Des sages-femmes « référentes », faisant office de « premier recours » dans la prise en charge de l’endométriose, sur l’ensemble du territoire national ? Ce pourrait être bientôt une réalité, à en croire des informations récentes. Le Président de la République pourrait d’ailleurs l’annoncer lui-même, courant septembre, selon un engagement du ministre de la Santé. Il l’a affirmé début juillet, lors d’une réunion avec le groupe de travail dédié auquel participait Yasmine Candau, présidente de l’association de patientes EndoFrance. « Il était temps que le problème de l’endométriose soit enfin pris à sa juste valeur, commente-t-elle. On espère des choses concrètes, et pas seulement des annonces à effet de communication. Mais nous progressons, car nous bataillons depuis 2005. Nous avons rencontré pour la première fois un ministre en 2019, et cette fois en 2021. Nous avons l’impression d’avoir été entendues et j’ai envie d’y croire. »
L’endométriose touche en effet une femme sur dix, entre 1,5 et 2,5 millions de femmes en France ! Or, comme le rappelle Yasmine Candau, « le décret qui annonce l’intégration de l’endométriose dans les études de second cycle de médecine n’est paru qu’en septembre 2020. Avant cela, et malgré le fait que nous le demandions depuis 2005, les médecins entendaient parler d’endométriose seulement pendant 20 minutes au cours de leurs 7 années de formation. On comprend qu’ils puissent passer à côté du diagnostic ! Cette première aberration a été corrigée en septembre 2020 et les premiers cours sur l’endométriose ont été donnés aux étudiants de médecine à partir de janvier 2021. Mais ces médecins sortiront d’étude en 2028. En attendant, ça ne va pas résoudre le délai de diagnostic. Il faut agir auprès des professionnels actuellement en exercice ».
STRATÉGIE NATIONALE
Il faut dire que la stratégie nationale contre l’endométriose, initiée par Agnès Buzyn en 2019, a pris du retard. La crise sanitaire liée au Covid-19 y a mis un gros coup de frein, avant qu’Olivier Véran ne la reprenne à son compte en mars 2021. Il s’agit, entre autres, de renforcer le diagnostic précoce de la maladie, en commençant auprès des jeunes filles âgées de 11 ans à 18 ans, et de mettre en place des filières professionnelles de prise en charge ville-hôpital. L’objectif est d’éviter le drame de l’errance médicale et diagnostique, qui dure en moyenne entre 7 et 10 ans. Trop de femmes souffrent durant de très longues années sans être prises au sérieux par des professionnels de santé mal formés.
Entre 2019 et 2021, la stratégie nationale n’est pas restée au point mort pour autant. Agnès Buzin avait envisagé une déclinaison régionale et choisi trois ARS pilotes pour initier des filières de soins : Auvergne-Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte-d’Azur et Île-de-France. En Île-de-France, quatre filières pourraient être validées. De son côté, la région Nouvelle-Aquitaine a annoncé la structuration d’une filière, via la création, le 30 avril dernier, de l’association Afena (pour Association filière endométriose Nouvelle-Aquitaine). Le projet le plus abouti est celui mené en Auvergne-Rhône-Alpes. On ne sait pas encore s’il servira de modèle pour être généralisé. L’ARS y a reconnu l’association Endaura (pour endométriose en région Auvergne-Rhône-Alpes) comme la première filière ville-hôpital pour la prise en charge de l’endométriose. Marie-Pierre Royer, sage-femme libérale dans la région lyonnaise et ancienne présidente de l’URPS sages-femmes Auvergne-Rhône-Alpes, a participé à plusieurs étapes de sa mise en place, à la demande de la référente périnatalité de l’ARS. « Il s’agissait de présenter un parcours de soins avec des praticiens spécialisés identifiés. Pour le premier recours, ce peut être des médecins généralistes, des sages-femmes, des gynécologues de ville mais aussi des pédiatres, puisqu’on parle de détection très précoce. Il faut intégrer tous les signes de l’endométriose aux consultations de prévention. Pour cela, il faut renforcer la formation des professionnels. Ils doivent notamment connaître les signes d’alerte et la prise en charge. »
ENDAURA, ASSOCIATION DÉDIÉE
En Auvergne-Rhône-Alpes, une plaquette a déjà été élaborée. Elle compile un petit guide des bonnes pratiques « à l’usage des gynécologues médicaux, des gynécologues-obstétriciens, des radiologues, des médecins généralistes et des sages-femmes ».
