L’Engagement Maternité a été détaillé par circulaire. Que pensez-vous des dispositions prises ?
Nicolas Dutriaux : Le pack « ngagement Maternité » réduit à peau de chagrin les propositions faites en groupe de travail sur la question des femmes éloignées des maternités. Toutes les femmes n’accouchent pas à 40 semaines d’aménorrhée. Et combien de femmes accepteront de laisser
longtemps leurs aînés pour se rendre dans l’hébergement proposé, et qu’en est-il de la présence du coparent dans ce processus ? De plus, les mesures prévues ne tiennent pas compte de l’augmentation des interventions d’urgence pour motifs obstétricaux et gynécologiques en dehors de l’accouchement lui-même. En réalité, le « pack » proposé ne répond pas aux enjeux actuels.
Par ailleurs, la circulaire estime que 394 maternités sont concernées, alors que l’on se doute que de nombreuses maternités vont encore fermer ou « fusionner », faute d’effectifs suffisants, quel que soit le nombre d’accouchements réalisés. Dès 2014, sous le ministère de Marisol Touraine, avec le nouveau statut des sages-femmes, le nombre de sages-femmes coordinatrices, ajouté à celui des directrices des facultés de maïeutique, avait été estimé à 350, à raison de 1 par établissement. Cela donnait déjà une idée du nombre de maternités que le Gouvernement imaginait fermer à terme ! L’offre va se réduire dans le privé comme dans le public et les grands centres se multiplier. Mais les 350 établissements restants ont-ils tous la capacité d’accueillir 4000 accouchements par an ? Il n’y a aucune anticipation de ce mouvement ni de ses répercussions ! Nous avons tendance à copier des modèles étrangers de regroupement des accouchements dans de grands centres, sans nous en donner les moyens. Par exemple, en Grande-Bretagne, cinq lieux d’accouchement sont prévus, avec des filières d’accès spécifiques pour chacun et des équipes dédiées : à domicile, en maison de naissance, en filière physiologique à l’hôpital, en filière standard et en filière pathologique. De notre côté, nous n’avons qu’un seul mode d’entrée pour l’accouchement, avec une seule équipe en sous-effectif, qui accueille les femmes à bas, moyen ou haut risque ! Sans compter que nombre d’établissements n’ont pas de services ni d’équipes dédiées aux urgences obstétricales et gynécologiques, avec seulement un service d’urgences générales. Il faut des lignes de gardes distinctes et dédiées aux deux services. Nous alertons sur la problématique des effectifs en maternité depuis longtemps. 2019 a été l’occasion de publier un accord global interprofessionnel sur les effectifs minimums nécessaires aux soins non programmés, selon des seuils de nombre d’accouchements, qui n’a pas été repris par les tutelles. Nous attendons toujours la refonte des décrets de périnatalité dans ce sens, car la question des effectifs est encore bien plus aigüe aujourd’hui. Nous sommes déjà face au mur sur le sujet et nous allons dans le mur sur les questions d’architecture !
Quelles étaient les propositions du Collège national des sages-femmes ?
Nicolas Dutriaux : À la rentrée 2019, le Collège a participé aux échanges organisés par le ministère de la Santé sur les femmes éloignées des maternités. Agnès Buzyn avait dit auparavant vouloir donner aux sages-femmes un rôle de premier plan dans l’accompagnement des femmes. Nos propositions ont été faites dans une vision moins étroite que celle cadrée par le ministère. Il s’agissait de penser une offre globale de permanence des soins, qui est obligatoire, mais pas effective dans tous les départements. Le Collège estime qu’il faut envisager des permanences de soins assurées par les sages-femmes, en proximité, organisées et encadrées. Il plaide aussi pour des projets de santé territoriaux, avec une offre de territoire, le développement des accouchements par les sages-femmes libérales en maternité et ailleurs, la révision des parcours de soins en distinguant haut et bas risque, un cadre commun pour les CPTS dans l’offre de soins non programmée en obstétrique, une meilleure information concernant les différentes filières d’accès aux soins et les parcours et le recours à la télé-expertise et à la télémédecine. Nous pensons aussi que la formation et la mise en place de « sages-femmes correspondantes Samu » permettraient de mieux accompagner toutes les situations extrahospitalières. Ce système complet doit permettre de désengorger en amont les urgences obstétricales et gynécologiques, tout aussi engorgées que les urgences générales, et de mieux accompagner les patientes.
La télémédecine et la télé-expertise se développent déjà. Que proposez-vous de plus ?
Christelle Graf : Les sages-femmes libérales ont saisi à bras le corps la télémédecine depuis la crise du Covid. C’est un effet positif de la pandémie qui a permis de lever des freins qui bloquaient ce développement depuis dix ans. Cette avancée doit nous permettre d’aller plus loin. Dans le cadre des permanences d’accès aux soins de santé (Pass), il faut réfléchir avec les centres 15 et les régulateurs du Samu à une orientation des femmes vers une téléconsultation de sage-femme dans certains cas, plutôt que d’adresser la patiente à un médecin ou de l’envoyer aux urgences. Ce projet demande une organisation en amont et des outils pour identifier quelle sage-femme a un créneau d’urgence et quand. Il nous paraît plus pertinent que ce soit le service public qui organise le fait de trouver une sage-femme pour une patiente, plutôt que de la laisser se débrouiller sur internet. Cela demande des moyens humains, de communication, de logiciels interopérables. Mais c’est un dispositif qui peut être mis en place sans attendre, en s’appuyant sur les CPTS ou lors de la mise en place des Pass.
