À bord du gynécobus

Depuis presqu’un an, le Gynécobus propose des consultations en gynécologie dans le Var. Déportée de l’hôpital, cette offre itinérante est gratuite pour les femmes et facilite leur accès aux soins. Suivi d’une journée type.

Pour une demi-journée, le Gynécobus stationne à La Verdière, une des 43 communes du Var couvertes par cette offre de soins mobile. © Nour Richard-Guerroudj

« Cest bien ici la consultation ? Je viens pour mon suivi gynécologique. » Il est 9 h 10 en ce matin de juin. Sophia* attend son rendez-vous en plein air, sur le parking de l’office du tourisme de Saint-Julien, petit village du Var de 2000 habitants. « La salle d’attente est atypique », s’amuse-t-elle pendant que l’équipe finit d’installer le Gynécobus. Depuis le 5 septembre 2022, ce cabinet mobile propose des rendez-vous avancés de gynécologie dans 43 communes des territoires de la Provence Verte, une intercommunalité du Var.

UN PROJET DE SANTÉ PUBLIQUE

L’idée naît trois ans plus tôt, en 2018, dans les esprits de Laure Fabre, sage-femme libérale à Rians, et de Gérard Grelet, médecin gynécologue retraité. Tous deux constatent alors les difficultés des patientes à se déplacer ou à obtenir des rendez-vous dans des délais raisonnables. Ils objectivent les carences de soins et les ruptures des parcours médicaux des femmes en recueillant des indicateurs -chiffrés, tout en -analysant les flux de déplacements des patientes. Ils créent l’association Santé pour tous et obtiennent l’appui de l’Agence régionale de santé de Provence-Alpes-Côtes d’Azur. Leur objectif : lever les freins à l’accès aux soins comme l’éloignement, le manque de disponibilité des soignants et les dépassements d’honoraires. Peu à peu, ils parviennent à convaincre des partenaires. 

Le Centre Hospitalier Intercommunal Brignoles – Le Luc (CHIBLL) accepte de porter le projet. Il faut aussi des soutiens politiques. Des élus de Provence verte et de Provence Verdon, une communauté de quinze communes située au sein de l’intercommunalité Provence Verte, ainsi que des députés, des conseillers régionaux et départementaux, des maires et le Préfet du Var s’engagent. Également soutenue par la CPAM, l’idée trouve son modèle d’organisation et de financement. Le projet obtient 92 000 euros de l’ARS et près de 47 000 euros de la région Sud-Provence-Alpes-Côtes-d’Azur. D’autres sources ajoutent leurs deniers : le département, les régions voisines, -l’Europe, la préfecture du Var, l’État (via sa Stratégie nationale de prévention et lutte contre la pauvreté), la Mutuelle sociale agricole, ainsi que plusieurs communautés de communes et l’agglomération du territoire. Des acteurs privés s’engagent aussi, comme le Rotary Club et Terre d’Oc. Au total, 302 000 euros sont disponibles pour financer le projet.

L’équipe du Gynécobus en devenir noue des partenariats avec les Groupements Hospitaliers de Territoire (GHT) du Var et des Bouches-du-Rhône, ainsi qu’avec des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Selon le dossier de presse, « Le Gynécobus n’a pas vocation à faire concurrence aux cabinets existants mais au contraire venir en appui des professionnels de santé qui pourront s’appuyer sur ce dispositif pour orienter leurs patientes ou confirmer leurs diagnostics ». De fait, des médecins des centres hospitaliers du Var et des Bouches-du-Rhône, de même que des libéraux, gynécologues et sages-femmes, s’impliquent. Laure Fabre, devenue coordinatrice du projet, gère désormais les plannings de 22 médecins et 20 sages-femmes, qui alternent par binôme pour assurer les consultations itinérantes quatre jours par semaine. « Les deux professions n’ont pas les mêmes approches et ne vont pas chercher les mêmes choses chez les patientes et le binôme permet de remettre une femme dans un parcours de soins, avec un accès rapide à un spécialiste si nécessaire », estime Laure Fabre. Le véhicule est conçu et équipé comme un cabinet gynécologique, avec du matériel biomédical et -informatique dédié. Floqué du logo « Santé pour elles », le Gynécobus, qui a -davantage l’allure d’un camping-car, sillonne les cinq secteurs de la Provence Verte.