Il reprend les messages clés développés par le Collège national des gynécologues-obstétriciens français (CNGOF). Avant tout, il présente les symptômes, suivant la règle des « 5D » pour diagnostiquer la maladie : dysménorrhée intense (avec une évaluation de la douleur égale ou supérieure à 8), dyspareunie profonde, douleur à la défécation, douleur vésicale, douleur pelvienne chronique. Quelques bons réflexes que le professionnel de santé doit avoir sont aussi présentés. La conduite à tenir en première intention rappelle de programmer une échographie pelvienne et rénale et de proposer une contraception en absence de désir de grossesse. Il faut donc connaître l’épidémiologie, mener un examen complet, organiser les examens complémentaires, appréhender les complications, initier le bon traitement, organiser un suivi, contacter un expert radiologue et gynécologue. Endaura en a déjà identifié une centaine sur son territoire.
« Destinée à tous les professionnels de santé susceptibles de faire de la gynécologie, cette plaquette va bientôt leur être envoyée, explique Marie-Pierre Royer. C’est une aide pour un premier diagnostic, ou tout au moins une suspicion, même si les professionnels ne sont pas référents. » Ce petit guide de bonnes pratiques s’accompagnera d’un site internet. Il doit recenser tous les professionnels référents de la région, qu’ils soient premiers recours ou experts. « Cela permettra d’orienter sa patiente pour une confirmation du diagnostic et une prise en charge avec traitement médicamenteux ou chirurgical, ajoute la sage-femme. Concrètement, si on est sage-femme et qu’on suspecte une endométriose chez une patiente, on peut organiser une première échographie pelvienne et rénale. Dans la première version de la plaquette, les sages-femmes n’étaient pas mentionnées comme premier recours. Il a fallu négocier. Au départ, on nous demandait d’orienter nos patientes vers un médecin généraliste, mais cela n’a pas de sens, car de nombreux généralistes nous considèrent comme des spécialistes et nous envoient eux-mêmes leurs patientes chez qui ils suspectent une endométriose ! » Heureusement, les négociations ont été promptes et les sages-femmes ont été facilement reconnues comme premier recours. « Dans un premier temps, même si on n’est pas spécialement formées à l’endométriose, on peut prescrire une contraception pour arrêter les règles et les douleurs associées, poursuit Marie-Pierre Royer. En tant que sages-femmes, nous pouvons toutes faire ça. Mais si la patiente souffre trop ou a un désir d’enfant, il faudra l’orienter. Une sage-femme qui doute un peu de son diagnostic peut adresser sa patiente à une consœur référente. Mais une sage-femme référente, bien formée sur la question, l’adressera directement à un praticien de deuxième recours, pour un avis chirurgical par exemple. Envoyer vers un deuxième recours accélère la prise en charge. »
SE FORMER
Pour Marie-Pierre Royer, l’intérêt de devenir sage-femme référente est surtout d’être bien formée sur le sujet. « Personnellement, je fais de la gynéco depuis plus de cinq ans et je vais faire cette formation, explique-t-elle. Cela permet de faire un diagnostic beaucoup plus rapide et d’anticiper les consultations suivantes. Quand la patiente est informée de la suite de sa prise en charge, c’est sécurisant pour elle. » Les sages-femmes référentes seront aussi identifiées. Les associations de patientes pourront donc directement leur adresser les femmes en demande, certaines précisant qu’elles souhaitent rencontrer spécifiquement une sage-femme. Le site internet d’Endaura proposera aussi une formation en e-learning. Déjà, des MOOC ont commencé. Élaboré par des spécialistes du CNGOF, avec le concours de l’ARS Île-de-France, le premier a été lancé fin mai 2021 (lire Profession Sage-Femme n° 272, p. 7). Terminé depuis fin juin, il reste en ligne, accessible gratuitement à tous.
