L’examen pelvien et le viol 

Depuis quelques années, les dénonciations d’actes gynécologiques violents se multiplient et certaines patientes portent plainte, au pénal et/ou devant le Conseil de l’Ordre. Mais est-ce qu’un examen gynécologique peut être considéré comme un viol ?

La très médiatique « affaire Daraï » a éclaté en septembre 2021. Aujourd’hui, le professeur Émile Daraï, spécialiste de l’endométriose de 66 ans, est mis en examen pour « violences volontaires par personne chargée d’une mission de service public », suite aux plaintes de 32 patientes qui l’accusent d’avoir pratiqué des touchers vaginaux et rectaux de manière brutale et sans consentement lors de ses consultations. Le professeur Daraï n’est pas mis en examen pour viol, bien que les femmes ayant subi ces violences considèrent que c’est bien ce dont il s’agit et qu’elles aient globalement porté plainte pour viol, voire viol en réunion et viol sur mineur par personne ayant autorité.

LES ÉLÉMENTS MATÉRIELS DU VIOL 

Mais les actes médicaux peuvent-ils être considérés comme des viols ? La loi définit le viol à l’article 222-23 du Code pénal comme suit : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle. »

Il n’est pas nécessaire qu’il y ait des violences physiques pour qualifier un acte de viol. Il suffit que la victime n’ait pas donné son consentement clair et explicite. Il s’agit par exemple des situations suivantes :

• la victime a émis un refus clair et explicite et/ou s’est défendue, mais l’agresseur a exercé sur elle une contrainte physique (par exemple, agression sexuelle ou viol commis avec violence) ;

• la victime n’a pas émis un refus clair et explicite et/ou ne s’est pas défendue, car elle faisait l’objet d’une contrainte morale (par exemple, agression sexuelle d’un ou d’une salariée par son chef) ;

• la victime n’était pas en état de pouvoir donner une réponse claire (par exemple, victime sous l’emprise de stupéfiants ou de l’alcool, ou victime vulnérable en raison de son état de santé, victime de moins de 15 ans).

S’il n’y a pas eu pénétration, il n’y a pas viol, mais agression sexuelle (article 222-27 du Code pénal).

L’infraction de viol contient deux éléments : un élément matériel et un élément moral. 

Concernant l’élément matériel, il s’agit de la pénétration. Tout acte de pénétration sexuelle est visé : vaginale, anale ou buccale. La pénétration peut être effectuée par le sexe, les doigts, une autre partie du corps ou par un objet. Dans le cadre d’un examen médical, la pénétration vaginale ou anale avec les doigts ou par un objet est bien présente. La loi précise également que l’acte de pénétration doit être commis par « violence, contrainte, menace ou surprise »

Est-on placé dans l’une de ces situations lorsque l’on va chez un gynécologue ou une sage-femme alors que l’on connaît en principe plus ou moins la teneur des examens pratiqués ?

DU CONSENTEMENT

Le débat porte alors sur la question du consentement. L’article L1111-4 du Code de la santé publique dispose que « toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé » et « aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne, et ce consentement peut être retiré à tout moment ».

Ainsi, on peut penser que si un soignant va à l’encontre du consentement de sa patiente, même si l’acte médical est justifié, les actes pratiqués le sont par surprise. Ils rentreraient donc dans la qualification de viol.

Le consentement doit être « libre et éclairé » : pour que le consentement soit éclairé, le patient doit être informé par le soignant de manière loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Ce consentement ne peut être donné de façon générale et doit être recherché avant tout acte médical. 

Dans le cadre d’une consultation gynécologique, comme lors d’une consultation pré-anesthésique par exemple, la signature d’un document de consentement global ne suffit pas et ne constitue pas un quitus, car le consentement peut être retiré à tout moment. 

Lors d’une consultation de gynécologie, le soignant doit donc informer la patiente avant chaque geste médical sur la teneur et la finalité de ce geste, afin qu’elle puisse donner son consentement de façon éclairée. 

La question du consentement libre et éclairé est centrale dans le cas des violences gynécologiques et obstétricales. L’absence de consentement peut-elle transformer un examen médical en viol ?

