La déception des sages-femmes a été à la hauteur de l’attente qui leur a été imposée depuis des mois. Espéré fin juin, le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) a été rendu public le 10 septembre, quelques jours à peine avant une adresse en visioconférence du ministre de la Santé, Olivier Véran, avec la profession, le 16 septembre. Une semaine de calendrier très serré, sans doute à dessein, plaçant la profession sur des charbons ardents. Las, les annonces du ministre ont fait l’effet d’une douche froide.
Les appels à la grève ont plu dans la foulée. L’Organisation nationale des syndicats de sages-femmes (ONSSF) a très vite lancé le mot d’ordre pour le week-end du 24 au 26 septembre et le 7 octobre. Elle a été rejointe par les associations des étudiantes, enseignantes, territoriales, libérales et coordinatrices. Selon l’organisation, plus de 150 maternités et 60 % des cabinets libéraux ont répondu à l’appel.
La CFTC a déposé un préavis national de grève pour tout le mois d’octobre. Le syndicat FO a déposé un préavis étonnant pour le 28 septembre. La date du jeudi 7 octobre a en tout cas été retenue pour une grande grève et une manifestation nationale à Paris, y compris par l’Ufmict-CGT et l’Union nationale syndicale des sages-femmes (UNSSF).
LE COMPTE N’Y EST PAS
Malgré ses précautions langagières vis-à-vis de la profession, Olivier Véran n’a en effet dupé personne. En annonçant « 4400 euros nets par an de revalorisation salariale, soit l’équivalent d’un treizième, voire d’un quatorzième mois » pour les hospitalières, soit 365 euros nets mensuels, il espérait marquer les esprits. Il a précisé que le complément de traitement indiciaire de 183 euros mensuel, que les hospitalières perçoivent depuis janvier 2021, était inclus dans les 365 euros nets mensuels annoncés. Pour le grand public qui méconnaît le dossier, cette revalorisation peut paraître conséquente et les sages-femmes bégueules. Mais pour la profession, le compte n’y est pas !
Comment se féliciter d’une augmentation qui existe déjà en partie ? Sans compter que les chiffres annoncés ne correspondent pas. Dans le calcul des 365 euros, Olivier Véran inclut « une prime de 100 euros nets par mois » dès janvier 2022 et une revalorisation de la grille salariale qui permettrait « un gain de 22 points d’indice en moyenne ». Or, quand on retire des 365 euros annoncés le complément de traitement indiciaire déjà accordé et la prime de 100 euros, il ne reste que 82 euros. Cela ne correspond qu’à 17,52 points d’indice et non 22 points comme annoncés par le ministre (le point d’indice est fixé à 4,68 euros depuis le 1er février 2017). Le rapport de l’Igas préconisait pourtant une revalorisation dix fois plus conséquente, de 175 points d’indice en moyenne, soit 819 euros mensuels.
Pour l’UNSSF, une revalorisation entre 130 et 150 points d’indice aurait été une base de négociation. « La revalorisation proposée par l’Igas nous paraissait déjà insuffisante, s’indigne Camille Dumortier, présidente de l’ONSSF. Le ministère ne peut faire semblant de nous considérer avec les augmentations proposées. Les infirmières anesthésistes ont obtenu une prime plus importante que nous. Et les sages-femmes des urgences obstétricales ont été exclues de la prime d’urgence. Nous devrions être payées le double de ce que nous gagnons aujourd’hui ! Le ministère oublie les centaines de millions d’euros d’économies réalisées à travers les sages-femmes, avec la réduction de la durée moyenne de séjour et les sorties précoces, nos nouvelles compétences, etc. »
Force Ouvrière demande une revalorisation de 200 points d’indice, soit de 936 euros en moyenne. De son côté, l’Ufmict-CGT revendique une augmentation de 1000 euros nets pour toutes, comme premier geste de suite. Le syndicat demande que le salaire soit équivalent à 2,3 fois le Smic en début de carrière – soit 2830 euros nets en début de carrière et 220 points d’indice supplémentaires -, un doublement du salaire sans obstacle sur la carrière et l’attribution d’une prime d’exercice médical. « Nous ne voulons pas un rattrapage de salaire, mais un repositionnement dans les grilles à hauteur de nos compétences médicales », souligne Vincent Porteous, représentant de l’Ufmict-CGT.
LAISSÉES POUR COMPTE
Les arbitrages du ministre ne satisfont pas davantage les sages-femmes territoriales. Certes, par homologie avec la fonction publique hospitalière, la territoriale bénéficierait des mêmes revalorisations des grilles salariales. Mais les sages-femmes de PMI ne bénéficieront pas plus de la prime que du complément de traitement indiciaire. L’Association nationale des sages-femmes territoriales (ANSFT) l’a dénoncé dans un communiqué, estimant être discriminées et traitées comme des « sous-fonctionnaires du service public ».
