Le principe de confraternité et ses implications 

Principe déontologique fondamental pour les médecins et les sages-femmes, mais aussi pour les avocats, la confraternité implique un certain comportement et en interdit d’autres. Mais comment les ordres se positionnent-ils en pratique ? Éléments de réponse. 

L’ article R. 4127-354 du Code de la santé publique dispose que « les sages-femmes doivent entretenir entre elles des rapports de bonne confraternité. Elles se doivent une assistance morale. Une sage-femme qui a un dissentiment avec une autre sage-femme doit chercher la conciliation au besoin par l’intermédiaire du Conseil départemental. Il est interdit à une sage-femme d’en calomnier une autre, de médire d’elle ou de se faire l’écho de propos capables de lui nuire dans l’exercice de sa profession. Il est de bonne confraternité de prendre la défense d’une sage-femme injustement attaquée. » En ce qui concerne les rapports des sages-femmes avec les autres professionnels de santé, l’article R.4127-359 du Code de la santé publique dispose que « les sages-femmes doivent entretenir de bons rapports, dans l’intérêt des patientes, avec les membres des professions de santé. Elles doivent respecter l’indépendance professionnelle de ceux-ci. »

INTÉRÊT DU PATIENT

Principe déontologique fondamental, la confraternité est généralement justifiée par l’intérêt du patient. Dans le Code de déontologie médicale commenté, la confraternité est expliquée par le fait que « le patient ne peut être toujours suivi, ni accompagné, ni traité par le médecin de façon individualiste. Le médecin est au regard de la médecine l’élément d’un corps qui le rend dépendant des autres membres auxquels le rattachent des liens indispensables, confraternels. Ainsi le corps médical doit vivre dans la confraternité. Il est uni par un état d’esprit commun, celui d’une profession de responsabilité et d’action, par une formation intellectuelle particulière, alliant science et humanisme. Il ne s’agit pas d’une manifestation de corporatisme, mais d’une solidarité et d’une entraide nécessaires à l’accomplissement de la mission médicale. » 

Les dispositions sur la confraternité concernant les médecins et les sages-femmes étant très similaires, les questions abordées sont transposables aux deux professions, et elles sont nombreuses lorsque l’intérêt du patient est mis en cause par le comportement d’un professionnel de santé. Y a-t-il une obligation légale de dénoncer un confrère violent, incompétent ou dangereux ? Et quelles sont les responsabilités d’un professionnel de santé qui dénonce ou pas un confrère qui a un comportement contraire à l’intérêt du patient ?

QUELLE OBLIGATION DE PROTECTION DU PATIENT ?

En exercice libéral comme en établissement de santé, un professionnel de santé peut être amené à travailler en collaboration avec un confrère ou un collègue dont le comportement risque de porter atteinte à la qualité des soins prodigués aux patients. 

Cela peut être un confrère souffrant d’une addiction, qui vient travailler alors qu’il est sous l’effet de médicaments, de stupéfiants ou d’alcool, un confrère qui a un comportement inadapté, violent, harcelant, avec des patients ou des collègues, un confrère qui a des pratiques risquées, en raison d’un manque de formation par exemple. 

La question de la confraternité se pose alors lorsque le professionnel de santé envisage de dénoncer son confrère. Une dénonciation pourrait paraître évidente dans le cas où le confrère met les patients en danger par son comportement ou commet une infraction pénale. Pourtant, en réalité, il n’existe aucun texte qui oblige un professionnel de santé à dénoncer un confrère. Au-delà de cette absence de texte, les principes de confraternité et de secret professionnel pèsent lourdement sur les professionnels de santé, les empêchant souvent de dénoncer des comportements dangereux ou fautifs.

Le principe de confraternité implique en effet en premier lieu de saisir le Conseil départemental de l’Ordre du lieu d’exercice du confrère. Preuves à l’appui, le professionnel de santé peut signaler le comportement à l’Ordre, qui se chargera en principe de convoquer le confrère, d’enquêter puis de suspendre son droit d’exercice ou de le sanctionner. Les juridictions disciplinaires saisies d’une plainte ou d’un signalement doivent en principe vérifier l’ensemble du comportement professionnel de l’intéressé et ne sont pas tenues de limiter leur examen aux seuls faits dénoncés dans la plainte. Dans les faits, les dénonciations par des confrères sont plutôt rares, et les enquêtes diligentées par les Conseils de l’Ordre sont plutôt occasionnées par des plaintes formées par des patients. 

