Des « valises maternité » solidaires

En créant l’association Un petit bagage d’amour, qui distribue des « valises maternité », la sage-femme Samra Abaidia-Seddik ne s’attendait pas à un tel déferlement de solidarité. Aujourd’hui, elle fait le lien entre de trop nombreuses mères en situation de grande précarité, des citoyennes investies et plusieurs célébrités sensibilisées.

La sage-femme Samra Abaidia-Seddik, à l’origine de l’association Un petit bagage d’amour, et le prêtre Henri de la Hougue, curé de la paroisse de Saint-Sulpice, au cœur de Paris, qui accueille l’énorme stock de puériculture dans l’ancienne bibliothèque de l’édifice historique. ®D.R.

D’un point de vue privé, le sort des femmes enceintes et l’avenir matériel des nouveau-nés paraissent stimuler la générosité. De nombreux particuliers et plusieurs entreprises y sont sensibles. La cause fédère aussi une bonne poignée de « personnalités ». Encore tout étonnée, Samra Abaidia-Seddik peut en témoigner. Optimiste, son récit dériderait les plus convaincus des misanthropes. La sage-femme est à l’origine de l’association « Un petit bagage d’amour ». Née en 2016 d’un groupe Facebook, l’organisation fournit aux femmes enceintes en situation de grande précarité une « valise maternité ». De la layette aux couches en passant par le liniment, elle contient tout ce dont une femme a besoin pour accueillir son nouveau-né, et plus encore. Aujourd’hui, l’association Un petit bagage d’amour est presque devenue une multinationale de la solidarité. Si elle fonctionne toujours sur la base du bénévolat, de dons privés, d’ingéniosité et de bouts de ficelle, elle a ouvert plusieurs antennes sur l’ensemble du territoire français, à Lille, Perpignan, Rennes, Reims, Nancy, Strasbourg, Lyon, Toulouse, Bordeaux, Marseille… Autonomes, ces antennes sont tenues par des sages-femmes ou d’autres professionnelles de santé ou du social, certaines étant retraitées. Un autre « nid » est également en cours d’ouverture à Bruxelles, en Belgique.

UN PETIT SAC DE RIEN

L’histoire a démarré en trombe, surprenant la fondatrice qui n’en attendait pas tant. À l’époque, elle travaille à mi-temps à la maternité des Bluets, à Paris, et à l’hôpital Mère-Enfant de l’Est parisien, une structure spécialisée dans l’accueil des couples mères-enfants en difficulté psychosociale. Les femmes y sont reçues pendant la grossesse et en post-partum. Il s’agit de consolider le lien mère-enfant et de prendre en charge des femmes abîmées par un handicap ou un parcours de vie chaotique. En février 2016, une mère enceinte de jumelles y est accueillie. Avant, elle dormait dans une cafétéria. « Je fais un monitoring à cette patiente et constate une décélération du rythme cardiaque d’un bébé, raconte Samra Abaidia-Seddik. Je décide de la transférer et lui demande de prendre ses affaires pour l’accouchement, car elle risque de ne pas revenir. Elle prend alors un sac en plastique qui ne contient rien. Seulement un petit peigne, un dentifrice, une brosse à dents. Et c’est tout. À ce moment-là, j’étais moi-même enceinte de mon deuxième bébé. La situation de cette dame m’a beaucoup affectée. Le soir-même, j’en ai parlé à mon mari et j’ai créé une page Facebook. Je l’ai d’abord appelée “Une valise maternité pour les réfugiées”. »

Début 2016, à Paris, porte de la Chapelle, les tentes et abris de fortune érigés par des exilés se font plus visibles. Les évacuations policières se succèdent et les médias s’en font l’écho. Dans ce contexte, la page Facebook de la sage-femme est immédiatement partagée à tout-va. « J’ai très vite commencé à recevoir des dons. Une semaine après, une amie a débarqué chez moi avec sa voiture remplie de matériel de puériculture. Nous avons commencé comme ça, entre amis, à préparer des valises pour les mamans avant leur accouchement via les réseaux sociaux. Soit les mamans s’adressaient directement à nous, soit des gens qui connaissaient une femme dans le besoin nous faisaient la demande. »