« Cette tentative de cloisonnement et de division de la profession crée une grande déception et de la souffrance, regrette Micheline Boivineau, présidente de l’ANSFT. De plus, il y a toujours un retard pour transposer les grilles indiciaires entre les fonctions publiques. Suite aux décisions de 2014, nous avons dû attendre 2018 pour que nos grilles soient adaptées. »
Quant aux libérales, elles s’inscrivent aussi en faux par rapport aux annonces d’Olivier Véran, qui évoquait une négociation conventionnelle en bonne voie. Elle est pourtant bloquée d’après l’UNSSF et l’ONSSF, qui y siègent. « L’enveloppe de 18 millions d’euros pour une revalorisation des actes existants ou la création de nouveaux actes est insuffisante, indique Henny Jonkers, membre du conseil d’administration de l’UNSSF. Par exemple, le dépistage de la dépression du post-partum implique une consultation longue et un tarif adapté, sans quoi les sages-femmes ne seront pas motivées pour le réaliser. Pour l’instant, la Caisse nationale d’Assurance Maladie ne propose qu’un entretien postnatal périnatal à un tarif inférieur à une consultation et une visite. Elle souhaiterait aussi que l’on y pratique de nombreuses autres actions de prévention un peu fourre-tout. »
DES ANNONCES FLOUES
Olivier Véran a donné quelques espoirs concernant une sixième année d’études pour les sages-femmes : une mission de l’Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la recherche devrait aller vite, pour des décisions avant la fin de l’année. C’est en effet cette instance, et non l’Igas, qui reste compétente sur le sujet.
« Nous avons bon espoir, mais il n’a pas été question d’un troisième cycle obligatoire ni d’une thèse d’exercice, estime Vincent Porteous. Sans cela, il ne s’agirait que d’étaler les études, comme l’a étonnamment proposé Force Ouvrière, ce qui serait risible pour des Master 2. Ce troisième cycle nous donnerait une visibilité par rapport aux infirmières en pratique avancée et cela nous permettrait de changer de corps, ce qui entraîne en général des changements de grilles salariales. Les sages-femmes déjà diplômées, qui n’auraient alors pas réalisé ce troisième cycle, ne seraient pas dévalorisées pour autant. » Pour l’ONSSF, une énième mission d’inspection n’est pas nécessaire étant donné le travail déjà fourni en groupes de travail ministériels par l’Association nationale des étudiantes sages-femmes depuis plusieurs années.
Le point sur l’exercice mixte
Lors de la visioconférence d’Olivier Véran, la question de l’exercice mixte a entraîné une grande confusion dans les réponses faites par le ministre et la présidente de l’Ordre. Pourtant, la possibilité d’exercer à la fois en libéral et à l’hôpital est perçue comme une option attractive par la profession.
Aucune disposition ordinale n’existe sur ce point. Avant le décret n° 2020-791 du 26 juin 2020, une sage-femme hospitalière pouvait demander à exercer à temps partiel pour exercer en libéral en parallèle. Pour cela, elle devait obtenir l’accord du directeur de son établissement. Cet accord était donné pour un maximum de trois ans. Dans les faits, peu de sages-femmes l’obtenaient. Conforme à l’idée d’Olivier Véran et du Gouvernement de « libérer les carcans », le décret du 26 juin 2020 instaure la possibilité pour de nombreux professionnels de santé, dont les sages-femmes, de créer des « emplois permanents à temps non complet ». En clair, il est possible d’être titularisée et protégée par le statut de fonctionnaire tout en exerçant en libéral, sans plus aucune limitation dans le temps, de fait. La durée du travail à temps partiel se situe entre 50 % minimum et 70 % maximum de la durée de service normée. Cette disposition, encore récente, gagne à être connue.
Les sages-femmes s’interrogent aussi sur les instructions que le ministre a dit vouloir rédiger. Olivier Véran a jugé inacceptable le recours à des emplois contractuels à l’hôpital à des salaires inférieurs aux grilles en vigueur et le cumul de CDD. Au moins 20 % des sages-femmes seraient concernées. Il souhaite aussi rappeler aux directions d’établissement que les sages-femmes dépendent des directions des affaires médicales, selon les décisions prises en 2014.
Mais le ministre a beau avoir annoncé un « engagement ferme » à ces sujets, une instruction ou une circulaire n’a pas valeur de décret. « Les instructions ministérielles qu’il a promises ne représentent rien de plus qu’un rappel à l’ordre, ce qui n’est en aucun cas une garantie que la donne change », estime Marie-Anne Poumaer. Un avis largement partagé par toutes les organisations. L’Ufmict-CGT voit en revanche d’un bon œil la reprise d’une de ses propositions : le ministre a évoqué la nomination d’une référente sage-femme au sein de la commission médicale d’établissement.
