Vous avez créé le site internet After Birth Trauma, qui est une mine de renseignements sur le stress post-traumatique post-accouchement. Comment est-il né ?
Il y a six ans, l’accouchement de mon premier enfant s’est très mal passé. J’ai cherché à comprendre, à avoir mon dossier médical, à faire une démarche de recours pour avoir des explications. Un peu moins d’un an après mon accouchement, après avoir vu trois professionnels différents, j’ai eu un diagnostic de stress post-traumatique. La psychologue de la maternité n’avait rien vu. Pour elle, il n’y avait pas de problème. J’avais reconsulté à distance et, à nouveau, elle ne voyait pas de problème, car je ne présentais pas de dépression du post-partum ni de problème de relation à l’enfant. Sauf qu’au quotidien, je voyais bien que le sujet de l’accouchement revenait tout le temps, que j’avais tout le temps besoin d’en parler, que je ne comprenais pas ce qu’il s’était passé. Mais pour elle, ce n’était pas problématique. Après mon congé maternité, quand j’ai repris le travail et n’étais alors plus avec mon bébé, les symptômes ont explosé. Car tant que j’étais avec mon bébé, je me mettais au second plan. C’est souvent le cas pour les mères en post-
partum. J’ai rencontré un nouveau professionnel qui a posé un diagnostic.
Mais je n’ai pas pour autant eu une information globale. Il n’y a pas eu de psycho-éducation, qui se pratique dans d’autres domaines. Il s’agit de comprendre ses symptômes, les comportements modifiés, les interactions avec les autres… Le stress post-traumatique est compliqué et a un impact sur de très nombreuses facettes de la vie. C’est très différent de la dépression du post-partum.
Au même moment a éclos le sujet des violences obstétricales. Je me suis alors rapprochée de la vie associative. J’ai rencontré Veronica Graham, que j’évoque sur le site internet After Birth Trauma. Elle était alors sur le groupe Facebook Stop aux violences obstétricales. Elle est franco-australienne. Elle a vécu et accouché en France, y a souffert de stress post-traumatique lié à son accouchement puis est repartie en Australie. Elle est aussi doctorante dans les sciences médicales. Elle avait commencé à rédiger un document sur le sujet du stress post-traumatique post-accouchement. J’avais trouvé son texte passionnant et n’avais rien lu de ce genre en français. J’ai commencé à traduire son document, puis j’ai creusé sur le sujet et le document s’est enrichi, notamment avec les résultats des études qui continuaient d’être publiées en anglais.
On a passé un an à travailler dessus. Le document faisait une cinquantaine de pages et n’était pas publiable en l’état. Nous en avons fait un site internet pour que tout le monde puisse trouver des informations plus facilement, qu’il s’agisse des femmes, des conjoints, des soignants qui voudraient se renseigner. Le site a été mis en ligne vers la fin du printemps 2020. J’ai ensuite alimenté le blog, avec des témoignages. J’ai également ouvert une page Instagram en parallèle, qui prend pas mal de temps.
Au cours de mes recherches sur le sujet, je ne suis tombée que sur des références en anglais. Il y a un fossé entre le monde anglophone, où le sujet est très connu – on parle de « birth trauma » – et la France, où l’on n’en parle pas. On parle de difficulté maternelle, de dépression du post-partum, mais pas du stress post-traumatique lié à l’accouchement. C’est aussi pour cela que le site porte un nom en anglais. C’est moins facile pour le référencement, mais je le trouvais plus sympathique, et surtout plus inspirant. After Birth Trauma évoque l’après. Le but était de fournir des informations sur le sujet, mais aussi sur comment aller mieux.
Comment les femmes peuvent-elles trouver votre site en ligne ?
J’ai essayé de référencer de nombreux mots pour faciliter la recherche. Mais c’est vrai qu’il faudrait que les femmes connaissent mieux les termes génériques. Quand on est concerné par le stress post-traumatique sans le savoir, on ne sait pas où chercher ni quoi chercher. De mon côté, j’avais cherché des informations sur l’accouchement difficile, mal vécu. Je suis même allée dans un groupe de parole sur les accouchements mal vécus. Je me rappelle que c’était compliqué. Le lieu était très bien, mais les situations très différentes. J’étais face à des mamans qui avaient par exemple eu une césarienne et avaient mal vécu la séparation avec leur bébé, mais leur accouchement s’était bien passé. Elles étaient gênées parce qu’en comparaison, mon accouchement avait été hyper violent. C’était difficile pour elles et cela les mettait en porte-à-faux. Elles trouvaient que finalement, ce qu’elles avaient vécu n’était pas grand-chose. Moi je trouvais leur problème très légitime, mais elles se limitaient dans ce qu’elles pouvaient dire et moi, je limitais également mon discours, car ce que je pouvais dire était beaucoup trop violent.
Le Ciane (Collectif interassociatif autour de la naissance) accompagne des femmes dans leurs recours pour les accouchements qui se sont mal passés. Les accompagnantes donnent le site en ressource aux mamans accompagnées et visiblement cela aide pas mal à les informer, les orienter, savoir quoi faire. Pour un accouchement qui se passe mal, on ne va pas forcément lancer un recours, car les choses s’estompent et se régularisent.