SUR LE TERRAIN, L’OMERTA 

En ce qui concerne les violences par exemple, il n’est pas rare que les Conseils de l’Ordre ne donnent pas suite à des dénonciations par des professionnels de santé, en opposant le secret professionnel. En effet, même si les situations de violences sur personnes mineures ou majeures (et seulement avec leur accord) font partie des dérogations possibles au secret professionnel, les seules personnes à qui le professionnel de santé peut adresser un signalement sont le procureur de la République ou la Cellule de recueil des informations préoccupantes (Crip) lorsqu’il s’agit de mineurs. 

Lorsqu’un confrère souffre d’une addiction mettant en danger la qualité des soins apportés aux patients, les signalements par des confrères sont rares également et ne suffisent généralement pas pour qu’une enquête soit diligentée. Une plainte d’un patient est souvent nécessaire. 

Les principes de confraternité et de secret professionnel pèsent donc sur de nombreux professionnels de santé qui craignent de manquer à leur devoir de confraternité, soit par conviction que ce n’est pas dans l’intérêt des patients, soit par crainte de poursuites. Cette confraternité est souvent vécue comme une contrainte, une obligation au silence. De fait, les possibilités de dénonciation sont limitées et reposent sur le choix personnel du professionnel de santé puisqu’aucune obligation légale ne pèse sur lui. 

DÉNONCER OU PAS, QUELLE RESPONSABILITÉ ?

Il n’existe donc pas d’obligation de dénoncer un confrère dont le comportement est contraire à l’intérêt du patient. La décision de dénoncer ou pas appartient donc au professionnel de santé. Mais le fait de garder le silence peut avoir des conséquences sur le plan pénal. Certes, la responsabilité pénale est avant tout personnelle : si le comportement d’un confrère est à l’origine d’une plainte pénale, c’est avant tout sa responsabilité en tant qu’auteur direct du dommage qui sera recherchée. Mais la responsabilité de celui qui ne l’a pas dénoncé alors qu’il connaissait la situation peut également être recherchée, en tant qu’auteur indirect.

L’article 121-3 alinéa 3 du Code pénal dispose que « les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer ».

Cette responsabilité en tant qu’auteur indirect n’est envisageable que si l’auteur a violé une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, ou commis une faute caractérisée. Aucun texte législatif n’impose d’effectuer un signalement en cas de comportement contraire à l’intérêt du patient, il est donc peu probable que le professionnel de santé qui n’a pas dénoncé son confrère puisse être condamné en tant qu’auteur indirect.

NON-ASSISTANCE À PERSONNE EN PÉRIL 

En revanche, le professionnel de santé qui s’est abstenu d’agir peut se voir poursuivi pour non-assistance à personne en péril. Cela a été le cas lors de poursuites contre le médecin anesthésiste qui a causé le décès d’une patiente de 28 ans en 2014 lors d’une césarienne. L’anesthésiste était partie boire l’apéritif chez des amis après avoir posé une péridurale à la patiente. Une césarienne s’étant avérée nécessaire, l’anesthésiste avait été rappelée, mais était revenue en état d’ébriété avancé. Elle avait alors intubé la patiente dans l’œsophage, provoquant un arrêt cardiaque et n’avait pas été capable de réagir. La patiente était décédée trois jours plus tard, des suites de cet arrêt cardiaque. L’alcoolisme de ce médecin était chronique. Elle a reconnu boire de la vodka toute la journée pour pouvoir aller au bloc sans trembler. Elle exerçait dans la clinique depuis peu, mais avait été licenciée de deux établissements dans lesquels elle exerçait auparavant à cause de son comportement et de son alcoolisme. 