L’INTENTIONNALITÉ DU VIOL

Certains considèrent que la nécessité médicale justifie tous les gestes, qui ne peuvent donc être qualifiés de viols. L’Académie nationale de médecine, dans un communiqué de juillet 2022, a précisé : « Il est clair que les gestes […] réalisés dans le cadre d’un examen médical échappent à cette définition, dans la mesure où la nécessité médicale en est la justification. » Cette acception estime que le soignant agit dans l’intérêt de la patiente et ne peut donc pas être accusé d’une infraction pénale. 

D’ailleurs, l’infraction de viol est également constituée d’un élément intentionnel, qui est évalué par les juges, et détermine aujourd’hui s’il y a viol ou violences. Cet élément suppose chez l’auteur une intention coupable, c’est-à-dire la volonté et la conscience d’imposer à la victime un acte de pénétration sexuelle sans son consentement. La raison qui a poussé l’auteur à agir (le mobile) importe peu. L’auteur doit avoir conscience du défaut de consentement de la victime, et avoir eu l’intention d’utiliser son pouvoir moral ou physique pour assujettir la victime contre son gré.

Dans le cadre d’un examen médical avec pénétration (touché vaginal, rectal, speculum, sonde échographique…), l’élément matériel du viol est présent si le consentement de la victime n’a pas été respecté. On peut en effet considérer qu’une personne, qu’elle ait exprimé son refus ou qu’elle n’ait pas été mise en mesure d’exprimer son consentement (défaut d’information), a été pénétrée par surprise, ce qui correspond à la qualification de viol. En revanche, c’est l’élément moral (intentionnel) du viol qui va être discutable et discuté, son absence empêchant la caractérisation de l’infraction : l’auteur avait-il une intention coupable ? 

CONDAMNATIONS POUR VIOL

Cette intention coupable, cette volonté d’imposer à la victime une pénétration non consentie, est parfois reconnue concernant des soignants qui sont donc condamnés pour viol ou violences sexuelles : il s’agit alors d’un acte intentionnel à caractère sexuel déconnecté de l’acte de diagnostic ou de soin, un geste inadapté, déplacé, contraire aux bonnes pratiques médicales.

Il peut s’agir d’attouchements de nature sexuelle, de caresses, de massages dénués de tout caractère thérapeutique, du fait d’ôter des vêtements sans prévenir la patiente ou de tenir des propos déplacés à connotation sexuelle.

Dans certains cas, l’élément intentionnel ne fait aucun doute. Les soignants avaient conscience de l’absence de consentement des victimes et ont utilisé leur statut pour abuser de leurs patientes. Ils sont condamnés pour viols et violences sexuelles aggravées comme dans les deux exemples suivants.

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 11 juillet 2017, 17-82.425

Un médecin généraliste a été condamné pour viols aggravés (par personne abusant de -l’autorité conférée par ses fonctions) et d’atteintes à l’intimité de la vie privée par fixation d’image de personnes de 36 femmes. Il faisait venir ces patientes à son cabinet sous prétexte de les examiner (surveillance de grossesse, des ovaires, suites opératoires) à des fréquences anormales, pratiquait des « examens » vaginaux et rectaux sans gants, dans des positions non médicales (à quatre pattes, sur le ventre…), pendant des durées anormalement longues (5-10 minutes), et filmait ces « consultations » pour les visionner après à son domicile. Pour se défendre, il a tenté de montrer que ces actes étaient justifiés médicalement, mais les experts n’ont pas admis ses explications et il a été condamné pour viols aggravés. 

Cour d’appel de Metz, 13 octobre 2017

Un pharmacien biologiste a été condamné pour trois viols et quatre agressions sexuelles aggravées. À l’occasion de prélèvements réalisés au laboratoire, le médecin biologiste a eu des gestes non justifiés par les prélèvements à réaliser : pénétrations digitales et mouvements dans le vagin, nettoyage appuyé et prolongé de la vulve et de l’anus avant le prélèvement, propos et questions déplacés, commentaires sur le corps, masturbation. Il a été condamné à six ans de prison ferme. 

Dans d’autres cas, les débats ont porté sur le consentement des patientes puisque les soignants prétendaient ne pas avoir conscience au moment des faits de l’absence de consentement de leurs patientes. 

Cour d’assises de Paris – 20 février 2014

Le docteur André Hazout, gynécologue spécialisé dans les fécondations in vitro, proche de René Frydman et consulté par des milliers de femmes rencontrant des problèmes de fertilité, a été radié de l’Ordre des médecins en 2013 et condamné en 2014 à 8 ans de prison pour 4 viols et 4 agressions sexuelles. Les faits avaient été déclarés prescrits pour une trentaine de ses patientes qui avaient également subi des viols ou agressions sexuelles. Les débats ont porté sur le consentement puisque le médecin niait toute contrainte et estimait être dans la séduction et des rapports consentis avec ces patientes, sans être conscient de leur fragilité et de leur vulnérabilité.