Sur votre site, vous donnez plusieurs pistes de soins. Comment avez-vous été prise en charge ?
Le diagnostic a été posé par un professionnel un peu moins d’un an après l’évènement. Il a tout de suite lancé un traitement antidépresseur. Normalement, plus la prise en charge est précoce, mieux c’est. Or, en un an, les symptômes avaient eu le temps de s’installer. On est alors dans une forme chronique. Si le stress
post-traumatique est encore présent à un an de l’évènement, c’est qu’il est assez résistant. Le traitement antidépresseur a été accompagné d’un suivi psychothérapeutique, ce qui est assez classique. Malheureusement, j’ai fait cinq fausses couches en parallèle, ce qui a réactivé le stress post-traumatique. Mais les insomnies, qui sont un symptôme caractéristique, m’ont aussi permis de travailler sur le site. Sa création a aussi eu un effet assez thérapeutique. Peu après la mise en ligne du site, j’ai été enceinte de mon second enfant.
Dans quelle mesure l’information vous a-t-elle aidée à sortir du traumatisme ?
Le suivi psychothérapeutique classique ne permet pas forcément de tout mettre en perspective. Chaque expérience personnelle est valable et il est légitime d’être traumatisée par un accouchement. Mais savoir que 4 % à 6 % des femmes sont traumatisées par un accouchement, ce qui fait quasiment 50 000 femmes par an, apprendre qu’il y a des facteurs de risques qui auraient pu être dépistés et prévenus, se rendre compte que dans tel cas, on coche plusieurs facteurs de risques, par exemple une extraction, une absence d’anesthésie ou d’autres types d’accompagnement… Tout cela permet de comprendre et de se sentir plus légitime dans ce que l’on vit. Cela permet de comprendre que le syndrome de stress post-traumatique ne tombe pas du ciel. Or, c’est un peu ce qu’on nous renvoie lors des recours. Pour les équipes soignantes, on a l’impression que si l’on développe ce trouble, c’est seulement qu’on n’a pas eu de chance. Mais quand on creuse et qu’on comprend la chaîne de choses qui se sont cumulées, cela permet de comprendre ce qu’il nous est arrivé. Avoir des informations sur les symptômes permet aussi de mieux décortiquer les choses, de comprendre que lorsqu’on ressent telle difficulté – par exemple ne pas pouvoir se rendre dans un lieu, se sentir très très mal dans certaines situations – c’est lié au stress post-traumatique. Or on a beaucoup de mal à décrire ses difficultés. Dans le traumatisme, on manque de mots. C’est aussi un des critères. On a du mal à expliquer ce qui se joue. On est submergé par des émotions qui sont très déstabilisantes et très
éprouvantes sans forcément pouvoir identifier la cause. Avoir toutes ces informations aide à mieux se comprendre, à mieux l’accepter et à être plus apaisée. Le travail sur le site internet m’a aussi fait sortir de mon propre prisme. J’ai creusé toutes les pistes. Par exemple, je n’ai pas été concernée par le passage du bébé en néonatalogie, mais je trouvais intéressant d’en parler, car on sait aujourd’hui qu’il y a des liens. Le site ne parle pas de ce que l’on a vécu l’une ou l’autre. Il est beaucoup plus exhaustif, pour que les personnes qui ont vécu des choses très différentes puissent se retrouver. Personnellement, avoir toutes ces informations m’a aussi permis d’aborder beaucoup plus sereinement ma seconde grossesse.
Vous évoquez également différents types de thérapies…
La médication n’est pas pour tout le monde. Il en va de même pour l’EMDR, qui est souvent recommandée. Dans la plupart des cas, cela fonctionne très bien, mais ce n’était par exemple pas mon cas. Cette technique impose une reconfrontation aux évènements qui n’est pas simple. À chaque étape de mon parcours, je me suis posé des questions. Comment peut faire une personne qui ne peut pas avoir recours à l’EMDR, soit parce qu’après un essai ça n’a pas bien fonctionné, soit parce qu’il n’y a pas de praticien formé dans son département, soit parce que l’approche fait peur, ce qui est très légitime ? On peut avoir recours à l’hypnose, à l’ICV (intégration des cycles de vie), à d’autres techniques… Le site propose une boîte à outils dans laquelle les personnes peuvent piocher en fonction de leur ressenti, de leur situation. C’est d’autant plus important de connaître ces différents outils, car certains d’entre eux peuvent réactiver des symptômes. Le site donne aussi des informations pour l’entourage. Les conjoints sont des victimes collatérales. Il y a également un volet consacré aux professionnels de santé, avec une partie destinée à mieux identifier et comprendre le stress post-traumatique de leurs patientes, et une autre dédiée au stress post-traumatique dont ils souffrent trop souvent eux-mêmes.
■ Propos recueillis par Géraldine Magnan
Pour en savoir plus : www.afterbirthtrauma.com