Comment votre grossesse et votre accouchement ont-ils été accompagnés ?
Je suis membre d’Espace Santé Trans, association via laquelle j’ai eu accès à un réseau de professionnels de santé. Pour mon suivi de grossesse, j’ai choisi une sage-femme libérale située en Seine-Saint-Denis (93). J’habite en Essonne (91). Son cabinet est donc assez loin. Mais cette sage-femme avait déjà accompagné plusieurs personnes trans. Elle était donc très informée et j’ai eu un bon contact avec elle. Depuis, je continue de la consulter pour mon suivi gynécologique, même si elle est loin. J’ai accouché à la maternité des Lilas, également en Seine-Saint-Denis, où le personnel avait déjà accompagné un homme trans enceint, Ali Aguado, qui a médiatisé sa grossesse et son accouchement pour visibiliser les parentalités trans (voir Pour aller plus loin, page ci-après). À cette occasion, les professionnels de la maternité avaient tous reçu une formation sur l’accueil des personnes trans, sages-femmes comme gynéco, anesthésiste ou autre. Tout le monde était très bienveillant et très au courant des problématiques liées à la transidentité. Preuve que la formation du personnel a été bénéfique et a répondu à toutes les questions. Par exemple, les professionnels de santé ont été très compréhensifs sur le fait que ce n’était pas évident d’avoir recours à des soignants en libéral. Il y a eu une suspicion de diabète gestationnel. On aurait dû nous orienter vers un endocrinologue extérieur, mais je n’avais pas envie de faire appel à un soignant supplémentaire. Les professionnels de la maternité ont été très à l’écoute et très patients. Quand cela a été nécessaire, ils ont contacté en amont des soignants pour s’assurer que cela allait bien se passer. Depuis, je recommande à tout le monde la maternité des Lilas ! Le personnel a été très respectueux et très à l’écoute de nos demandes. Nous avions un projet de naissance avec péridurale, mais ne voulions pas l’avoir trop vite. Mais au final, j’ai eu une césarienne pour une présentation en siège. On habitait loin, tout commençait à devenir trop compliqué. Du coup, même si on nous a laissé le choix avec un accouchement par voie basse, nous avons choisi la césarienne. Pour le post-partum, des soignantes de la maternité ont pris l’initiative de trouver une sage-femme libérale près de chez moi et de la contacter pour s’assurer que tout se passerait bien. Cette sage-femme n’avait pas été formée avant. Elle avait donc davantage de questions, mais cela s’est quand même bien passé. Après l’accouchement, j’ai eu un suivi très classique, hormis la difficulté liée au remboursement qui imposait à la sage-femme de remplir une feuille de soins à chaque fois. Et le fait qu’elle devait me dire Monsieur au lieu de Madame.
Et l’arrêt de la testostérone ? Avez-vous conservé votre belle barbe ?
Que ce soit avant ou après la grossesse, les gens ont continué de m’identifier comme un homme. La situation serait peut-être différente en fonction des parcours des personnes, mais j’avais déjà un certain nombre d’années de prise de testostérone derrière moi avant d’être enceint. Les changements hormonaux ont été un peu difficiles à vivre psychologiquement, mais je ne crois pas que ce soit tellement différent du vécu d’une femme cis, surtout pour le post-partum. De mon côté, après l’accouchement, j’ai fait une grosse déprime qui a duré plusieurs semaines. J’ai eu de grosses angoisses pendant les deux premières semaines, comme cela arrive à de nombreuses femmes cis. Puis tout est rentré dans l’ordre.
Comment a réagi votre entourage ?
Nos familles étaient très contentes de l’arrivée d’un enfant. Nous n’avons pas eu de remarque particulière, mais notre situation était ancienne. Tout le monde était bien au courant. Au niveau professionnel, j’en ai uniquement parlé à ma hiérarchie. J’ai eu la chance de vivre ma grossesse pendant les confinements dus à la crise sanitaire liée au Covid. Ma hiérarchie a été très bienveillante. Elle a trouvé les moyens de me donner accès aux droits qui sont normalement ouverts aux femmes cis, même si, là encore, ce n’était pas automatique. Dans cette entreprise, pour une question liée aux avancements, les syndicats ont accès aux noms des personnes qui ont eu un congé maternité. Pour me préserver, la hiérarchie s’est débrouillée pour que le mien ne figure pas sur cette liste.
Vous avez eu de la chance, semble-t-il…
La chance que j’ai eue, c’est surtout d’avoir vécu cette grossesse assez tard dans mon parcours de transition, avec beaucoup de ressources à disposition. Le fait de vivre en Île-de-France, avec un large panel de soignants, ainsi que mes contacts avec des associations dus à mon passé militant m’ont permis de ne pas me trouver sans ressource. Mon entreprise me connaît également. Il y a quelques années, nous avions eu besoin de traiter d’autres questions liées à la transidentité. La hiérarchie sait que juridiquement, j’ai les ressources nécessaires. L’apparente facilité de mon parcours tient donc surtout à mon histoire. Mon vécu n’est malheureusement pas généralisable. Pour d’autres hommes trans, c’est beaucoup plus compliqué.
