Sombre, obscur, risqué, ailleurs… Quatre mots clés, exprimés librement, qui résument le sentiment général des sages-femmes coordinatrices lorsqu’on les interroge sur leur avenir. D’ailleurs, plus de la moitié d’entre elles (52 %) envisagent une reconversion. Si leurs souhaits se réalisaient à une échéance de cinq ans, le taux de vacance des postes de coordinatrices grimperait à 58 %. Le chiffre inquiète, mais les causes sont connues : déficit de reconnaissance, pénibilité du travail, insatisfaction liée à la rémunération, difficiles conditions de travail. Comme le reste de la profession, les sages-femmes coordinatrices sont moroses. Ces constats sont tirés d’une enquête dont les principaux éléments ont été révélés aux dernières journées de l’Association nationale des sages-femmes coordinatrices (ANSFC), qui se tenaient à Chambéry courant octobre.
Cible difficile
Pour la mener, l’ANSFC a choisi d’être accompagnée par un cabinet de conseil spécialisé en ressources humaines. « C’est une cible difficile,expliquait Juliette Jouno, du cabinet Partition humaine. Il n’y a pas de recensement ou d’état des lieux du nombre de sages-femmes coordinatrices en France. Avec l’ANSFC, nous l’avons estimé à mille. » Au total, 374 réponses à un questionnaire détaillé ont été retournées entre juin et septembre, dont 228 vraiment exploitables. Le questionnaire était peut-être trop long. « Les résultats de cette enquête sont relativement représentatifs, poursuivait la consultante. Les réponses couvrent 23 % de l’effectif estimé, avec 115 maternités sur les 471 recensées, soit 25 % des établissements. » Il est donc possible de tirer de grandes tendances sur l’exercice actuel des sages-femmes coordinatrices. C’est plus difficile pour les coordonnatrices en maïeutique et les enseignantes, moins nombreuses à répondre.
L’immense majorité des répondantes (90 %) exercent dans un établissement public, dont 40 % dans une maternité de type 3. En moyenne, les coordinatrices ont 49 ans. En plus de leur diplôme d’État de sage-femme, obtenu majoritairement depuis plus de quinze ans, les trois-quarts possèdent un diplôme complémentaire, dont plus de la moitié en management. Les deux tiers sont sages-femmes de grade 2. Elles consacrent 69 % de leur temps au management des équipes, 12 % à la gestion de la qualité et des risques, 18 % à de l’activité clinique. Le reste du temps est principalement occupé par de la gestion financière et l’accompagnement des nouvelles recrutées. Plus de la moitié des sages-femmes coordinatrices (55 %) exercent aussi des fonctions à l’extérieur de leur établissement : réseau périnatal, enseignement, Conseil de l’Ordre.
Les taux de vacance des postes restent inquiétants : 11 % pour les sages-femmes cliniciennes, 12 % pour les coordinatrices, 9 % pour les coordinatrices apprenantes ou faisant fonction et 11 % pour les coordonnatrices en maïeutique. À plus de 60 %, les postes sont vacants depuis moins d’un an.
Insécurité et sentiment d’inutilité
« Globalement, à plus de 50 %, les relations humaines avec le chef de pôle et le chef de service ou la direction des soins sont décrites comme satisfaisantes, ajoutait Corinne Riou-Chiarandini, de l’ANSFC. Les relations intraservices, avec les sages-femmes, sont également satisfaisantes, tout comme avec le manager hiérarchique. Plus inquiétant : certaines coordinatrices ont mentionné des relations inexistantes avec leur chef de pôle ou chef de service. Un tiers des participantes ont aussi déclaré une absence totale de relation avec la direction des affaires médicales (Dam), alors que la carrière des sages-femmes doit être gérée par ce service depuis un texte voté voilà plus de huit ans. En outre, 30 % des personnes interrogées se déclarent insatisfaites dans leur rôle de manager. Elles sont spécialement éprouvées par l’organisation de leur temps de travail, avec une conciliation très difficile entre leur vie professionnelle et personnelle. Pire : 38 % des coordinatrices ne se sentent pas en sécurité dans l’exercice de leur profession. Plus de la moitié (52 %) ne sont pas épanouies dans leur travail et un gros tiers (35 %) déclarent ne pas avoir de sentiment d’utilité publique. Sage-femme coordinatrice : un nouveau bullshit job ? Cela paraît incroyable.
« Le malaise profond des sages-femmes renforcé par la crise sanitaire, la vacance des postes, le moindre attrait pour la profession… Avec cette enquête, nous avons voulu documenter ces constats et pas seulement parler à partir d’un ressenti, résume Sylvie Le Roux, présidente de l’ANSFC. C’est une première base de travail qu’il faudra approfondir. » Désormais, les sages-femmes coordinatrices disposent de données chiffrées pour étayer un éventuel plaidoyer.
■ Géraldine Magnan