LA PÉNURIE OCCULTÉE
Toutes les organisations regrettent que la question des effectifs et des conditions de travail ait été balayée, tant par le rapport de l’Igas que par le ministre. Ce dernier a remis la responsabilité sur une absence de consensus au sein du groupe de travail chargé de réformer les décrets de périnatalité, qui a planché en 2019. Olivier Véran a admis laisser le dossier à ses successeurs, après les élections de 2022. Seul un décret sur l’activité des centres périnataux de proximité devrait paraître avant la fin de sa mandature.
Pourtant, toutes les organisations de sages-femmes s’étaient rangées derrière les propositions du Collège national des sages-femmes, cosignées avec le Collège des gynécologues-obstétriciens. Publiées dès 2018, elles portaient sur les Ressources humaines pour les activités non programmées en gynécologie-obstétrique. En coulisses, d’autres professions auraient-elles semé le trouble ? Ou l’ajustement des ratios d’effectif à la hausse risquait-il de se heurter aux difficultés de recrutement dans certaines régions peu attractives, mettant en péril des autorisations d’activité et entraînant des fermetures de services ? Au printemps dernier, les organisations syndicales n’avaient pas mis en avant la question des effectifs, comme si la refonte des décrets avait été enterrée avec la crise du Covid-19. Avec la pénurie de professionnelles de l’été passé, le sujet est plus brûlant que jamais.
« L’attractivité ne se résoudra pas que par la question de la rémunération », estime Marie-Anne Poumaer. « Nous frôlons la catastrophe à chaque garde par manque de personnel », s’alarme Camille Dumortier, qui exerce au CHRU de Nancy. De fait, plusieurs sages-femmes, souhaitant rester anonymes, nous ont fait part de leur état d’épuisement, dû à de trop nombreuses gardes assurées la peur au ventre, au manque de moyens techniques. Cette souffrance au travail passe inaperçue, car faire reconnaître la maladie professionnelle est une procédure lourde et complexe, que bien des sages-femmes n’engagent pas. Elles préfèrent s’arrêter, s’installer en libéral, démissionner ou se reconvertir.
UN CONSENTEMENT FORCÉ ?
Face aux annonces, les syndicats de sages-femmes doivent manœuvrer dans un calendrier restreint par la fin de la mandature d’Emmanuel Macron, toute proche. Alors que le ministère de la Santé n’a rien retenu du rapport de l’Igas qu’il a pourtant diligenté, la mission confiée à l’Igas ne semble avoir été conçue que pour jouer la montre. Tout, dans le discours d’Olivier Véran, tendait à dire : c’est à prendre maintenant ou à laisser. Il a aussi donné un sentiment de flou concernant l’ouverture de négociations salariales classiques, avec toutes les centrales syndicales autour de la table. Les décisions paraissent actées, ne nécessitant que le vote du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), prévu le 14 novembre prochain.
« Le lundi 13 septembre, les conseillers du ministre nous ont pourtant annoncé qu’un groupe de travail serait mis sur pied pour la négociation des grilles salariales avec les organisations syndicales de la fonction publique hospitalière », s’étonne Marie-Anne Poumaer, présidente de l’UNSSF. D’après nos sources, le ministère n’aurait prévu que des discussions bilatérales avec les organisations syndicales, ce qui laisserait la place à des manœuvres en coulisses. Jouer sur la division des sages-femmes en matière de statut est un scénario auquel les gouvernements se sont déjà prêtés en 2001 et 2014.
LA PROFESSION RESTE UNIE
Cette question du statut ne représente pourtant que 5 % des revendications, d’après les discours syndicaux. « L’Igas a fait un constat juste concernant le statut actuel, totalement inadapté, mais nous n’approuvions pas sa proposition d’un statut spécifique pour notre profession, juge Camille Dumortier, de l’ONSSF. Cela n’a aucun sens de créer un statut “ni-ni” pour 14 000 agents parmi le million d’agents de la fonction publique hospitalière. Nous ne demandons pas le titre de praticien hospitalier ni le salaire qui va avec, mais le statut PH. Alors que ce statut est en révision, nous pourrions y avoir une place spécifique, avec des grilles et des calculs horaires adaptés. Même des intersyndicales de PH nous soutiennent dans ce sens ! » Si elle se dit prête à maintenir l’unité avec les autres organisations syndicales, « en allant le plus loin possible avec la CGT », la présidente de l’ONSSF souhaiterait qu’une enquête de représentativité syndicale à l’hôpital et en libéral soit menée pour que le ministère « écoute la démocratie ».