Sans remettre en question le contenu du MOOC, Yasmine Candau, présidente de l’association de patientes EndoFrance, s’interroge sur la stratégie. « Ce MOOC est accessible à tout le monde. C’est un problème car certaines patientes sont mieux formées sur le sujet que leurs médecins. Une patiente ne sera jamais trop informée, mais cela entraîne un déséquilibre et met à mal la relation patient-soignant. C’est difficile derrière. Nous avons très souvent des témoignages de femmes qui nous disent “Aucun gynéco de m’écoute. Pour eux, je n’ai rien et tout va bien car l’échographie est normale. Je ne veux plus voir de médecin.” Quand les patientes sont super informées, la relation patient-médecin peut être super compliquée et tout le monde se braque. Le problème n’était donc pas de former le grand public mais de former les professionnels de santé qui n’ont pas reçu de formation initiale sur l’endométriose. Or si une femme concernée fait l’effort de se renseigner, ce n’est pas le cas des médecins qui n’ont peut-être pas envie de suivre un MOOC le soir après une journée entière de consultations. Il y a évidemment des congrès et des médecins qui donnent de leur temps pour former leurs confrères généralistes, sages-femmes, gynécologues ou radiologues. Mais ces démarches sont bénévoles pour les formateurs et volontaires pour les professionnels qui souhaitent se former. Il faudrait une formation obligatoire pour tous les professionnels de santé. Aujourd’hui, même un gynécologue peut passer à côté d’une endométriose. » Pour Yasmine Candau, il faudrait généraliser le module du diplôme inter universitaire (DIU) dédié aux symptômes, au diagnostic, aux examens à demander et au traitement de première intention. « On pourrait suivre ce DIU sans forcément suivre tous les modules dédiés à la chirurgie. Nous avons demandé que cette formation soit rendue obligatoire ou tout au moins proposée à tous ceux qui veulent se former », ajoute-t-elle.
UNE CENTAINE DE PRÉCONISATIONS
Une centaine de préconisations détaillées a été formulée au ministre de la Santé par les associations et le comité de pilotage de la stratégie nationale. À l’heure actuelle, on ignore encore lesquelles seront retenues. Elles se déclineront selon 5 axes. En plus de la formation des professionnels de santé, les filières de soins, comme celle d’Endaura, permettront aux patientes de s’orienter. La prise en charge devra se faire à tous les niveaux, dans le cadre d’un parcours de soins global et individualisé, avec des soins gradués. Toutes les personnes atteintes, y compris les hommes transgenres, doivent pouvoir en bénéficier. Les associations de patientes ont demandé au ministère d’étendre les prérogatives des sages-femmes pour qu’elles puissent prescrire des anti-inflammatoires. L’accent doit aussi être mis sur le diagnostic précoce. « Il faut vraiment arrêter d’entendre que la douleur pendant les règles est normale, insiste Yasmine Candau. Les professionnels doivent être sensibilisés à poser un diagnostic très tôt dans la vie des jeunes filles. » La recherche sur l’endométriose devrait aussi être à l’honneur, avec des fonds alloués par l’État. « Nous avons demandé la création d’un organe qui puisse déterminer l’intérêt des projets de recherche, poursuit Yasmine Candau. Dans ce domaine, la science en est encore aux balbutiements. Il faut dire que jusqu’à présent, il n’y avait qu’une seule enveloppe globale en santé des femmes et les cancers sont prioritaires. Quand il reste quelque chose de cette enveloppe, cela concerne toutes les autres pathologies. Il ne reste donc rien pour l’endométriose. Nous espérons que l’enveloppe dédiée à l’endométriose comptera plusieurs millions d’euros. Notre association a déjà financé 200 000 euros de projets de recherche, c’est très peu. » Enfin, dernier point de la stratégie nationale, des campagnes de sensibilisation du grand public devraient voir le jour. Le programme est donc ambitieux. Sera-t-il à la hauteur des enjeux ? Il demeure une grande inconnue : le budget et sa répartition entre les différents volets.
EndoZiwig, l’intelligence artificielle au service de l’endométriose
Développée par une PME lyonnaise, Ziwig Health, en collaboration avec la Société de chirurgie gynécologique et pelvienne, le CNGOF et des associations de patientes, la plateforme interactive EndoZiwig s’adresse essentiellement aux patientes. Elle vise principalement à réduire la durée de l’errance médicale des femmes concernées. En plus de réunir de nombreuses informations, elle propose une première aide au diagnostic en évaluant le risque d’endométriose en fonction des symptômes et d’autres caractéristiques rapportées par l’utilisatrice. Elle suggère aussi des pistes de traitement, des conseils et recommandations adaptés au profil de chaque patiente, au degré de gravité de sa maladie et à l’intensité des symptômes ressentis. Son usage est gratuit. Lancée en janvier 2021, la plateforme comptait 10 000 patientes et 350 professionnels de santé inscrits début juillet.
■ Géraldine Magnan