Qu’est-ce qui vous a poussée à candidater à la présidence de l’Ordre ?
J’étais déjà impliquée, élue de l’Ordre et secrétaire générale au niveau national. Mes collègues m’ont aussi encouragée et je les remercie de la confiance qu’ils et elles m’accordent. Par ailleurs, la situation que nous vivons m’a fortement incitée à poursuivre les actions ordinales. Notre profession est en crise depuis longtemps. Mais cette fois-ci, la crise sanitaire a majoré ce que nous vivons depuis des années. L’hôpital est exsangue, mais c’est tout le système de santé qui va mal. Pour les jeunes sages-femmes notamment, entrer dans la profession dans la situation actuelle n’est pas sécurisant. Les femmes et les sages-femmes ont été les invisibles de la crise sanitaire. Le Ségur a oublié notre profession. J’ai également vécu les annonces du ministre Olivier Véran du 16 septembre 2021 comme une humiliation. La communication politique par la suite a visé à nous décrédibiliser auprès des citoyens en nous faisant passer pour d’éternelles insatisfaites face à des augmentations de salaire présentées comme conséquentes par le Gouvernement. L’idée était de détourner l’attention des citoyens de notre première préoccupation qui est la détérioration de la santé des femmes en France. Le pouvoir politique a aussi souvent évoqué des divisions entre sages-femmes. Elles existent en effet, mais qui peut prétendre à une position systématiquement consensuelle ? Et c’est bien dans les débats que les propositions émergent. Ainsi lors du mouvement de ces derniers mois, nous portions toutes une majorité de revendications identiques. En tant que présidente, je ne ferai pas de miracle face à la crise actuelle et ne serai pas infaillible, mais, avec les autres élues, nous mettrons tout en œuvre pour poursuivre les actions de défense de la profession.
Il est parfois reproché à l’Ordre d’aller au-delà de ses missions, notamment en matière de revendications salariales. Que répondez-vous ?
La question de la rémunération des sages-femmes, que ce soit à l’hôpital, en PMI ou en libéral, n’est en effet pas du ressort de l’Ordre. Mais soutenir la
profession est bien une mission ordinale, c’est pourquoi nous œuvrons pour la reconnaissance du statut médical de la profession et pour la rendre plus visible. Des dispositions statutaires, découle indéniablement un impact sur les rémunérations, qui sont bien évidemment du ressort syndical.
Défendre la profession passe aussi par l’organisation des parcours de soin des femmes ou la révision des décrets de périnatalité, sujets au cœur des revendications du mouvement des sages-femmes. Pourquoi inquiéter les femmes sur les déserts médicaux de gynécologues sans mentionner que les médecins généralistes ou les sages-femmes peuvent assurer ces actes ? Se préoccuper de la santé des femmes n’est pas un combat corporatiste, mais un enjeu de société !
Par de trop nombreuses occasions, les sages-femmes ne sont pas citées dans des programmes de santé publique. Ce fut le cas récemment concernant la campagne de la Ligue contre le cancer promouvant la vaccination anti-HPV et qui ne nomme que les médecins.
Et lorsque Olivier Véran déclare que la révision des décrets de périnatalité ne peut pas être engagée, car les professionnels de santé ne se sont pas mis d’accord entre eux, c’est un mensonge politique. Les différentes instances représentant les professionnels de la périnatalité sont unanimes et ont fait des propositions en 2019. Tout le monde attendait la révision des décrets de périnatalité. En 1998, la France comptait près de 700 maternités et n’en compte plus que 478 en 2022. On ne peut plus se moquer ainsi de la santé des femmes et des professionnels de la périnatalité !
Quels sont les leviers d’actions pour l’Ordre ?
L’Ordre s’est associé à la rédaction d’un livre blanc, qui devait émaner de toutes les organisations de la profession (lire page 10). C’est inédit ! Ce document sera adressé à tous les candidats qui soutiennent les droits des femmes aux prochaines élections. Plusieurs députées, comme Albane Gaillot, Annie Chapelier ou Marie-Pierre Rixain ont publiquement soutenu la profession ces derniers mois, nous donnant une nouvelle visibilité. Il faut aller plus loin encore. Courant mars, l’Ordre va sensibiliser les citoyens et les citoyennes sur le champ de compétences des sages-femmes. À travers le livre blanc et ces actions de sensibilisation, l’enjeu pour toutes les organisations est de faire de la santé des femmes et du respect des droits des femmes un enjeu électoral. Nous souhaitons amener chaque citoyen, chaque citoyenne, à envisager son vote en prenant en compte les candidats qui s’engagent pour la santé des femmes. Et il faut ancrer durablement ces questions dans la société.