De leur côté, l’UNSSF et l’Ufmict-CGT se rejoignent toujours en faveur d’une filière médicale au sein de la fonction publique hospitalière, bel et bien annoncée par Olivier Véran. « Le maintien dans la fonction publique hospitalière et la création d’une filière médicale correspondent à nos demandes, mais il manque des précisions, juge Marie-Anne Poumaer de l’UNSSF. Nous ne souhaitons pas que cette filière médicale ne soit qu’un aménagement du statut de 2014. »
Vincent Porteous, de l’Ufmict-CGT, estime que « les sages-femmes ont compris, entre le rapport de l’Igas et les annonces du ministre, qu’elles ne pourraient obtenir le statut de praticien hospitalier tel qu’elles l’imaginaient. Il faut arrêter d’essayer de faire rêver avec le statut PH et ne pas oublier que tous les médecins à l’hôpital ne sont pas PH. » Il espère désormais que cette filière dédiée sera rapidement instituée. « L’important est de placer la première étagère rapidement, en créant une filière médicale distincte, ensuite nous y placerons des livres, explique-t-il de façon imagée. Cette filière indépendante est loin d’être un gadget, car elle actera de façon structurelle le caractère médical de notre profession. Elle mettra fin au parallèle sans cesse fait avec les autres professions pour éviter de nous augmenter, par crainte d’un effet domino. »
Malgré cette divergence historique, les syndicats mettent en avant leur accord sur 95 % des revendications. Nul n’aborde la question du statut dans son tract appelant à faire grève et à manifester le 7 octobre. Le « #code noir » de l’ONSSF et la « colère noire » de l’Ufmict-CGT se font ainsi écho.
Le 7 octobre sera donc une journée marquante pour mesurer l’ampleur de la mobilisation. Les sages-femmes ont jusqu’au vote du PLFSS pour marquer des points, dans les négociations avec le ministère, dans la rue et auprès des parlementaires. Elles rivalisent de créativité pour faire parler du mouvement en photo ou en vidéo.
Alors que leur colère se mêle au désespoir, les sages-femmes souhaitent rappeler au ministre ses propres mots. En préambule de la visioconférence du 16 septembre, Olivier Véran avait en effet lui-même reconnu que « les demi-mesures ne font que reporter les problèmes ».
■ Nour Richard-Guerroudj
Un exercice de communication raté
Environ 8500 sages-femmes ont regardé en direct la visioconférence à laquelle elles étaient conviées par le ministère de la Santé et le Conseil national de l’Ordre, le jeudi 16 septembre. Au 23 septembre, environ 2000 autres l’avaient visionné en différé sur YouTube. Olivier Véran, ministre de la Santé, a donc choisi le dialogue direct avec les sages-femmes, comme il l’avait fait auparavant avec d’autres professions de santé. Un ton franc et affirmé, quelques anecdotes personnelles glissées çà et là, une ouverture affichée pour répondre aux questions. En apparence, l’exercice était maîtrisé. Mais en dehors du fait qu’il manipulait les chiffres annoncés à son avantage, Olivier Véran a aussi montré son manque de maîtrise de certains dossiers. Ses conseillers les connaissent pourtant bien, pour avoir lu le rapport de l’Igas et entendu en détail les organisations de la profession. Il a botté en touche concernant le développement des filières physiologiques, demandant leur définition à la présidente de l’Ordre, Anne-Marie Curat. Pourtant, une circulaire de la DGOS du 10 avril 2014, prise à l’issue de longues négociations, mentionnait bien la possibilité de créer « des unités fonctionnelles consacrées au suivi des grossesses à bas risque et des accouchements eutociques », dont la responsable « pourra être une sage-femme ». Vincent Porteous, représentant de l’Ufmict-CGT, qui siégeait alors aux négociations, rappelle même qu’un budget avait été fléché pour la création de vingt filières physiologiques. « Où est passé l’argent ? s’interroge-t-il aujourd’hui. Les postes et les budgets de ces unités fonctionnelles nécessiteraient des fonds de missions d’intérêt général (MIG ou Migac, NDLR). Il faudrait au moins une à deux unités physiologiques par région, ce qui créerait un effet boule de neige à long terme. » Plus étonnant, concernant les possibilités d’exercice mixte, Olivier Véran a omis de citer le décret pourtant adopté en juin 2020 par son propre ministère, autorisant les titularisations de fonctionnaires à temps partiel. Entre chiffres erronés, approximations et annonces cadrées, le ministre de la Santé ne s’est pas livré à « un exercice de transparence indispensable », comme l’y avait invité la présidente de l’Ordre. Le dialogue avec la profession s’est avéré limité : Olivier Véran n’a répondu qu’à treize questions, présélectionnées en amont ou en direct. Au total, l’échange aura duré moins d’une heure.