Comité de rédaction
Dr Dominique Leyronnas, pédiatre néonatologiste retraité, président de la CoFAM.
Dre Suzanne Colson, PhD, sage-femme retraitée, Professeure adjointe honoraire, Canterbury Christ Church University, Membre du conseil administratif et du conseil scientifique de la CoFAM.
Marie Courdent, IPDE retraitée, IBCLC, DIULHAM animatrice LLL France, conseil scientifique de la CoFAM. Chevalier de la Légion d’honneur.
Dre Julie Hamdan, médecin généraliste, animatrice LLL France, IBCLC, DIULHAM.
Vanessa Lasne, consultante en lactation IBCLC, animatrice LLL France.
Marie-Xavier Laporte, infirmière, diététicienne-nutritionniste et consultante en lactation (DIULHAM), présidente d’IPA.
Dre Mélissa Mialon, PhD, professeure adjointe de recherche, Trinity College Dublin, membre du Groupe d’action des professionnels de la santé contre le parrainage de l’industrie des laits infantiles (PHASFI) de l’Organisation mondiale de la santé.
Britta Boutry, PhD, consultante en lactation IBCLC, coordinatrice WBTi, consultante auprès de GIFA.
Adriano Cattaneo, épidémiologiste retraité, IBFAN Italie.
Signataires
ACLP – Association des consultants en lactation professionnels de santé
AFCL – Association française des consultants en lactation
CoFAM – Coordination française pour l’allaitement maternel
Crefam – Centre de recherche, d’évaluation et de formation à l’allaitement maternel
FormIndep – Pour une inFormation indépendante en santé https://formindep.fr
LLL F – La Leche League France
IBFAN France – International Baby Food Action Network
La Société française d’allergologie (SFA) suggère de donner 10 ml de « lait premier âge », chaque jour, aux nouveau-nés allaités à risque atopique (c’est-à-dire aux bébés ayant des antécédents familiaux d’allergie). Cette récente recommandation s’applique dès la première semaine de vie, et ce jusqu’à la diversification (1,2). Ainsi, cette introduction de lait industriel servirait, selon la SFA, à prévenir l’allergie aux protéines de lait de vache. Le « lait premier âge », également appelé « préparation pour nourrissons » ou « PPN » contient notamment des protéines du lait de vache.
En tant qu’associations et professionnels de santé et/ou de périnatalité, nous dénonçons cette proposition qui va complètement à l’encontre des connaissances et du consensus scientifique sur la protection de la santé du nourrisson et de sa mère.
Cette recommandation de la Société française d’allergologie est problématique pour plusieurs raisons :
A. Elle ignore la protection conférée par un allaitement exclusif : l’OMS, l’approche santé des 1000 premiers jours, et l’ensemble des études scientifiques disponibles à ce jour préconisent un allaitement exclusif d’environ six mois, sans introduction d’aucun autre aliment ni liquide (3-7). L’introduction de PPN, même en petite quantité, perturbe l’allaitement exclusif. Elle est associée à des durées d’allaitement plus courtes (8-10) et compromet donc les nombreux bénéfices de l’allaitement, démontrés à court et long terme pour l’enfant et sa mère, pour la plupart d’autant plus significatifs que l’allaitement est prolongé et exclusif (effets dose-dépendants) (4-7).
B. Elle se base sur des données scientifiques dont la qualité et la pertinence sont questionnables.
C. Elle va à l’encontre de la priorité à l’heure actuelle : diminuer le « don » fréquent de PPN aux nouveau-nés allaités, en maternité. On sait en effet que ces compléments donnés ponctuellement aux nouveau-nés allaités sont les premiers responsables d’une sensibilisation aux protéines du lait de vache (11,12). Or, la plupart du temps, ces compléments sont dispensés sans réelle justification médicale, ce qui expose inutilement le bébé allaité à des risques d’allergie ultérieure.
D. Elle ne reconnaît pas la classification des PPN comme des produits ultra transformés, responsables de nombreuses maladies chroniques (13-17).
Ainsi, cette recommandation de la SFA ne prend nullement en compte l’ensemble des connaissances et des recommandations de santé publique. Au contraire, elle se base sur peu de données valides.
Notons que la recommandation des allergologues français a vu le jour avec le « soutien institutionnel d’Aimmune Therapeutics », entreprise appartenant au groupe Nestlé, lui-même connu pour ses infractions au Code de commercialisation des substituts du lait maternel adopté par l’OMS en 1981 et partiellement transcrit en droit français.
Le conflit d’intérêts est ici manifeste, puisque les entreprises de « lait premier âge » ont tout à bénéficier de cette recommandation qui augmenterait leurs ventes. Cette collaboration entre industriels et allergies a notamment été discutée dans la prestigieuse revue du British Medical Journal en 2018 (18) :
« Entre 2006 et 2016, au Royaume-Uni, les prescriptions de “laits” commercialisés et spécialisés pour les nourrissons allergiques aux protéines du lait de vache ont augmenté de près de 500 %. Pourtant, les données épidémiologiques ne donnent aucune indication d’une telle augmentation de prévalence réelle. Les liens étroits entre la recherche sponsorisée par l’industrie de “lait” aux protéines de vache et les recommandations suggérées par les allergologues soulèvent la question du “surdiagnostic induit par l’industrie”. »
En conséquence, nous attendons des pédiatres et des autres professionnels de santé qu’ils prennent clairement position face aux recommandations de la SFA et à la littérature scientifique sur le sujet. Nous interpellons les sociétés savantes et les autorités de santé françaises afin que la France ne régresse pas dans la promotion et la protection de la santé de l’enfant et de la mère, notamment en ce qui concerne l’allaitement. Cette réflexion doit se faire sans l’influence des fabricants des « laits » industriels.
