle, ce qui représente un danger vital pour le nouveau-né. Donc je fais quoi ? J’appelle la pédiatre, qui me dit que la maman ne doit pas être en contact avec les deux aînés… Ce qui est impossible étant donné ses conditions de vie ! La pédiatre ne souhaite pas les recevoir en pédiatrie, pour éviter les contaminations, ce que je peux comprendre. Mais autant qu’elle me dise clairement de sacrifier le bébé ! Je note mon appel au pédiatre dans le dossier. Je comprends ensuite que les aînés ont faim. Le frigo ne contient qu’un yaourt. Je décide d’appeler le père, qui me dit qu’il a assez donné auprès des enfants pendant que sa femme était trois jours à l’hôpital ! Je lui intime de revenir avec de la nourriture. Par précaution, je vais sonner chez les voisins. Je tombe sur des racistes qui me disent : « ces gens-là font des enfants comme des lapins ! » et refusent d’épauler leur voisine. Je n’ai plus qu’à faire des courses, car il n’y a même pas de couches dans l’appartement, puis je fais à manger. Là aussi, je fais une ordonnance en lui suggérant de se faire des amis. C’est un constat d’impuissance totale, absolument totale. 

Quels sont vos espoirs à travers ce film ?

Chantal Birman : Mon parcours de féministe a démarré par l’avortement, que j’ai pratiqué dans l’illégalité tout d’abord. Il semble que nous n’ayons été que trois sages-femmes engagées au MLAC, sans que je connaisse les deux autres. Depuis, je n’ai plus jamais été la même sage-femme et j’ai passé ma vie à défendre la question de l’IVG. Au fur et à mesure, je me suis aperçue qu’il y avait un tabou encore plus énorme encore que celui du refus de la maternité : la maternité elle-même ! On se retrouve face à des murs roses ou bleu ciel, mais personne ne veut montrer qu’il y a beaucoup de gris. 

J’estime que notre rôle de sage-femme est d’être du côté des femmes. Par exemple, dans le film, on voit une dame qui a beaucoup de mal avec l’allaitement au sein. Dans ces situations, bien que je défende l’allaitement maternel, je n’hésite pas à suggérer de passer au biberon. Si cela la rend gagnante, j’ai réussi mon métier. Le métier de sage-femme, c’est de faire gagner les femmes, quel que soit le chemin que l’on prend. Et certains chemins sont bizarres. C’est l’avortement qui m’a aidé à comprendre cela. J’estime par exemple qu’une femme peut choisir d’être enceinte trois mois après avoir avorté. Il se trouve que l’avortement est un événement dans lequel il y a une véritable possibilité de grandir, de dépasser un certain nombre de choses et parfois de pouvoir être enceinte. Notre métier est d’accompagner les femmes dans ce qui est juste pour elles. Pour cela il faut se laisser atteindre, ne pas être distanciée. Dans la formation des sages-femmes, il faut les aider à comprendre qu’il n’y a pas trop de risque à se laisser atteindre le plus loin possible. C’est ça la vie ! J’espère une prise de conscience de certaines féministes : pourquoi elles ont écarté la maternité de leur réflexion ? Il n’y a pas une revendication féministe aujourd’hui qui ne ramène pas toujours à la question de la maternité. Et il faut en débattre.

Aude Pépin : Je souhaite que le débat sur le congé paternité puisse avoir lieu suite au film. Même s’il a été allongé récemment, ce qui est positif, ce n’est pas suffisant, car il reste facultatif. Il est évident que quand un père aura le même nombre de semaines de congé paternité qu’une mère, les employeurs ne se poseront plus la question d’embaucher un homme ou une femme. C’est un des piliers de l’égalité femme-homme.

Chantal Birman : Le congé paternité sera utile, mais à condition de faire une préparation pour les hommes. Car, comme les mères, ils vivent une sidération à la naissance de leur enfant. Actuellement, c’est comme si on demandait à un enfant de lire et d’écrire sans rien lui expliquer. Que va-t-il se passer avec ce nouveau congé paternité ? Je suis sûre que les pères vont chercher une autre sidération, en regardant la télévision par exemple. Ils vont se dire : « Je ne peux pas faire grand-chose, elle allaite. » Et la femme dira ensuite : « C’était super, il était là, il a fait les courses. » Comme si cela suffisait ! Alors qu’en fait ils se sont sentis seuls, mais ensemble. Or nous avons une responsabilité éducative et la politique des 1000 premiers jours ne va pas assez loin sur ce plan. Je crains que les choix politiques et financiers ne soient pas à la hauteur.

■ Propos recueillis par Nour-Richard-Guerroudj

Les avant-premières d’octobre, en présence de l’équipe du film
• 4 octobre – Cinéma Star, Strasbourg – 20 h
• 5 octobre – Cinéma Caméo, Nancy – 20 h 15
• 8 octobre – Cinéma César, Marseille – 20 h
• 12 octobre – Cinéma MK2 Bibliothèque, Paris – 20 h
• 13 octobre – Cinéma Cin’hoche, Bagnolet – 20 h 30
• 14 octobre – Cinéma Utopia, Bordeaux – 20 h 15
• 15 octobre – Cinéma Utopia, Bordeaux – 11 h 15, et Cinéma Atalante, Bayonne – 20 h 30
• 19 octobre – Cinéma Le Dietrich, Poitiers – 20 h 30
• 22 octobre – Cinéma Salle Fontaine, Saint-Paul-Trois-Châteaux – 19 h