UNE MONTAGNE DE DONS

Nommée « Un petit bagage d’amour » sur l’idée d’une autre sage-femme, l’association est déclarée en préfecture à l’automne 2016. « Le but est que les mamans aillent à la maternité sans se préoccuper des soucis matériels. Elles ont suffisamment de problèmes comme ça ! », souligne Samra Abaidia-Seddik. Très vite, via les réseaux sociaux et sa page Facebook, l’association est mise en avant par des personnalités de la radio, de la télévision et du show-business. À la maternité des Bluets, un groupe de mères plutôt militantes organise une première collecte. Un camion rempli de matériel – poussettes, porte-bébés, produits d’hygiène pour les mères, parfums, layette, vêtements pour les mères, couches, sérum physiologique, liniment, vêtements et chaussures pour les enfants plus âgés, jouets, peluches, doudous – arrive au domicile de la fondatrice. « Au début, avec mon mari, nous stockions le matériel dans la chambre de notre futur bébé, raconte-t-elle. Comme on a fait beaucoup de cododo, on a pu utiliser cette pièce un moment. Quand on a été dépassé, on a aussi utilisé le garage. Mon mari n’a jamais pu y mettre sa voiture ! On y conservait le stock. Une amie nous a aussi prêté un coin de son appartement. Mais quand cette première grosse collecte est arrivée, notre garage débordait déjà. On a lancé un appel sur les réseaux sociaux pour chercher un local gratuit. De nouveau, l’information a été énormément partagée, y compris par des animatrices de télévision. Un producteur-réalisateur de films désirait justement prêter un local de 100 mètres carrés, à Montreuil, en région parisienne. » L’association devait y rester six mois. Elle s’y installera un an et demi.

Rapidement, une montagne de dons arrive à Montreuil. « Les particuliers donnaient beaucoup, ainsi que le personnel de crèche, qui récupérait en fin d’année tout ce que les parents laissaient. Les aéroports de Paris nous ont même appelés quelques fois pour récupérer des poussettes abandonnées. Je ne comprends pas comment des parents peuvent oublier leur poussette à la sortie de l’avion ! », pouffe Samra Abaidia-Seddik. L’association participe également à plusieurs trophées ou concours organisés par des entreprises. Des dons en monnaie trébuchante lui parviennent : 10 000 euros d’EDF, 6000 euros de Total, plusieurs sommes du Crédit coopératif et d’autres organismes. Progressivement, les bénévoles arrivent. Il s’agit d’organiser des permanences pour trier le matériel et confectionner les valises maternité. En parallèle, et grâce au soutien de plusieurs célébrités – stars, animatrices, femmes de footballeur… –, des partenariats avec des entreprises sont conclus. Elles fournissent régulièrement des écharpes de portage, des couches, des produits d’hygiène, des biberons et des tétines, même si Un petit bagage d’amour s’interdit d’en donner systématiquement pour favoriser l’allaitement au sein. Aujourd’hui, l’antenne parisienne distribue environ 150 bagages par mois.

L’infirmier Abdelaali El Badaoui, fondateur de l’association Banlieues Santé, a pris en charge le déménagement d’Un petit bagage d’amour. © D.R.