Qu’en est-il de la filiation de votre enfant ?
Notre fille a deux papas à l’état civil. Là encore, nous avons eu beaucoup de chance. Nous avons marché dans les pas d’Ali Aguado et de son compagnon. En théorie, il n’est aujourd’hui pas possible d’avoir deux pères. Ce n’est pas interdit, mais la loi n’a pas prévu le cas d’un accouchement par un homme. Il n’y a aucun cadre légal. C’est donc au bon vouloir de la mairie et du procureur. Ils peuvent proposer d’inscrire le père qui a accouché comme mère, malgré un état civil masculin, ou d’accoucher sous X pour faire ensuite une reconnaissance de paternité, ce qui est très dangereux pour l’enfant comme pour ses parents. Au final, il y a eu une double filiation paternelle sur l’acte de naissance. Mais là encore, il existe de grosses disparités territoriales et certains procureurs refusent, imposant une filiation maternelle.
Savez-vous combien d’hommes trans ont déjà porté un enfant ?
La loi de 2016 (voir page 20) pose la question de la parentalité. Elle a amené plus de gens à s’interroger. Le nombre de personnes trans qui cherchent des informations sur ce sujet a beaucoup augmenté. Avec un enfant de 2 ans et demi et un emploi, je n’ai plus autant le temps de militer, mais je participe quand même à des groupes en ligne. Ils rassemblent plusieurs centaines de personnes. Le désir de grossesse ou de parentalité existe chez un certain nombre de personnes transmasculines. Comme pour bon nombre de femmes cis, les hommes trans n’ont pas forcément un désir de grossesse mais ont un désir d’enfant. Le moyen le plus simple pour y parvenir est de passer par une grossesse. Par ailleurs, un certain nombre de personnes ont commencé leur transition dans la vingtaine, après 2016, et arrivent maintenant sur la trentaine, un âge auquel on commence à se questionner sur la parentalité. Le nombre d’hommes trans qui vont avoir une grossesse va donc mécaniquement augmenter. Ces cas ne sont pas encore très fréquents mais ils ne sont pas rares. Les soignants vont devoir se poser davantage les questions des rapports des personnes à leur propre corps, tout comme celles liées au respect des prénoms et des pronoms choisis par les personnes elles-mêmes, sachant que toutes les personnes trans ne font pas de changement à l’état civil. Les professionnels vont devoir être capables de poser ces questions et d’entendre les réponses.
Faudrait-il former tous les soignants ?
Dans l’idéal, oui. Mais il faut souligner que la perception de la transidentité par les soignants est souvent plus grave que la réalité. La peur que les professionnels de santé ressentent, par exemple de dire quelque chose susceptible de froisser des personnes trans, est plus grande que la réalité. Pour une personne trans, il est plus grave d’être en errance médicale ou face au rejet et à la maltraitance des soignants. La première nécessité est d’avoir un réseau de soignants qui sont dans l’accueil des personnes, au-delà de leur transidentité, des soignants qui vont être capables d’accueillir toutes leurs problématiques de soins, qu’elles soient liées ou non à la transidentité. Les spécificités passent par une formation qu’il est facile d’acquérir. Les sages-femmes, comme tous les autres soignants, ont suffisamment de compétences pour être capables d’accompagner des problématiques spécifiques. Le fait d’accueillir les personnes dans un cadre bienveillant qui les prend en compte, avec leur transidentité, est déjà important. Cela peut être fait sans avoir recours à une formation spécifique. La difficulté à laquelle les soignants peuvent être confrontés, c’est que la personne trans peut redouter d’avoir recours à un professionnel de santé. Elle ne va consulter qu’une fois que le problème s’est aggravé. Cette situation va s’améliorer avec l’augmentation du nombre de soignants bienveillants à l’égard des personnes trans, qui hésiteront alors moins à consulter. Le réseau de professionnels de santé mis en place par Espace Santé Trans est une réponse à cet enjeu. Non seulement il permet d’adresser les patients vers des professionnels informés et bienveillants, mais ces soignants peuvent aussi échanger entre eux. Et les patients vont mieux se répartir entre soignants, ce qui allègera aussi la charge de ces professionnels.
■ Propos recueillis par Géraldine Magnan
Pour aller plus loin : « Enceint », un reportage de 28 min diffusé par France Culture dans le cadre de l’émission Les pieds sur Terre, avec le témoignage d’une sage-femme, qu’on peut réécouter en podcast ou à cette adresse : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-pieds-sur-terre/enceint-4494377