Le refus de soins 

Au cours de leur pratique professionnelle, les sages-femmes peuvent faire face au refus de soins de leur patiente. Souvent difficile à comprendre et à accueillir d’un point de vue personnel - surtout lorsque ce refus concerne une femme enceinte et met en jeu la santé de son enfant -, ce refus peut aussi susciter des inquiétudes sur le plan déontologique et de la responsabilité professionnelle. 

D’un point de vue juridique, c’est la loi Kouchner du 4 mars 2022 qui a consacré le droit pour tout patient de refuser des soins, en complétant l’article 16-3 du Code civil qui fixe le grand principe du respect de l’intégrité du corps humain.

L’article L1111-4 du Code de la santé publique dispose que : « Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement. Le suivi du malade reste cependant assuré par le médecin, notamment son accompagnement palliatif. Le médecin a l’obligation de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. Si, par sa volonté de refuser ou d’interrompre tout traitement, la personne met sa vie en danger, elle doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable. (…) Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6, ou la famille, ou, à défaut, un de ses proches ait été consulté. »

La loi consacre ainsi le droit du patient à être informé sur son état de santé, c’est-à-dire sur les traitements et actes proposés, leur utilité, leur degré d’urgence, les risques qu’ils peuvent engendrer et les alternatives possibles. Il consacre aussi la nécessité du consentement libre et éclairé du patient aux actes et traitements qui lui sont proposés. La loi reconnaît au patient la possibilité absolue de refus de soins.


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LE REFUS DE SOINS : UN DROIT

Dans le cas d’une femme enceinte, ses décisions influent sur sa propre santé et sur celle de son enfant à naître. La question peut donc se poser de contraindre la femme enceinte à un acte de soin pour préserver la santé du fœtus. Mais le droit français ne reconnaissant pas d’existence légale au fœtus avant sa naissance, une intervention chirurgicale ou tout autre acte (dépistage par exemple) non consenti par la mère ne peut être effectué sous la contrainte ou sans le consentement de la mère, même si la vie du fœtus est menacée. 

Ce droit au refus n’est pas pour autant absolu puisque la loi impose parfois de se soumettre à des examens ou des soins (vaccination obligatoire, traitement des maladies mentales, de certaines maladies infectieuses sexuellement transmissibles ou non, de la toxicomanie). 

Globalement, les tribunaux et hautes juridictions (Cour de cassation, Conseil d’État) considèrent qu’un soignant ne commet pas de faute en s’inclinant devant la volonté du malade refusant un soin et n’encourt pas de sanction civile, pénale (pas de -non-assistance à personne en danger) ou disciplinaire. Mais la jurisprudence n’est pas certaine en la matière, puisqu’il en va autrement lorsque le refus de soins met la vie du patient en danger alors que celui-ci est hors d’état d’exprimer sa volonté.

La prise en charge des refus de soins est différente en fonction de l’urgence de la situation :
– En l’absence d’urgence, dans le cadre d’une consultation, une patiente peut par exemple refuser un toucher vaginal ou un examen de dépistage (DPNI, prélèvement vaginal à la recherche de streptocoque B) : ce choix est à respecter, après avoir pris toutes les précautions pour informer complètement la patiente, lui avoir proposé des alternatives (changement de professionnel de santé notamment) et tracer au dossier tous ces éléments. Ne pas respecter ce refus serait considéré comme une atteinte à l’intégrité physique de la patiente.
– En situation d’urgence, pendant le travail et l’accouchement, une patiente peut refuser un acte, une épisiotomie, une césarienne, une transfusion sanguine (cas des témoins de Jéhovah), mettant ainsi en danger sa vie ou celle de son enfant. Dans ce cas, la loi et la jurisprudence laissent la possibilité à l’équipe médicale en fonction des conditions de choisir de passer outre le refus ou de le respecter. 

EN L’ABSENCE D’URGENCE

Au cours de la grossesse, une femme peut être amenée à refuser certains actes, comme la prise de certains médicaments, le dépistage de la trisomie 21 ou du diabète gestationnel, la réalisation d’un toucher vaginal. Dans tous les cas, ce refus doit être respecté, après avoir délivré à la patiente toutes les informations sur cet acte, son utilité, son degré d’urgence, ses risques et les alternatives possibles. Tout doit être mis en œuvre pour que la patiente comprenne ce qui est en jeu et des alternatives doivent être proposées. 

En ce qui concerne le dépistage de la trisomie 21, la patiente est libre d’accepter ou de refuser cette information et les explications sur ce dépistage. Si la patiente souhaite recevoir les informations concernant ce dépistage, elle sera ensuite libre de recourir ou non au dépistage et, le cas échéant, au test de diagnostic qui pourrait en découler. 