L’obstétricien de garde le soir des faits et le centre hospitalier (en tant que personne morale) ont été mis en examen pour non-assistance à personne en péril. Ils n’ont pas été condamnés puisque l’anesthésiste exerçait seulement depuis une quinzaine de jours dans la clinique et que des démarches avaient été faites pour mettre fin à son contrat, car son comportement avait déjà fait l’objet de signalements. 

ACCUSATIONS DE CALOMNIE

Sur le plan de la responsabilité civile, la non-dénonciation n’a pas de conséquence : le fait de ne pas dénoncer un confrère (dans le cadre de l’exercice libéral ou hospitalier) n’est pas une faute. Sur le plan disciplinaire en revanche, il en va différemment puisqu’une dénonciation considérée comme calomnieuse pourra donner lieu à une plainte devant le Conseil de l’Ordre par le confrère concerné. 

Dans une décision de 2007, la chambre disciplinaire nationale du Conseil de l’Ordre des médecins a condamné à 6 mois d’interdiction d’exercice, dont 5 avec sursis, un médecin qui avait alerté le Conseil départemental de l’Ordre à propos du comportement sexuel anormal d’un confrère avec le mari d’une patiente. Cette patiente s’était confiée au médecin qui s’était rendu au domicile du couple pour avoir des renseignements plus précis. Le Conseil de l’Ordre a considéré « qu’il ressort des dispositions du Code de déontologie médicale qu’un médecin, qui est informé de traitements contestables et de sévices sur une personne dont un confrère se serait rendu coupable, est en droit – (ce n’est pas un devoir !) – de saisir les autorités compétentes, notamment ordinales, de la suite à donner à ces constatations ou à ces accusations ; qu’il ne lui appartient pas, en revanche, les autorités compétentes ayant été régulièrement saisies, de procéder lui-même à une enquête et à une instruction parallèle des faits en cause » (démarches personnelles auprès des patients du médecin mis en cause, lettre adressée au rapporteur de l’affaire disciplinaire contenant des appréciations excessives dans leur formulation et préjugeant imprudemment de la réalité des faits reprochés). 

Dans une décision de 2011, la chambre disciplinaire nationale du Conseil de l’Ordre des médecins décide de ne pas sanctionner un gynécologue dont le comportement a été signalé par une lettre collective de patientes et conjoints, dénonçant une familiarité excessive, des questions triviales sur les pratiques sexuelles sans -rapport avec la grossesse, l’annonce de pathologies graves sans preuve en effrayant les patientes, des examens gynécologiques intrusifs à connotation sexuelle parfois sans gants, la palpation des seins ne respectant pas les femmes, le déshabillage total systématique. Le Conseil de l’Ordre a considéré que la dénonciation intervenant dans un contexte de difficultés dans l’hôpital, au sein d’un climat conflictuel entre la direction, les médecins du service et les sages-femmes, et en l’absence de plainte pénale, le doute devait profiter au médecin. Le Conseil de l’Ordre conclut également que des « relations difficiles avec les sages-femmes ne caractérisent pas l’existence d’un comportement fautif ».

Dans une décision de 2019, la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins affirme que « le fait pour un médecin de signaler aux autorités compétentes les actes ou le comportement d’un confrère susceptible de faire courir un danger aux patients n’est pas en soi constitutif d’un manquement à la confraternité » (là encore, il ne s’agit nullement d’un devoir). Mais les circonstances de l’espèce aboutissent tout de même à une condamnation puisque le signalement a été inspiré par une animosité personnelle et fondé sur des imputations inexactes et mensongères. Une anesthésiste nouvellement arrivée dans une clinique était accusée par ses confrères anesthésistes de mettre en danger la sécurité des patients par des pratiques risquées et non conformes. Suite à un premier rapport d’expertise qui la déclarait effectivement dangereuse, son droit d’exercer était suspendu pendant cinq mois. Mais une seconde expertise déclarait ses pratiques parfaitement conformes, ses connaissances à jour et qu’elle ne faisait courir aucun risque particulier aux patients, dont au contraire, elle améliorait le postopératoire et la douleur. 

