La maltraitance en libéral

En février 2019, l’Association nationale des sages-femmes libérales (ANSFL) a lancé une enquête auprès des femmes ayant été accompagnées par une sage-femme libérale dans leur parcours gynécologique et obstétrical. Objectif : déterminer si les femmes rapportent des actes sexistes ou inappropriés durant leur suivi. Résultat : les femmes sont en grande majorité satisfaites. Mais l’analyse laisse entrevoir des marges d’amélioration.

Les patientes des sages-femmes libérales vivent-elles des violences obstétricales et gynécologiques ? C’est avec courage que l’ANSFL s’est penchée sur la question en février 2019, au moyen d’un questionnaire en ligne à destination des patientes. Le titre du questionnaire ne mentionnait pas les violences obstétricales ou la maltraitance gynécologique, pour éviter les biais de recrutement. Au total, 1444 questionnaires ont été complétés, avec près de 79 % des femmes ayant consulté une sage-femme libérale pour un suivi postnatal, 77 % pour un suivi de grossesse, 64 % pour un suivi gynécologique et 15 % pour un accompagnement d’accouchement à domicile (AAD). Un premier article de synthèse des résultats a été publié à l’hiver 2019 dans La Lettre de l’ANSFL. Le rapport d’enquête complet doit être publié prochainement. 

DE RARES PRATIQUES INAPPROPRIÉES

Qu’il s’agisse de suivi gynécologique ou de grossesse, lors d’un accouchement, en post-partum ou pour une IVG médicamenteuse, les femmes sont dans leur grande majorité satisfaites de leur prise en charge par une sage-femme libérale. Près de 85 % d’entre elles se sont dites « très satisfaites » de l’accompagnement et 10,4 % « satisfaites ». Cependant, 4 % se sont dites « plutôt satisfaites » et moins de 1 % d’entre elles « plutôt insatisfaites », « insatisfaites » ou « très insatisfaites ». Les réponses des femmes insatisfaites ont été analysées pour comprendre ce qui a été perçu comme inapproprié, gênant ou violent.

Plus de 99 % des femmes sont contentes de leur suivi gynécologique par une sage-femme libérale. Seules 6 femmes sur 927 ont exprimé une insatisfaction, liée surtout à la douleur ressentie lors d’un frottis ou d’une pose de DIU ou d’un échec de pose. Des femmes rapportent des propos gênants durant le suivi gynécologique sur leur situation personnelle, leur apparence physique, leur poids ou leur contraception. Peu de femmes parmi les répondantes se sont dirigées vers une sage-femme pour une IVG médicamenteuse. Parmi ces 21 femmes, 3 se sont senties jugées pour leur décision ou ont ressenti des « regards moralisateurs »

Parmi les femmes qui ont opté pour une sage-femme pour leur suivi de grossesse, 10,5 % l’ont fait en raison d’« une précédente expérience insatisfaisante ». Au final, la sage-femme a été qualifiée de « professionnelle sans chaleur », « infantilisante », « moralisatrice », « critique », « envahissante » ou « malveillante » dans 1,7 % des cas lors d’un suivi de grossesse. Les femmes peuvent reprocher aussi l’absence de dépistage d’une dépression ou de proposition d’orientation vers un psychologue, un suivi trop rapide ou d’être « traitées comme des numéros ». Seules 6 femmes sur 1116 ont déclaré avoir ressenti un malaise quant à un examen pelvien durant leur suivi de grossesse : l’acte a été jugé trop fréquent ou douloureux. Certaines femmes rapportent des propos jugeant quant au souhait de se passer de péridurale à l’accouchement par exemple, leur condition de couple ou de logement ou des commentaires sur les conditions de survenue de la grossesse, leur poids ou leur alimentation. Enfin, 2 % des répondantes ont eu le sentiment que leurs maux physiques ou psychiques n’ont pas été pris au sérieux ou ont été minimisés ou banalisés. Il s’agissait d’angoisses, de problèmes de sommeil, de contractions, d’anémie, de bouffées de chaleur, d’essoufflements, d’une hyperémèse gravidique, de nausées, de reflux, de paralysie faciale, de métrorragies ou d’œdème.