La conduite à tenir est la même en cas de refus de toucher vaginal par exemple. Si la sage-femme estime que la réalisation d’un tel examen est nécessaire, mais que la patiente le refuse, il convient alors de lui délivrer une information claire, loyale et complète afin qu’elle puisse faire un choix éclairé. Il faut expliquer précisément les tenants et les aboutissants de cet acte, son utilité, son degré d’urgence, ses risques, les différentes conséquences possibles de ce refus et les alternatives existantes. 

En cas de maintien du refus, les informations données (type d’informations, échanges avec la patiente, propositions faites, explications) et le refus doivent être clairement consignés dans le dossier. Dans l’idéal, un formulaire doit être signé par la patiente et consigné au dossier. Il faut noter que la simple signature du formulaire ne suffit pas pour prouver que la patiente a été correctement informée. C’est pour cette raison qu’il faut consigner dans le dossier un maximum d’informations délivrées. Même si le dialogue n’est pas aisé et que les raisons du refus de soins sont impénétrables, la sage-femme doit respecter le refus de soins choisi par une patiente. Dans la mesure où la sage-femme peut prouver qu’elle a correctement informé la patiente, sa responsabilité ne pourra pas être mise en cause. 

LE CAS DE L’URGENCE VITALE

Au cours du travail et de l’accouchement, une patiente peut refuser des soins, une épisiotomie, une césarienne, une transfusion sanguine, pouvant ainsi mettre en danger sa vie et/ou celle de son enfant à naître. Du strict point de vue légal, le refus de soins doit être respecté, quelles que soient les conséquences, après avoir tout tenté pour que le patient change d’avis : explications, ré-explications devant témoins, courriers, comptes-rendus, multiplication des sources d’information et des personnes qui informent le patient. 

Cependant, en cas de menace vitale, il est admis que le médecin passe outre le désaccord de son patient et réalise « un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état ». Le professionnel de santé qui n’a pas respecté la volonté de son patient peut être poursuivi pour atteinte à l’intégrité physique de son patient, avec un très faible risque de condamnation. 

Le Conseil d’État a rendu en mai 2022 une nouvelle décision qui confirmait les décisions antérieures en ce sens (CE – Référés – 20 mai 2022 – N° 463713) en validant la décision d’une équipe médicale qui avait transfusé un patient malgré son refus. Le patient de 47 ans, victime d’un grave accident sur la voie publique, en état de choc hémorragique, avait fait l’objet de plusieurs transfusions sanguines au bloc opératoire, lors des neuf interventions chirurgicales qui se sont succédé pour lui sauver la vie. Or ce patient était porteur, lors de son accident, d’un document signé précisant son refus de toute transfusion sanguine, et ce « même si le personnel soignant estime qu’une telle transfusion s’impose pour [lui] sauver la vie » et désignant son frère en tant que personne de confiance. 

Au cours de son hospitalisation, le patient a indiqué à plusieurs reprises à l’équipe médicale être témoin de Jéhovah et refuser toute transfusion sanguine, quelles que soient les circonstances. Au vu de son état, le patient a finalement saisi le juge des référés afin de lui demander d’obliger l’établissement de santé à respecter sa volonté. Le juge ayant rejeté sa demande, le patient a saisi le Conseil d’État.

Le Conseil d’État, dans sa décision du 20 mai 2022, confirme le rejet des demandes du patient et donne raison à l’équipe médicale qui a pratiqué les transfusions. Il rappelle le droit de toute personne malade à recevoir, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions dont elle a besoin, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques à l’efficacité reconnue et garantissant la meilleure sécurité sanitaire. Puis il rappelle le droit fondamental qu’a toute personne de refuser ou de ne pas recevoir un traitement et l’obligation qui pèse sur le médecin de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. Il évoque ensuite le cas particulier du refus de soins susceptible de mettre la vie du patient en danger, ce qui était le cas en l’espèce. Dans ce cas, la personne doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable et faire appel à un autre membre du corps médical. 

Puis il évoque le cas particulier du patient hors d’état d’exprimer sa volonté : aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance ou la famille, ou, à défaut, un de ses proches ait été consulté. La décision de limiter ou d’arrêter un traitement ne peut être prise qu’après avoir respecté une procédure collégiale et les directives anticipées. Dans cette affaire, les directives anticipées mentionnaient clairement le refus du patient d’être transfusé, refus qui avait par ailleurs été confirmé par le frère du patient, désigné personne de confiance. 