Dans une décision de 2003, la Chambre disciplinaire nationale du Conseil de l’Ordre des médecins a sanctionné par une interdiction d’exercer de trois mois avec sursis un médecin qui avait rapporté par écrit au procureur de la République des propos tenus par une patiente imputant à un confrère des actes répréhensibles à connotations sexuelles sur son fils âgé de 1 mois lors d’un examen médical. Les accusations s’étant révélées sans fondement, le Conseil de l’Ordre a considéré ce signalement comme fautif et contraire à la confraternité. 

Les décisions du Conseil de l’Ordre des médecins sont globalement claires lorsqu’un médecin dénonce un confrère : le signalement est une possibilité, mais pas une obligation, le doute profite au mis en cause et les preuves doivent être solides, le signalement d’un confrère ne suffit généralement pas à initier une enquête puisqu’il faut une plainte d’un patient, mais une plainte de patient n’est pas toujours suffisante. 

CONFRATERNITÉ ENVERS LES ÉTUDIANTES

Concernant les décisions du Conseil national de l’Ordre des sages-femmes en matière de confraternité et de dénonciation, on peut souligner deux décisions récentes (2022) concernant des comportements déplacés à l’égard d’élèves sages-femmes. Des sages-femmes ont été sanctionnées pour non-respect de la confraternité à l’égard de ces élèves :

  • Une sage-femme a été sanctionnée par 18 mois d’interdiction d’exercer la profession pour des pratiques professionnelles inappropriées contraires à la confraternité entre sages-femmes et constitutives d’une atteinte à l’intégrité de deux étudiantes sages-femmes (touchers vaginaux et rectaux sur la personne de la sage-femme et sur deux étudiantes).
  • Une sage-femme a été sanctionnée par un blâme également pour des pratiques professionnelles inappropriées contraires à la confraternité entre sages-femmes et constitutives d’une atteinte à l’intégrité d’une étudiante sage-femme (doigt apposé sur la fourchette vulvaire à travers son pantalon pour lui montrer un réflexe périnéal).

Les plaintes n’étaient pas soutenues directement par les étudiantes victimes, mais par le Conseil de l’Ordre, national ou départemental. 

Les plaintes des étudiantes auprès de leurs écoles respectives ont donc été relayées et portées auprès des instances ordinales afin que les sages-femmes ayant manqué à la confraternité soient sanctionnées. Il a d’ailleurs été considéré que ces plaintes, portées par le Conseil de l’Ordre ou par l’école, à l’encontre de consœurs n’étaient pas contraires à la confraternité. 

Le mal-être des étudiants sages-femmes a été mis en avant dans chaque décision, soulignant le fait qu’une majorité d’étudiants ressentent de la maltraitance en stage. Cela faisait suite à la première étude « Bien-être » de l’Association nationale des étudiantes sages-femmes de 2018, et à une circulaire ministérielle adressée aux directeurs d’instituts de formation et d’établissement de santé, aux maîtres de stage et aux étudiants en 2021 pour appeler à « la tolérance zéro » face à la maltraitance des étudiants en santé.

DES ÉVOLUTIONS NÉCESSAIRES

La confraternité est un principe déontologique très ancien et très ancré, pas seulement pour les professions médicales. Pour les médecins et les sages-femmes, il est justifié par l’intérêt du patient, un travail en bonne entente avec ses confrères étant nécessaire aux bons soins du patient. Pour les avocats, la confraternité est justifiée par la recherche d’un débat loyal, mais ne doit pas nuire à l’intérêt du client. 

Les limites sont difficiles à cerner et finalement assez subjectives et propres à chacun. Les ordres étant les juges en ce qui concerne la confraternité, ces limites sont fixées par leurs décisions qui influent grandement sur les comportements. Des évolutions sont souhaitables afin de mieux protéger les patientes et patients. 

■ Marie Josset-Maillet, avocate

Sources :

  • Code de la santé publique
  • Code de déontologie médicale et ses commentaires
  • Recueil de jurisprudences du Conseil national de l’Ordre des médecins
  • Recueil de jurisprudences du Conseil national de l’Ordre des sages-femmes