À bord du bus, Sandrine Peiri, sage-femme, Camille Barral, gynécologue et Maëva Selingue, assistante administrative, accueillent les femmes ce jour là.
© Nour Richard-Guerroudj

CONSULTATIONS EN BINÔME

À bord ce jour-là, Camille Barral, gynécologue–obstétricienne, et Sandrine Peiri, sage-femme, constituent le binôme qui va assurer les consultations. La première vient d’Aix-en-Provence, situé à 40 minutes de Brignoles, où stationne le Gynécobus. La seconde arrive d’Istres, située à une heure et demie. Chacune a donc accepté de se déplacer de son domicile à Brignoles, puis de faire la route derrière le bus jusqu’à Saint-Julien. « Ce matin, j’étais debout à 5 heures, témoigne la sage-femme Sandrine Peiri. Je participe au projet environ deux jours par mois. Financièrement, la rémunération de la vacation à 250 euros ne couvre ni la perte d’une journée de consultations à mon cabinet, ni mes frais, ni mon temps de trajet. Mais cela fait partie de mon engagement pour la santé des femmes. » Camille Barral, défrayée au même tarif que la sage-femme, prend des vacations dans le Gynécobus une fois par mois. Pour elle aussi, il s’agit de remplir une mission de service public.

À leurs côtés, Maëva Selingue, salariée du CHIBLL, l’hôpital de Brignoles, assume à la fois la mission de conductrice du bus et les fonctions de secrétariat -administratif. Ce matin, elle était opérationnelle vers 7 h 40. Elle a récupéré les étiquettes d’identification des patientes de la journée, fait le réassort du matériel, vérifié que le bus fonctionne correctement, avant de retrouver le binôme soignant du jour. Comme les professionnels de santé alternent, le « pilier » du bus, c’est elle. La salariée met de l’huile dans les rouages. Elle n’oublie pas les petits détails pratiques, comme l’achat d’enveloppes ou de boites de rangement, pris sur ses deniers personnels, pour mieux organiser le mini-secrétariat du bus. « Nous aurions encore besoin de rangements et de crochets pour que les dames puissent suspendre leur sac à l’entrée », signale-t-elle. C’est elle aussi qui anticipe les pleins de carburant et le remplissage de la citerne d’eau. Ce matin, elle termine de raccorder le véhicule à une prise électrique de l’Office du tourisme de Saint-Julien, en accord avec la municipalité. Les fois précédentes, la rallonge surchauffait sous la chaleur du soleil, entrainant des coupures de climatisation et de réfrigération. Cette fois, elle a pu récupérer une rallonge résistante aux fortes chaleurs auprès des services techniques de l’hôpital de Brignoles. 

Dans le bus, les soignantes détachent de leurs accroches sécurisées les meubles de l’espace de consultation et installent la salle d’examen : la matinée de consultation peut débuter. Dans un premier espace dédié, Sophia est invitée à s’asseoir sur un petit tabouret. L’exiguïté du lieu permet tout de même aux deux praticiennes d’être assises côte à côte, de prendre des notes sur un bout de table. La salle dispose aussi d’un lavabo, d’un mini-frigo, d’espaces de rangement et d’un photocopieur. Maëva Selingue reste debout. Elle récupère les cartes vitale et de mutuelle ainsi que la pièce d’identité des patientes, qu’elle photocopie pour compléter chaque dossier. Les informations seront saisies par la suite au secrétariat de gynécologie de l’hôpital de Brignoles. 

Après s’être présentées, Camille Barral et Sandrine Peiri passent à l’anamnèse pour faire un bilan gynécologique global. Sophia, sans antécédent notable, est venue pour un frottis de suivi. Invitée à ôter ses chaussures, elle passe en salle d’examen avec Camille Barral. « Selon les situations, nous examinons la femme seule ou à deux, raconte Sandrine Peiri. Nous sommes complémentaires, d’autant que je ne suis pas formée à l’échographie. » Avant de repartir, Sophia est informée par Maëva qu’elle recevra les résultats du frottis par le biais de l’hôpital de Brignoles. Elle sera recontactée en cas de souci.