S’agissant plus précisément des directives anticipées, le Conseil d’État souligne qu’elles s’imposent au médecin pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement. Mais il rappelle qu’il existe deux exceptions à ce principe : l’urgence vitale et le caractère manifestement inapproprié ou non conforme à la situation médicale des directives anticipées. Dans ces cas, le médecin peut refuser de les appliquer à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire et la décision, qui doit être motivée, est inscrite au dossier médical. Certes, l’équipe s’est écartée des instructions médicales écrites dont le patient était porteur dès son admission à l’hôpital. Mais les actes qu’elle a réalisés étaient indispensables à sa survie et proportionnés à son état, alors qu’il était hors d’état d’exprimer sa volonté. Le Conseil d’État considère donc qu’il n’existe pas d’atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales du patient. 

LE CHOIX DES SOIGNANTS

L’existence d’un risque vital est une donnée essentielle qui guide le juge pour trancher au cas par cas. Dans la plupart des affaires qui lui ont été soumises, le Conseil d’État a toujours recherché si le pronostic vital était ou non engagé en l’absence de transfusion sanguine. À chaque fois qu’il existait un risque vital en cas d’abstention, la décision de transfusion a été validée. 

En l’absence de risque vital, le juge considère que le souhait du patient de ne pas être transfusé doit être respecté : par exemple, dans un arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux du 20 octobre 2022, une patiente témoin de Jéhovah avait subi trois transfusions successives au décours d’une ablation de la vésicule biliaire : les deux premières avaient eu lieu alors qu’elle était inconsciente et en état de détresse vitale, la dernière avait été pratiquée après son réveil et la réitération de son refus, sous sédation non consentie. Seule la troisième transfusion a été considérée comme fautive, du fait des conditions de sa réalisation (sédation non consentie), mais aussi de l’absence de caractère vital. 

Même dans le cas d’un risque vital, l’équipe médicale peut décider de respecter le choix du patient. Tel a été le cas dans une affaire portée devant les juges par des proches d’une femme décédée des suites d’une hémorragie du post-partum. En tant que témoin de Jéhovah, elle s’était opposée aux transfusions sanguines. L’équipe médicale avait respecté sa volonté, exprimée par écrit par la patiente elle-même et réitérée par son époux et sa mère, de ne pas recevoir de transfusion. Une autorisation de transfuser avait finalement été demandée au procureur de la République quelques heures après, devant l’aggravation de l’état de la patiente, mais trop tard pour qu’elle soit sauvée. « Il ne saurait être reproché au médecin, qui doit respecter la volonté du malade, d’avoir éventuellement tardé à pratiquer une intervention vitale, alors qu’il ne pouvait la réaliser sans procéder, contre la volonté du patient, à une transfusion sanguine », conclut la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans son arrêt du 21 décembre 2006. 

Face à un refus de soins qui met en danger la survie maternelle, l’équipe médicale doit donc choisir de respecter ou non la volonté exprimée. Dans la mesure où les actes réalisés sont proportionnés à l’état de santé de la patiente et nécessaires pour lui sauver la vie, l’équipe ne pourra être condamnée pour n’avoir pas respecté la volonté de la patiente. 

En revanche, il en va autrement lorsque le refus de soins met en danger la vie du fœtus. Il n’est alors pas possible d’un point de vue légal d’outrepasser la volonté maternelle afin de sauver la vie du fœtus. En cas de refus d’épisiotomie par exemple (geste désormais réservé aux extractions instrumentales selon les dernières recommandations de pratique clinique, NDLR), dans la mesure où ce refus est clairement exprimé et renouvelé, l’épisiotomie ne devrait pas être pratiquée, car elle constitue une violation de l’intégrité physique maternelle, même si elle est nécessaire pour sauver la vie de l’enfant. 

De même en cas de refus de césarienne d’indication fœtale. Il n’existe pas de jurisprudence sur cette question pour le moment, mais si la mère refuse la césarienne malgré un risque vital pour son enfant, l’équipe médicale ne peut passer outre ce refus sous peine d’être poursuivie. Il convient alors de tout mettre en œuvre pour tenter de convaincre, faire intervenir des tiers, transférer (…) et de tracer tous ces éléments dans le dossier médical. 

Le droit à l’information et le respect du consentement sont aujourd’hui les corollaires du respect de l’intégrité du corps humain, grand principe qui ne connaît que peu d’exception. La nécessité du consentement est devenue la règle. L’exercice de la médecine est devenu moins paternaliste et oblige les soignants à expliquer davantage l’utilité ou les conséquences de chaque traitement ou de leur non-réalisation. Le soignant doit informer, proposer, et parfois négocier et argumenter pour convaincre le patient d’accepter un soin. 

Le soignant est parfois conduit à accepter une décision qu’il estime être un mauvais choix, mais il doit aujourd’hui respecter ce mauvais choix après avoir tout mis en œuvre pour que le patient change d’avis. 

■ Marie Josset-Maillet, avocate