Vers des restrictions de visite pérennes ?

Lors du confinement de mars 2020, des restrictions draconiennes de visite ont été imposées en suites de couches du jour au lendemain. Au vu des bénéfices pour le repos des mères et des bébés, certaines maternités ont maintenu des limitations.

À la maternité des Diaconesses, à Paris, la réflexion sur les restrictions de visite est antérieure à la crise du Covid-19. En 2009, à l’occasion de l’épidémie de grippe H1N1, des limitations drastiques sont instaurées. Seules les visites du co-parent sont permises. Par la suite, constatant un meilleur repos mère-enfant, les équipes décident de rouvrir à tous les droits de visite mais de limiter les horaires autorisés. Ils sont fixés entre 16 h et 20 h, pour protéger le temps de la sieste. 

CALME IMPOSÉ

« Le personnel informe aussi les visiteurs qu’ils ne doivent rester que 15 à 20 minutes,explique Laurence Pavie, alors sage-femme coordinatrice. Une femme peut avoir besoin d’allaiter en privé, de changer ses protections et n’a pas besoin de gens qui s’incrustent pour poser des tas de questions. » Avec la crise du Covid, passé le temps des restrictions totales, le service décide de restreindre davantage son ouverture. Depuis septembre 2022, seuls la fratrie et le co-parent sont autorisés. « Nous avons tenté de rouvrir plus largement, mais les débordements ont été trop importants, témoigne Laurence Pavie. Les femmes ne réclament pas tant d’autres visiteurs. Comme elles restent peu en maternité, elles n’ont pas d’urgence à les voir dans l’établissement et peuvent donner rendez-vous lors de leur retour à domicile. Si le co-parent est absent, un autre proche est autorisé à venir. Il nous semble plus simple que le service impose des restrictions, car les femmes ont du mal à dire non et sont prises dans des jeux de loyauté familiale. »

Pourtant, lors du premier confinement de mars 2020, les témoignages de femmes perturbées par les restrictions sévères de visite pullulent dans les médias. De leur côté, les professionnelles de terrain constatent un calme bienvenu en suites de couches, propice au repos des mères et des bébés.

L’année suivante, trois sages-femmes décident de vérifier ces observations empiriques via une étude. Sarah Louis, alors enseignante à l’école de sages-femmes de l’université de Versailles-Saint-Quentin (UVSQ), Laurent Gaucher, professeur assistant à la Haute École de santé de Genève, et Anne Rousseau, enseignante-chercheuse à l’UVSQ et à l’université Paris-Saclay, lancent un questionnaire en juin 2021, auprès des patientes de cinq établissements (centres hospitaliers de Poissy-Saint-Germain, Foch, Versailles, la Croix Rousse à Lyon, et l’Hôpital Femmes Mère Enfant des Hospices civils de Lyon). Les résultats préliminaires ont été rendus publics en juin 2022. Les résultats définitifs sont en cours de publication.

Les enquêtrices ont recueilli 456 questionnaires exploitables, soit un taux de réponse faible de près de 23 %. Pour autant, l’échantillon des répondantes est représentatif des différents parcours de grossesse et d’accouchement. La médiane de la durée de séjour était de 3 jours, avec près de 9 % de séjours longs, supérieurs à 4 jours. Au total, 70 % des femmes se sont dites satisfaites, ou très satisfaites, de la politique restreignant à une seule personne le droit de visite au cours du séjour en maternité. L’interdiction faite aux autres enfants a été assez mal vécue. En revanche, celle des autres visiteurs a été appréciée. 

« Nous avons été agréablement surpris par les résultats, qui vont à l’encontre de ce que nous entendions, témoigne Sarah Louis, malgré un taux de 30 % de femmes insatisfaites. Un an après le premier confinement, l’inquiétude liée au Covid-19 était sans doute moindre. Il est possible que lors du premier confinement, les femmes ont subi des consignes fluctuantes, entrainant une certaine méfiance. »

LIMITATIONS PLÉBISCITÉES

L’étude a aussi évalué le bien-être mental des femmes en utilisant l’échelle de Warwick-Edimburg, pour documenter les données au-delà de la simple satisfaction. Elle propose 14 critères, comme « Je me suis sentie optimiste », « Je me suis sentie capable de prendre des décisions », « J’avais de l’énergie à dépenser » ou « J’avais une bonne image de moi ». Parmi les répondantes, 12 % avaient un score de bien-être faible. « La fréquence des visites du co-parent n’était pas significativement associée à un meilleur bien-être mental et la satisfaction vis-à-vis de la politique de visite est significativement associée à un meilleur bien-être mental », notent les autrices. 

Depuis cette étude, les maternités investiguées ont toutes fait un compromis et rouvert les visites aux fratries, tout en maintenant des restrictions selon différentes modalités. D’autres établissements, comme celui de Quimper ou de Sainte-Musse, à Toulon, ont aussi établi de nouvelles politiques. À présent, Sarah Louis, Laurent Gaucher et Anne Rousseau exploitent les données du deuxième volet de leur enquête, mené auprès des soignants.

■ Nour Richard-Guerroudj