Maëva Selingue, au volant du bus quatre jours par semaine, est l’un des piliers opérationnels du projet.
© Nour Richard-Guerroudj

OFFRE DE PROXIMITÉ

Vient le tour de Marie*. Installée à Saint-Julien depuis deux ans, la jeune femme exerce en télétravail. C’est la première fois qu’elle s’adresse au Gynécobus, qu’elle a connu à la fois par son médecin traitant et le réseau social du village. « Il y avait 18 mois d’attente pour une consultation de gynécologie à Aix-en-Provence, dit-elle. Là, je me suis inscrite en quelques clics sur Doctolib il y a un mois seulement. Et je suis à 5 minutes à pied. » Marie n’a pas eu d’examen gynécologique depuis dix ans et prend la même contraception orale depuis ses 18 ans. Elle n’a pas d’enfant. L’équipe du Gynécobus lui propose une échographie et un frottis. « Combien je vous dois ? », demande Marie à l’issu de la consultation. « Rien, la rassure Maëva Selingue. Comme pour une consultation à l’hôpital, tout est pris en charge. » Plusieurs patientes poseront la question dans la journée, appréciant de n’avoir rien à débourser.

Les consultations s’enchainent. De 9 h à midi, à raison de vingt minutes par patiente en moyenne, l’équipe accueille les 9 femmes qui avaient rendez-vous à Saint-Julien. Lila* expérimente son deuxième rendez-vous au sein du cabinet mobile, pour la mise en place de sa contraception par DIU. « Cela ne me gêne pas que l’équipe ne soit pas la même que lors de mon premier rendez-vous », dit-elle. Josiane, 67 ans, vient pour son suivi. Son gynécologue habituel a pris sa retraite et cela fait deux ans qu’elle n’a « vu personne ». Plusieurs femmes connaissent cette même situation. Toutes sont ravies de cette offre de proximité qui leur évite de longs trajets en voiture pour rejoindre un rare professionnel de santé toujours surchargé dans ce désert médical.

« La matinée à Saint-Julien s’est bien passée, toutes les femmes se sont présentées et nous avons rattrapé le retard que nous avions en arrivant », conclut Maëva en désinstallant le bus à la mi-journée. Garante des trajets, elle veille au respect du timing. Les consultations à Saint-Julien à peine terminées, le temps d’acheter un casse-croute à la boulangerie du coin, le Gynécobus part passer l’après-midi à La Verdière. Camille Barral et Sandrine Peiri suivent, chacune dans sa voiture. 

La Verdière est toute proche, à un quart d’heure de Saint-Julien. Le Gynécobus se gare sur le parking du centre municipal de santé et s’y raccorde à l’électricité. Ce jour-là, l’équipe a le temps de faire une pause déjeuner, assortie du café nécessaire pour tenir. Les patientes n’arrivent qu’à partir de 13 h. 

Dalia*, 22 ans, se présente en avance, comme demandé lors de sa prise de rendez-vous. « J’ai entendu parler du Gynécobus par bouche-à-oreille, explique-t-elle. Une copine avait un truc grave, le Gynécobus est le seul qui l’a repéré. Je travaille à La Verdière et j’habite à moins de dix minutes en voiture. J’ai pris rendez-vous facilement il y a un mois via Doctolib. C’est ma première fois chez le gynécologue. » Jusqu’ici, son généraliste lui prescrivait sa contraception orale. Là, elle a besoin de faire un point en raison d’une mycose récidivante. Camille Barral et Sandrine Peiri l’interrogent sur son statut vaccinal par rapport au HPV. La jeune femme n’est pas sûre d’avoir été vaccinée. Les deux soignantes lui proposent de réaliser son tout premier examen vaginal et de pratiquer un prélèvement. « En fonction du résultat, une ordonnance vous sera adressée par courrier », ajoute Maëva à la fin de la consultation. « Elles ont été douces et rassurantes », commentera Dalia avec un grand sourire, en repartant.