En post-partum, 98,7 % des femmes ont été satisfaites de leur accompagnement. Les autres soulignent surtout le manque de soutien psychologique, de conseils quant à l’allaitement, de disponibilité, voire des désistements de rendez-vous, et surtout un investissement insuffisant dans la rééducation périnéale. Là encore, les actes pelviens ne sont pas toujours bien vécus. Certaines femmes sont mal à l’aise face à l’usage d’une machine en rééducation, quand d’autres, en revanche, sont gênées « d’avoir une main inconnue à cet endroit ». Les propos inappropriés rapportés par les femmes durant le suivi post-partum portent là encore sur leur situation personnelle, mais aussi sur leur sexualité, leur poids, leur contraception, le choix d’un AAD, le recours à une doula, l’évocation de la mort subite du nourrisson, leur attitude de maternage ou leur degré d’investissement dans la rééducation périnéale. Et 2,29 % des enquêtées ont eu le sentiment de n’avoir pas été prises au sérieux quand elles exprimaient leurs douleurs physiques, leur état émotionnel, leurs difficultés d’allaitement ou leur désir de stérilisation. 

Enfin, sur les 216 femmes qui ont été accompagnées par une libérale lors d’un ou de plusieurs accouchements à domicile ou en plateau technique, plus de 99 % sont satisfaites et 94 % usent de qualificatifs positifs envers la sage-femme. Parmi ces femmes, 52 % ont choisi une sage-femme libérale en raison d’une précédente expérience -insatisfaisante en -établissement et 20,5 % parce qu’elles ont vécu des violences obstétricales. Parmi les insatisfaites : 0,5 % estiment que la sage-femme ne s’est pas assurée de son bien-être physique et 1,8 % que leur bien-être émotionnel n’a pas été assuré. Dans 2,3 % des cas, les enquêtées rapportent ne pas avoir eu les explications nécessaires avant certains actes : expression abdominale (pratique interdite, NDLR), épisiotomie, décollement de membrane. Par ailleurs, 3,7 % considèrent que la prise en charge de leur douleur était insuffisante, 4,2 % n’ont pu avoir à boire lorsqu’elles l’ont demandé et 5,6 % n’ont pu manger lorsqu’elles avaient faim, le plus souvent, car elles ne l’ont pas demandé et que l’on ne leur a pas proposé.

MESURER LES PRÉJUGÉS 

Dans son rapport, dont nous avons obtenu copie, l’ANSFL souligne la nécessité de questionner « la distance sociale qui sépare les femmes des sages-femmes libérales ». Dans quelle mesure les différences de capitaux culturels, économiques, d’âge, de sexe, de sexualité, d’origine « renforceraient ou amenuiseraient la relation experte/patiente déjà hiérarchisée » ? Comme d’autres professionnels de santé, les sages-femmes ne sont pas exemptes de préjugés implicites (lire p. 24). L’ANSFL liste en tout cas une série de recommandations pour améliorer la prise en charge des femmes. En consultation, elle conseille aux sages-femmes de « s’assurer que les femmes puissent faire des choix éclairés » et « d’ouvrir un échange autour d’éventuelles expériences insatisfaisantes passées avec un soignant impliqué dans le suivi gynécologique et obstétrical ». Alors que l’enquête démontre que la plupart des femmes n’expriment pas leur malaise à la professionnelle, l’ANSFL invite les sages-femmes à interroger leurs patientes en fin de consultation pour savoir si elles ont ressenti de la gêne ou une insatisfaction pendant leur prise en charge. De façon plus générale, l’ANSFL recommande aux professionnelles libérales de suivre des formations tout au long de leur carrière pour mieux informer les femmes, de développer leur réseau professionnel pour offrir des accompagnements adaptés et d’anticiper leur départ pour assurer au mieux le suivi de la patientèle. 

■ Nour Richard-Guerroudj