Correspondance :
Adresse email : d.leyronnas@gmail.com (D. Leyronnas)
vanessa.lasne@lllfrance.org (V. Lasne)
Références bibliographiques
[1] Sabouraud-Leclerc, D. « Quelles recommandations actuelles pour prévenir les allergies alimentaires ? » Revue Française d’Allergologie, vol. 62, no 6, décembre 2022, p. 6S29 34.
[2] Sabouraud-Leclerc D, Bradatan E, Moraly T, Payot F, Larue C, Chabbert AB, Nemni A, Pontcharraud R, Juchet A, Divaret-Chauveau A, Morisset M. Primary prevention of food allergy in 2021: Update and proposals of French-speaking pediatric allergists. Arch Pediatr. 2022 Feb;29(2):81-89.
[3] Allaitement. https://www.who.int/fr/health-topics/breastfeeding. Consulté le 25 janvier 2023.
[4] Meek, Joan Younger, et al. « Policy Statement: Breastfeeding and the Use of Human Milk ». Pediatrics, vol. 150, no 1, juillet 2022, p. e2022057988.
[5] Horta, Bernardo L., et al. Evidence on the Long-Term Effects of Breastfeeding : Systematic Review and Meta-Analyses. World Health Organization, 2007. apps.who.int,https://apps.who.int/iris/handle/10665/43623
[6] Victora CG, Bahl R, Barros AJD, França GVA, Horton S, Krasevec J, et al. Breastfeeding in the 21st century: epidemiology, mechanisms, and lifelong effect. Lancet Lond Engl. 2016 Jan 30;387(10017):475–90.
[7] Turck D, Vidailhet M, Bocquet A, Bresson J-L, Briend A, Chouraqui J-P, et al. Allaitement maternel : les bénéfices pour la santé de l’enfant et de sa mère. Arch Pédiatrie Organe Off Sociéte Fr Pédiatrie. 2013 Nov;20 Suppl 2:S29–48.
[8] Holmes, Alison Volpe, et al. « Combination Feeding of Breast Milk and Formula: Evidence for Shorter Breast-Feeding Duration from the National Health and Nutrition Examination Survey ». The Journal of Pediatrics, vol. 159, no 2, août 2011, p. 186 91.
[9] McCoy, Marcia Burton, et Pamela Heggie. « In-Hospital Formula Feeding and Breastfeeding Duration ». Pediatrics, vol. 146, no 1, juillet 2020, p. e20192946.
[10] Chantry, Caroline J., et al. « In-Hospital Formula Use Increases Early Breastfeeding Cessation Among First-Time Mothers Intending to Exclusively Breastfeed ». The Journal of Pediatrics, vol. 164, no 6, juin 2014, p. 1339-1345.e5.
[11] Kelly, Eimear, et al. « Formula Supplementation Remains a Risk for Cow’s Milk Allergy in Breast-fed Infants ». Pediatric Allergy and Immunology, édité par Motohiro Ebisawa, vol. 30, no 8, décembre 2019, p. 810 16.
[12] Urashima, Mitsuyoshi, et al. « Primary Prevention of Cow’s MilkSensitization and Food Allergy by Avoiding Supplementation With Cow’s Milk Formula at Birth: A Randomized Clinical Trial ». JAMA Pediatrics, vol. 173, no 12, décembre 2019, p. 1137 45.
[13] Ultra-processed foods, diet quality, and health using the NOVA classification system. https://www.fao.org/fsnforum/resources/trainings-tools-and-databases/ultra-processed-foods-diet-quality-and-health-using-nova. Consulté le 27 janvier 2023.
[14] Popkin, Barry M., et Shu Wen Ng. « The Nutrition Transition to a Stage of High Obesity and Noncommunicable Disease Prevalence Dominated by Ultra-processed Foods Is Not Inevitable ». Obesity Reviews, vol. 23, no 1, janvier 2022.
[15] Chang, Kiara, et al. « Association Between Childhood Consumption of Ultraprocessed Food and Adiposity Trajectories in the Avon Longitudinal Study of Parents and Children Birth Cohort ». JAMA Pediatrics, vol. 175, no 9, septembre 2021, p. e211573.
[16] Gramza-Michałowska, Anna. « The Effects of Ultra-Processed Food Consumption—Is There Any Action Needed? » Nutrients, vol. 12, no 9, août 2020, p. 2556.
[17] Khandpur, Neha, et al. « Ultra-Processed Food Consumption among the Paediatric Population: An Overview and Call to Action from the European Childhood Obesity Group ». Annals of Nutrition and Metabolism, vol. 76, no 2, 2020, p. 10913.
[18] Van Tulleken, Chris. « Overdiagnosis and Industry Influence: How Cow’s Milk Protein Allergy Is Extending the Reach of Infant Formula Manufacturers ». BMJ, décembre 2018, p. k5056.