Les patientes suivantes ont aussi connu le bus par bouche-à-oreille, par une amie ou grâce au pharmacien. Les médias locaux et les professionnels de santé de la région ont été bien impliqués depuis le démarrage du projet pour relayer l’information. Quant aux inscriptions, elles se font via la fameuse plateforme en ligne ou en contactant le secrétariat du service de gynécologie de l’hôpital de Brignoles. Cet après-midi, seule une femme est venue pour rien, pensant être inscrite alors qu’elle avait mal confirmé son rendez-vous sur Internet. Le Gynécobus ne propose pas de créneau d’urgence : l’essentiel de l’activité se fait sur rendez-vous.

L’équipe fournit toute la panoplie des actes de gynécologie – bilan des infections sexuellement -transmissibles, échographie, contraception, vaccination… -, à l’exception de l’IVG médicamenteuse. « Pour les IVG, les femmes sont adressées au praticien le plus proche, car cela nécessite un suivi de proximité », confirme Laure Fabre, coordinatrice du Gynécobus. Camille Barral et Sandrine Peiri n’interrogent pas systématiquement les femmes sur leurs antécédents de violence. « Il est plus facile de poser la question à une patiente que l’on connait et que l’on voit régulièrement, pas au premier rendez-vous, témoigne la gynécologue. Dans le bus, nous posons la question si nous avons des signes d’appel. Cela nous est arrivé plusieurs fois d’en dépister et d’orienter les femmes. » Outre les 43 communes où le bus est accueilli, l’équipe se rend régulièrement auprès des structures médico-sociales du territoire. Il s’agit de proposer des consultations aux femmes en situation de handicap, car selon l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes), une femme handicapée sur trois n’est pas dépistée pour le cancer du col. Le bus dispose d’une rampe d’accès rétractable située à l’arrière, permettant l’accès en fauteuil roulant. Pour expliquer la consultation aux patientes et les rassurer, des pictogrammes ont été créés, en collaboration avec la psychologue du Foyer d’accueil médicalisé La Route d’Espigoule, situé à Ginasservis. Avec près de 300 patientes reçues par mois au sein du bus, soit le double de ce qui était prévu initialement, le projet a bien rencontré son public et répond aux besoins.

Le ballet entre les trois professionnelles du Gynécobus est rodé, les patientes se succèdent. Giselle*, 76 ans, orientée par son généraliste, se plaint de douleurs et de saignements depuis un mois. Une échographie et un test HPV lui sont proposés. Ils seront réalisés sur place. Suite à l’examen, Camille Barral fixe sans attendre un rendez-vous pour une hystéroscopie dans la clinique de l’Étoile où elle exerce, à Aix-en-Provence. La dernière et douzième patiente de l’après-midi a 22 ans. Elle vient pour son premier examen. Elle repart avec une ordonnance pour une prise de sang et le renouvellement de sa pilule. À 17 h, la journée est finie pour les soignantes. Elles reprennent leur longue route pour rentrer chez elles, après avoir aidé Maëva à ranger le bus. 


Le Gynécobus dispose d’une salle d’examen gynécologique équipée d’un échographe.
© Nour Richard-Guerroudj

AU SERVICE DES FEMMES

Pour la jeune femme, la journée n’est pas terminée. Elle doit ramener le gros véhicule au CHIBLL, à Brignoles. De retour vers 18 h, il faut encore déposer les dossiers du jour en maternité, mettre les pinces de Pozzi à stériliser, avant de passer au laboratoire. Après comptage et vérification des prélèvements, elle les confie pour analyse. Elle récupère aussi les résultats des jours passés puis les dépose sur le bureau de Laure Fabre. La coordinatrice du Gynécobus centralise les dossiers et assure le  suivi, au sein d’un guichet unique. Enfin, Maëva Selingue prépare le matériel pour la tournée du lendemain. Très investie dans ses missions, elle résume l’esprit qui règne à bord : « Nous sommes comme une petite famille qui travaille dans l’intérêt des femmes » ν

* Prénom modifié

■ Par Nour Richard-Guerroudj