Quels sont les grands chantiers de l’Ordre pour l’année à venir ?
La refonte du code de déontologie de l’Ordre a déjà été entamée, lors de travaux rassemblant l’ensemble de la profession, et va aboutir. Il s’agit à la fois de simplifier le code en intégrant les nouvelles compétences des sages-femmes et de réaffirmer dans le texte le caractère médical de notre profession.
L’autre grand projet de l’Ordre est de moderniser ses outils et stratégies de communication. Le CNOSF doit être un outil pratique pour les sages-femmes. Nous devons mieux faire comprendre l’utilité de l’Ordre et susciter l’intérêt chez nos consœurs et confrères d’un engagement ordinal. Je suis optimiste : il y a un dynamisme et une intelligence politique forte dans notre profession tout comme un grand sens des responsabilités qui nous incombent.
En matière de justice ordinale, les ordres départementaux et le CNOSF sont souvent accusés de faire la chasse aux sages-femmes qui accompagnent les accouchements à domicile. Qu’en dites-vous ?
Le CNOSF a interpellé plusieurs fois les décideurs politiques pour qu’ils traitent le sujet de l’accouchement accompagné à domicile. Les trois derniers ministres de la Santé ont rejeté cette requête. La question de l’accouchement accompagné à domicile ne peut se limiter au seul champ ordinal, c’est un enjeu de société. Il faut cependant souligner l’initiative de la Fédération française des réseaux de santé en périnatalité (FFRSP) qui s’est emparée de la question, à travers des groupes de travail portant sur la gestion des risques autour de l’accouchement accompagné à domicile. L’Ordre participe à ces travaux. Mais si la FFRSP contourne la faiblesse politique sur ce sujet, elle ne pourra pas le résoudre seule. Quant au fait que les décisions ordinales ne soient pas toujours homogènes, c’est le principe qui fonde le droit français : chaque juridiction, quelle qu’elle soit, a une autonomie d’instruction et les sanctions ne sont pas standardisées.
Peu avant votre élection, vous avez participé au concours d’éloquence de la Fondation des Femmes. Comment avez-vous vécu cette expérience ?
La présidente de la Fondation des Femmes, Anne-Cécile Mailfert, m’a proposé de participer à cette cinquième édition du prix Gisèle Halimi pour offrir une visibilité aux sages-femmes et aux femmes dans un moment particulier de leur vie. J’en ai été très honorée et j’ai bien sûr accepté. Cette année, il s’agissait de traiter d’un thème fort des combats féministes de l’année 2021. Le thème #MonPostPartum m’a été attribué, avec huit minutes pour convaincre, lors d’une soirée au théâtre de l’Odéon présidée par le prix Nobel de la paix Denis Mukwege, le 10 janvier dernier à Paris. Ce fut une belle aventure, qui a mis en lumière des oratrices qui m’ont émue.
L’Ordre, à l’instar des slogans lors des manifestations et de nombreuses tribunes de sages-femmes, est-il devenu plus féministe au fil des ans et votre élection traduit-elle ce changement ?
Que ce soit à travers les discussions lors de la révision de la loi de bioéthique ou sur la proposition de loi prolongeant le délai de recours à l’IVG, pour lesquelles l’Ordre a été auditionné, nous nous sommes positionnés en faveur des droits des femmes. Cela fait partie des missions de l’Ordre. En réalité, l’Ordre, comme la profession dans son ensemble, suit les évolutions sociétales. Mon élection n’en est qu’une des traductions. N’oublions pas que les élues ordinales sont des sages-femmes et que nous défendons toutes et tous un égal accès aux droits et aux soins, quel que soit le genre des personnes concernées.
Bio express
1990 : Diplômée de l’école de sages-femmes de Limoges
1990-1996 : Clinicienne au CHU de Limoges
1996-2002 : Enseignante au CHU de Limoges
2002-2011 : Cadre supérieure de pôle au CHU de Nantes
2011 : Directrice de l’école de sages-femmes de Nantes
2016 : Secrétaire générale du CNOSF
2022 : Présidente du CNOSF
■ Propos recueillis par Nour Richard-Guerroudj