La création de sages-femmes correspondantes Samu ne revient-elle pas à accepter une situation dégradée ? Et quels seraient leurs rôles ?
Nicolas Dutriaux : La situation est en effet catastrophique, mais il faut des solutions. Il y a quelques années, dans le Val-d’Oise, sur 300 transferts in utero, près de 280 ont été réalisés car la maternité prévue pour l’accouchement manquait de place le jour J. La question est donc : qui on met dans l’ambulance auprès de la parturiente, qui est alors en situation d’insécurité, avec un accompagnant qui tente de suivre l’ambulance derrière dans sa voiture ? De la même façon, il est inutile de mobiliser des urgentistes en cas de métrorragie du premier trimestre ou d’un bébé qui ne cesse de pleurer à 3 h du matin.
Christelle Graf : Les sages-femmes correspondantes Samu ne représentent pas la solution que pour sécuriser les accouchements inopinés extrahospitaliers (AIEH) et pallier la question de la distance de trajet vers une maternité. D’une part, bien des AIEH ont lieu à proximité d’une maternité. Dans l’Hérault, l’Observatoire des AIEH a identifié que 34 % d’entre eux ont eu lieu dans l’agglomération de Montpellier entre 2015 et 2020. L’enjeu est aussi de désengorger les urgences, de traiter les situations obstétricales ou gynécologiques qui relèvent des sages-femmes et de sécuriser les transferts in utero de patientes entre maternités. Cela nécessite une formation complémentaire des sages-femmes, qui ne sont pas préparées aux situations extrahospitalières durant leur formation initiale. En cas de métrorragie du premier trimestre, par exemple, elles doivent pouvoir réaliser une échographie et vérifier la localisation de la grossesse. Hors de nos murs, nous perdons nos repères. Et les sages-femmes de salle de naissance sont souvent de jeunes diplômées ou n’ayant jamais exercé leur pratique en extrahospitalier, ce qui pourrait les mettre en difficulté lors de situations complexes. Notre projet est de proposer un cadre pour ces sages-femmes.
Pouvez-vous préciser ce cadre ?
Nicolas Dutriaux : Nous préparons une charte des sages-femmes correspondantes Samu, qui doit encore être validée par d’autres sociétés savantes et le conseil d’administration du CNSF. Le cadre doit être adaptable aux cartographies et aux ressources locales d’un territoire. Mais il faut un cadre concernant la formation des sages-femmes, le matériel nécessaire, la rémunération adaptée et la coordination des correspondantes Samu. Un cadre est en effet nécessaire, car, actuellement, des initiatives de ce type ont cours, sans être ni pérennes ni correctement formalisées. La formation, la rémunération et l’équipement des sages-femmes ne sont pas toujours adaptés. Dans d’autres territoires, ce sont les sages-femmes de salle de naissance qui sortent prêter main-forte aux urgentistes pour un AIEH, ce qui va à l’encontre même de la réglementation des décrets périnataux de 1998 ! Et si les conventions passées pour ces organisations stipulent que la sage-femme peut laisser ses collègues « quand la situation le permet », cela n’est plus réaliste pour les maternités à forte activité, et encore moins dans des établissements qui accueillent plus de 4000 naissances par an. En salle, l’équipe doit pouvoir gérer l’afflux de patientes. Et en extrahospitalier, il faut des lignes de gardes claires.
Christelle Graf : Il est très encourageant de voir que de nombreuses sages-femmes sont prêtes à se former et à prendre des gardes, à condition que le cadre soit sûr et que leur activité de correspondante Samu soit reconnue à sa juste valeur. Aujourd’hui, il s’agit quasiment de bénévolat. La présence d’une sage-femme correspondante du Samu ferait gagner entre 30 minutes et 1 heure aux équipes de Smur. C’est ce qu’a démontré Marine Cageron-Bouex, pour sa thèse de médecine en 2016, portant sur l’analyse médico-économique de la phase expérimentale des sages-femmes correspondantes Samu en Charente-Maritime. Quand les Smur sont rémunérés sur un forfait-temps, les économies sont importantes pour les équipes qui interviennent beaucoup.
Venir en renfort des Smur permettrait de diminuer la mortalité et la morbidité maternelle et infantile en préhospitalier. Nous rencontrons de plus en plus de situations complexes. Au sein des AIEH que nous avons étudiés, 21 % présentent des situations avec une pathologie préexistante (antécédent d’accouchement prématuré, grossesse gémellaire, prématurité). Nous n’en avions pas autant il y a quelques années. La présence d’une sage-femme en amont peut permettre aux équipes d’urgence de tenir en attendant les renforts. Cela diminue aussi les temps d’hospitalisation et permet une sécurisation psycho-émotionnelle des femmes. Si on diminue les complications, on diminue les temps de séjour en maternité, ce qui permet des économies et une amélioration de la santé publique
■ Nour Richard-Guerroudj