Cour d’assises de Montpellier – 26 février 2021

Un sage-femme a été condamné en 2021 à 12 ans de prison pour 12 viols et agressions sexuelles sur des patientes lors de la préparation à l’accouchement ou de la rééducation périnéale. Le sage-femme pratiquait des massages vulvaires non désirés, des pénétrations digitales sans consentement et tenait des propos déplacés. Les débats ont également porté sur le consentement puisqu’il prétendait que sa méthode de préparation en pré et postnatal était basée sur la sexualité et qu’il pensait que les victimes étaient consentantes et volontaires. 

Les lois pénales sont d’interprétation stricte, c’est-à-dire que le juge ne peut ni modifier le sens d’un texte législatif ni en étendre le domaine. Il doit en respecter le sens exact. Élargir la qualification de viol ou d’agression sexuelle à des faits commis sans intention sexuelle, mais par « simple » violence, sans consentement, serait contraire à ce principe. L’absence d’intention sexuelle oriente les juges vers une autre qualification des faits. Par exemple, selon un jugement de la Cour de cassation criminelle du 9 décembre 1993, « ne saurait être qualifié de viol, au sens de l’article 332 du Code pénal, l’introduction d’un bâton dans l’anus d’un jeune garçon, qui a été contraint à se déshabiller, après avoir été menacé de mort et ligoté aux pieds et aux mains, dans le seul but de lui extorquer une somme d’argent, ces faits caractérisant l’emploi de tortures ou d’actes de barbarie pour l’exécution d’une extorsion de fonds et constituant, dès lors, le crime prévu et puni par l’article 303, alinéa 2, du Code pénal ». Ici, la qualification de viol n’a pas été retenue, car le but poursuivi par l’auteur n’était pas de porter atteinte à la liberté ou à l’intimité sexuelle de la victime, mais d’obtenir la remise d’un bien (objectif d’extorsion). Dans le domaine médical, certains considèrent que, s’il n’y a pas d’intention sexuelle, les actes ne peuvent être qualifiés pénalement, l’acte médical thérapeutique neutralisant la qualification pénale.

Concernant le cas du professeur Daraï, il n’a pas été mis en examen pour viol, mais pour violences volontaires par personne chargée d’une mission de service public, parce que l’intention n’est pour l’instant pas établie. C’est pourquoi il a été autorisé par la Cour d’appel, le 18 janvier dernier, à reprendre ses consultations privées, dont il avait été écarté dans le cadre de son placement sous contrôle judiciaire. Le médecin avait fait appel de cette ordonnance du juge d’instruction et a donc eu gain de cause. Il avait toutefois déjà la possibilité de continuer d’exercer dans le cadre de ses consultations publiques, l’AP-HP ayant précisé que, lors de ces consultations, un membre du personnel soignant était systématiquement présent aux côtés du professeur Daraï, cette pratique de « chaperonnage » étant fréquente aux États-Unis. Pour l’instant, l’instruction suit son cours dans cette affaire qui pourrait encore évoluer jusqu’au jugement.

Pour faire face aux nombreuses dénonciations de patientes ayant subi des examens -pelviens -douloureux et non consentis et tenter de « renouer la confiance avec les patientes », selon la présidente Joëlle Belaisch-Allart, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français a pris plusieurs décisions. Parmi elles, la publication de nouvelles recommandations pour la pratique clinique de l’examen pelvien et une charte des soins en salle de naissance ont été rendues publiques lors du congrès Paris Santé Femmes qui s’est déroulé fin janvier à Lille (lire aussi Grand Angle p. 20). 

La société a évolué et les femmes ne sont plus prêtes à supporter des examens pelviens systématiques et sans consentement réel. La problématique du viol est certes particulière et, juridiquement, les soignants sont « protégés » par l’élément intentionnel de cette infraction, qui est rarement présent. Mais plus globalement, ce sont les questions d’information et de consentement qui sont en jeu : quand il n’y a ni l’un ni l’autre, l’acte médical se transforme en violence, ce qui n’est pas acceptable, quelles que soient les circonstances.

■ Marie Josset-Maillet, avocate