ASSISTANTE SOCIALE DEMANDÉE

Les mères contactent d’elles-mêmes l’association, via les réseaux sociaux le plus souvent, ou sont orientées par des particuliers et des professionnels de santé et du social. « Au début, c’était très informel. Toutes sortes de gens nous sollicitaient. Je me souviens d’un banquier qui nous a contactés, car il voyait chaque jour une femme enceinte faire la manche dans le métro. Je me suis retrouvée à apporter un bagage maternité et une poussette dans une banque ! Certaines rencontres sont vraiment étonnantes et merveilleuses. » Mais les bénévoles finissent par se rendre compte que leur fonctionnement est inadapté. Leurs colis ne touchent pas toujours les bonnes personnes. « Il y a eu quelques abus. Par exemple, une personne revendait du matériel que nous lui avions donné. Depuis, nous demandons aux femmes d’avoir une assistante sociale, qui peut aussi les accompagner dans de nombreuses autres démarches. Quand la femme n’est pas encore au terme de sa grossesse, nous lui demandons de contacter quelqu’un avant de nous solliciter. Le réseau se fait au fur et à mesure. Quand on a des demandes récurrentes d’assistantes sociales qui réclament des bagages pour leurs patientes, on peut les contacter pour une femme qui peine à trouver une professionnelle et dont on considère la situation urgente. C’est donnant-donnant. Mais quand la patiente est proche du terme ou déjà à la maternité, nous lui apportons ce qu’il faut. Tout le monde peut nous contacter, y compris des maternités. Celle de l’hôpital Lariboisière, en région parisienne, l’a beaucoup fait. Nous avons aussi organisé des collectes directement pour cette maternité qui reçoit de nombreuses femmes en grande précarité. » Les PMI, les Centres d’accueil des demandeurs d’asile, presque tous les hôpitaux et assistantes sociales des maternités de la région, Solipam… Un petit bagage d’amour est en lien avec la plupart des structures où se trouvent des mères précaires.

Ainsi, n’importe quelle sage-femme qui rencontre une femme enceinte ou avec un enfant de moins de 1 an peut contacter l’association par e-mail. En réponse, elle reçoit un message automatique avec un questionnaire simple qui porte sur les nom et prénom de la mère, composition de la famille, date de naissance du bébé ou date du terme prévu, besoins spécifiques (les poussettes étant comptées, elles sont réservées aux mères ayant des problèmes de dos ou ayant subi une césarienne). Ensuite, elle recevra une proposition de date et d’heure de rendez-vous pour récupérer le bagage. « Dans la mesure du possible, c’est la mère qui vient chercher le bagage, mais cela peut aussi être une sage-femme, un travailleur social, le papa, précise la fondatrice. Si les femmes ne sont pas à l’heure ou ne peuvent pas honorer le rendez-vous, nous sommes assez flexibles. Nous savons que leurs conditions de vie sont compliquées. Elles viennent parfois de l’autre bout de la région. Souvent, elles nous préviennent. On met leur bagage de côté. Au bout de deux rendez-vous manqués sans prévenir, nous distribuons le bagage à une autre personne. C’est rare. » Les permanences d’accueil sont tenues par une ancienne bénévole, habituée, qui connaît bien le fonctionnement de l’association. Elles sont une dizaine à assurer cette tâche environ trois fois par semaine au gré de leurs disponibilités. L’essentiel du fonctionnement repose sur les réseaux sociaux, via plusieurs groupes WhatsApp. 

DANS UNE ÉGLISE

Depuis mai 2018, l’association est installée pour une durée indéterminée dans la crypte de l’église Saint-Sulpice, au cœur du Paris historique. « Comme nous devions déménager, notre plus jeune bénévole, qui n’avait pas 18 ans, a envoyé 500 mails à toutes les paroisses de Paris, partant de l’idée que les églises sont grandes et souvent inoccupées, raconte la sage-femme. La seule à nous avoir répondu a été l’église Saint-Sulpice, qui nous a proposé son sous-sol, dans l’ancienne bibliothèque. C’est très vaste. » Le déménagement a été assuré par Banlieues Santé, une association partenaire qui mobilise ses gros camions.

