
Encourager les parents endeuillés à voir leur enfant et prendre des photos qui témoigneront d’une trace de vie sont des pratiques d’accompagnement du deuil périnatal désormais répandues en maternité. Mais les équipes soignantes se débrouillent souvent avec les moyens du bord pour réaliser ces images souvenirs. Partant de ce constat, le Réseau de santé périnatale parisien (RSPP) a monté un projet de formation à la photographie de bébés décédés à destination des maternités du réseau.

Stéphane Suhas, responsable de la formation à la photographie chez Primavista, lors de l’atelier proposé par le Réseau de santé périnatale parisien. © Nour Richard-Guerroudj
LE SOUVENIR EN IMAGE
« L’objectif est de mieux accompagner les familles dans leur épreuve, en offrant des clichés souvenirs de qualité, témoigne Céline Vicrey, sage-femme coordinatrice du projet au RSPP. Au niveau opérationnel, une formation de base à la photographie a été proposée. Dans un second temps, il s’agira d’accompagner les professionnels in situ pour faire un état des lieux du matériel à disposition, identifier les contraintes et, éventuellement, des acquisitions à prévoir. » Le projet, qui a reçu une subvention de la Fondation des services funéraires de la Ville de Paris, a débuté à l’automne 2023.
La formation a attiré au total 28 sages-femmes, auxiliaires de puériculture, aides-soignantes, infirmières, et agents des chambres mortuaires des maternités de Necker et Port-Royal. Stéphane Suhas, responsable de la formation à Primavista, entreprise spécialisée en photographie de maternité, assurait l’atelier. Laurence Pavie, sage-femme et présidente de l’association Petite Émilie, est venue apporter son expertise sur le vécu des parents et leurs besoins concernant ces clichés. « La photo est une trace de l’enfant perdu, témoigne-t-elle. C’est très important qu’elle soit réalisée, quel que soit le stade obstétrical. » Kenza, jeune sage-femme diplômée qui exerce aux Bluets, confirme : « La photo est ce qui reste le plus. Les empreintes de pieds ou de mains, en argile ou sur papier, ou les bracelets avec le prénom sont d’autres traces qui permettent aux parents de ne pas sortir les mains totalement vides de la maternité. Mais les parents sont unanimes pour évoquer l’importance des photos, qui permettent de montrer à d’autres que leur bébé a existé. »
Le besoin de faire connaître son bébé est crucial pour certains parents. En témoignent les histoires et photos publiées sur le site et le compte Instagram d’Au-delà des nuages. Cette association belge propose les services de photographes bénévoles en maternité, à l’instar de Souvenange en France (voir encadré p. 26). Mais Au-delà des nuages a pris le parti de rendre publics, avec l’accord des familles, des clichés en couleur parfois très crus : bébés dont la formation n’est pas achevée, à la peau rouge ou abîmée. De rares photos sont adoucies par le noir et blanc ou un gros plan sur la main d’un bébé dans celles de ses parents. Alors que publier des photos de corps défunts d’adultes est souvent jugé indécent, le désir des parents de partager ces images a une autre signification. La photo est la seule trace tangible de la vie éphémère du bébé qu’ils espéraient.

Un répertoire de poses est testé avec les soignantes, au moyen d’un poupon lors de la formation du RSPP.
© RSPP
« Une photo permet de dire que ce bébé a eu une histoire, même brève », témoigne Annabelle Coupot, infirmière du Pôle mère-enfant de la Pitié-Salpêtrière participant à la formation. « Pour les parents, il s’agit de leur enfant et pas uniquement d’un mort-né, souligne Céline Vicrey. C’est donc très important d’arriver à faire des clichés où l’enfant est montré sous son plus bel aspect. » En maternité, sans possibilité d’assurer des soins de conservation des corps, la photographie joue un peu ce rôle. « Nous sommes des thanatopracteurs de l’image », témoigne en effet Aude Schalk, photographe bénévole de Souvenange, sur son site internet (voir encadré p. 26). Charlotte Trojani, sage-femme au diagnostic anténatal à l’Institut mutualiste Montsouris, décrit bien ce que les sages-femmes savent : « En cas de MFIU ou d’IMG, c’est un coup de tonnerre pour les parents. Tout va très vite et il n’y a pas de retour en arrière possible. Sonnés, effondrés, ils se comportent un peu en robots. Souvent, ils souhaitent que leur souffrance se termine vite. Nous archivons les photos dans les dossiers, car tous ne sont pas prêts à les voir de suite. Un père est revenu dix ans plus tard demander ses clichés, car il était prêt et en avait besoin pour cheminer dans son deuil. »
EN FINIR AVEC LA DÉBROUILLE
Les professionnels venus assister à la formation semblent tous très engagés sur ces sujets. C’est le cas d’Annabelle Coupot :« Certaines collègues sont mal à l’aise face à un bébé décédé. J’apprécie particulièrement de m’en occuper. Je les sacralise un peu. Je donne tout à ce moment et je me sens moins atteinte quand je m’occupe de ces situations jusqu’au bout. Souvent nous allons à deux faire les photos. Nous plaçons le bébé en salle de réanimation, nous fermons la porte et mettons une musique douce tout en parlant à ce bébé mort. Nous essayons de remettre de l’humanité dans ce moment. » Kenza avait choisi le deuil périnatal comme sujet de mémoire : « J’ai été confrontée à plusieurs MFIU d’affilée lors de gardes pendant mes études et me suis trouvée très démunie, car notre formation aborde peu ces questions et il est difficile d’échanger à ce sujet en équipe. »
Les soignants partagent les mêmes difficultés et frustrations. Appareils photo obsolètes, imprimantes non adaptées aux tirages photo, difficulté d’envoyer des fichiers numériques lourds à partir des ordinateurs de l’hôpital… La plupart se débrouillent avec un téléphone personnel. « C’est pratique et cela permet des retouches rapides, mais ça pose la question de la sécurité des données et de notre responsabilité », note une participante. « Quand je rentre chez moi, je retrouve ces clichés de bébés décédés au milieu de mes photos personnelles, c’est difficile et vraiment pas idéal », poursuit une autre. Ici, le personnel a investi sur ses propres deniers pour acquérir une imprimante photo. Là, c’est la coordinatrice du service qui paye de sa poche l’achat du papier spécial.
CONSEILS TECHNIQUES
Très vite, d’autres questions se posent. Faut-il scénariser les photos ? Quelle pose choisir vite quand il faut éviter de manipuler un corps déjà abîmé ? Où disposer l’enfant et comment l’habiller quand rien n’est à disposition ? « Mettre un grand prématuré dans une boîte en carton n’est pas satisfaisant, il nous faudrait un couffin dédié », note une participante. « Nous n’avons rien pour des bébés très petits, on les entoure d’un drap, on leur met un bonnet trop grand ou on fabrique un bonnet avec des compresses, on bricole », raconte Annabelle. À l’hôpital Bichat, une réserve de vêtements est disponible et il est demandé aux parents d’apporter des habits. « Nous sommes confrontées à une quinzaine d’IMG ou de MFIU par an, donc rien n’est dédié, se désole Charlotte Trojani, de l’IMM. Lors de gardes chargées, il faut vite trouver la salle où faire les photos. Parfois, je retourne à la morgue pour refaire de plus beaux clichés. Car il s’agit de mettre en lumière un enfant dont on parle peu. »
Lors de la formation, les professionnelles apprennent les bases en matière de choix de focale, d’éclairage, d’esthétique, de cadrage ou de pose. Stéphane Suhas transmet quelques informations techniques : « Vous devez adopter le trépied pour éviter les flous. Il est préférable d’adopter un éclairage par le dessus ou décalé de 30 degrés par rapport à la verticale, pour éviter au maximum les ombres portées. » Puis chacune s’exerce et simule des options au moyen d’un poupon. « Aux Bluets, de type 1, nous n’accompagnons pas les IMG et nous sommes confrontées à une quinzaine de MFIU par an, témoigne Kenza. On doit se débrouiller pour masquer les traces de sang ou le côté très rouge d’une peau de grand prématuré, éviter de trop toucher un bébé trop “liquide” ou à la peau parcheminée, pour ne pas altérer le corps. Au Canada, les bébés décédés sont placés dans des berceaux réfrigérés et restent dans la chambre avec leurs parents, qui peuvent les veiller. Nous avons encore du chemin à faire. »
Là encore, les conseils de l’expert sont précieux. Les participantes apprennent qu’un corps entouré de blanc ou de gris paraîtra moins rouge à l’image. « S’il est laissé sur des alèses bleues ou vertes, sa peau apparaît bien plus rouge », indique Stéphane Suhas. Pour des photos plus douces, il est possible d’opter pour des gros plans sur les pieds du bébé, en floutant l’arrière-plan. Tout un répertoire de poses d’enfant seul ou avec ses parents est testé : de profil ou de face, avec des mains entourant l’enfant ou dans les bras. « C’est très utile, car, si j’ai eu du mal à scénariser les photos au début, j’y parviens davantage et accepte l’idée de “photos posées”, témoigne Annabelle Coupot. Les idées de cadrage et de postures vont nous aider à proposer quelque chose de plus joli aux parents, comme un bébé vivant. »
Ravies, les professionnelles attendent surtout la formation sur site, au plus près de leurs besoins et contraintes spécifiques. Dans les six mois, Stéphane Suhas ou d’autres photographes se rendront dans les maternités pour prodiguer des conseils adaptés à chaque établissement.« Nous allons prévoir un kit de matériel de base à vous indiquer », annonce Céline Vicrey. À l’issue du projet, un bilan global sera établi, permettant d’appuyer des demandes de financement de matériel.
Des photographes bénévoles au service des familles endeuillées
« Nous ne photographions pas la mort, nous immortalisons l’amour. » Telle est la devise de l’association Souvenange Photographie France, affichée en ouverture de son site internet. Créée en novembre 2014 en France, l’association offre gratuitement aux parents des photographies de qualité professionnelle de leur bébé décédé. Reconnue d’utilité publique, l’association intervient au sein des maternités et dispose d’un service de retouche des photographies. Souvenange compte aujourd’hui 146 adhérents, dont 132 photographes/retoucheurs bénévoles et 10 bénévoles non-photographes. Sur demande directe des parents ou bien des maternités qui ont signé une convention avec l’association, les photographes bénévoles se rendent sur place pour prendre des photos du bébé décédé. Les familles décident des modalités de la prise de vue : enfant seul ou avec les parents. Les photographies sont ensuite retravaillées, pour atténuer les stigmates de la mort. Elles sont remises aux parents dans un délai de deux mois, sous forme de coffret avec des tirages accompagnés d’une clé USB contenant les photos numériques en haute définition. Les parents peuvent aussi envoyer des photographies qu’ils ont prises eux-mêmes ou que l’équipe médicale a réalisées, pour qu’elles soient retouchées et adoucies. Correction de l’équilibre des couleurs, suppression de l’environnement médical : l’objectif est que les clichés puissent être présentés aux proches ou à la fratrie, ou être glissés dans l’album de famille. L’association propose ses services dans toute la France métropolitaine et sur l’île de la Réunion.

© Souvenange – compte Instagram
Pour en savoir plus : www.souvenange.fr
■ Nour Richard-Guerroudj