« Aujourd’hui, il nous manque un vrai lieu d’accueil pour les mamans, poursuit-elle. À l’église, pour descendre dans notre local, il y a un escalier en pierre très raide, qui n’est pas vraiment sécurisé pour les femmes enceintes. Or, ces mamans sont toujours en train de courir. Lorsque nous recevons une mère très fatiguée, nous lui mettons une petite chaise en bas. C’est officieux. Si la femme a besoin de discuter, qu’elle nous annonce par exemple qu’elle n’a pas mangé depuis deux jours, on ne la laisse pas repartir comme ça. On signale ces mamans à des associations partenaires spécialisées dans les colis alimentaires. Idem si elle dort dans un abribus depuis deux jours. On peut appeler le 115 avec elle et si on ne trouve pas de solution, l’association peut lui payer des nuits d’hôtel. » Grâce à l’argent récolté auprès des entreprises et de certains particuliers, l’affaire n’est pas si compliquée. Parfois, l’association organise des cagnottes solidaires pour des situations spécifiques. « L’hiver dernier, nous avons rencontré une femme qui dormait dans sa voiture avec sept enfants. Enceinte de six mois, elle présentait une rupture prématurée des membranes. On a lancé une cagnotte d’urgence et on a pu la loger dans un AirBnB pendant plusieurs mois. La cagnotte s’est très vite remplie grâce aux dons privés et on a pu la loger sans difficulté. La propriétaire nous a fait un prix mensuel intéressant quand elle a eu connaissance de la situation. L’État n’avait pas réussi à trouver une chambre adaptée. Il aurait fallu deux chambres, mais dans ce cas, il aurait aussi fallu deux adultes. Or, le père était en prison. Cette dame a accouché en mars dernier et depuis, sa situation s’est bien améliorée. Elle a obtenu un logement. »

Une jeune mère reçoit un bagage. ® D.R.

HÉBERGEMENT SOLIDAIRE

Parfois, des bénévoles accueillent les femmes directement à leur domicile. « Une vraie chaîne humaine peut se mettre en place autour de certaines mamans qui ne seront plus lâchées jusqu’à leur accouchement. Parfois même au-delà. Il y a une très grosse solidarité. C’est grâce à ça qu’on peut continuer. Malheureusement, on fait un peu le boulot de l’État. Certains bénévoles suivent les familles longtemps. L’une d’entre elles suit une famille depuis trois ans, participe aux anniversaires des enfants. Des liens magnifiques se créent. » Pendant les confinements successifs, certaines personnes aisées sont allées se réfugier loin de la ville, dans leur maison familiale, laissant leur appartement parisien à disposition. Des dames en situation de précarité ont pu y être logées. Mais depuis le début de la crise sanitaire, les besoins de ce type sont devenus rares. Les femmes enceintes ou avec des enfants en très bas âge ont presque toutes été hébergées par les services de l’État. Deux jours avant notre entretien, Samra Abaidia-Seddik a reçu le signalement d’une femme qui dormait sur un banc avec un enfant de 1 an et un bébé de 3 mois. « Avant, cela arrivait tous les deux jours. Depuis mars 2020, c’est rarissime, commente-t-elle. Pour l’instant, nous avons mis cette maman à l’abri dans un hôtel et j’ai interpellé sur les réseaux sociaux le Samu social de Paris ainsi que des personnalités politiques. » 

Plus récemment, Un petit bagage d’amour a trouvé un local supplémentaire dans un ancien grand magasin, dans un centre commercial, à Ivry-sur-Seine. Pour l’heure, il s’agit d’un entrepôt de stockage, mais la sage-femme rêve d’y aménager un véritable lieu d’accueil des mères en souffrance, en leur proposant également plusieurs permanences de soutien avec des psychologues, sages-femmes, etc. En attendant, elle doit se pencher sur plusieurs dossiers administratifs indispensables au recrutement d’une salariée qui pourrait assurer un accueil quotidien, sans dépendre des disponibilités aléatoires des bénévoles. Toute force supplémentaire est la bienvenue. Pour commencer, chaque sage-femme libérale peut déposer un flyer dans sa salle d’attente, pour collecter de la layette de 1 à 3 mois, des porte-bébés et des poussettes, qui sont les éléments les plus demandés.

■ Géraldine Magnan

Pour contacter l’association : 

https://www.unpetitbagagedamour.org

unpetitbagagedamour@gmail.com