Le jeudi 6 avril 2017, il y a six ans à peine, la Cour européenne des droits de l’homme condamnait la France. Motif : pour un changement de la mention de sexe à l’état civil, l’État obligeait les personnes à subir une opération chirurgicale ou un traitement de stérilisation. Pour la Cour, il s’agissait d’une violation du droit au respect de la vie privée. Une violation d’autant plus grave que les autorités sanitaires imposaient un parcours hallucinant avant d’autoriser ce type d’intervention. Quelques mois auparavant, en octobre 2016, la France, très à la traîne sur le sujet, avait senti le vent tourner. Sa loi Justice du XXIe siècle, adoptée depuis cette date, déclare que « toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification ». Et selon cette loi, l’identité de genre est devenue un critère de discrimination prohibé. Si le législateur a cessé de scruter l’intérieur de la culotte des personnes transgenres (voir lexique p. 24), la société tout entière le leur rappelle sans cesse. Un comportement déplacé à l’origine de nombreux actes de discrimination, souvent violents. Mais il est tout de même des situations où il est nécessaire de s’y intéresser. En effet, comme tout le monde, les personnes transgenres ont le droit d’avoir accès aux soins de santé sexuelle et – depuis cette fameuse loi de 2016 – reproductive. Spécialistes de premier recours, les sages-femmes sont donc en première ligne. Elles le sont d’autant plus que depuis janvier 2022, l’OMS a dépsychiatrisé la transidentité, transférant « l’incongruence de genre », selon une mauvaise traduction, du chapitre des affections psychiatriques vers celui de la santé sexuelle.
D’ailleurs, les adresses des cabinets de certaines sages-femmes circulent au sein de la communauté. Bienveillantes et informées, ces trop rares professionnelles accueillent surtout des hommes transgenres. Autrement dit, des hommes qui ont été « assignés filles à la naissance », explique Lou Poll, sage-femme libérale à Toulouse, lui-même personne transmasculine. « On peut aussi parler de personnes non binaires ou d’hommes trans, poursuit-il. Le lexique est varié pour nommer toutes les personnes qui sont sur le spectre du genre et qui ont été assignées femmes à la naissance, mais qui ne sont pas des femmes cisgenres. Ces termes évoluent énormément ces dernières années. Je crois qu’on est encore en train de chercher les termes appropriés. »
COMMUNAUTÉ TRANSMASCULINE
Pédagogue, Anaïs Perrin-Prevelle est coprésidente de l’association Outrans. « Il faut bien faire la différence entre le sexe, qui est physique, physiologique et parfois légal ; le genre, qui est sociétal – la façon dont on se ressent, dont on s’identifie en société – ; et la sexualité – par qui on est attiré, quelles pratiques on peut avoir -, explique-t-elle. Quand on parle de transidentité, on ne parle que du genre. Et le genre est indépendant du sexe. Il n’est qu’une construction sociale. Une personne transgenre vit ou se vit dans un genre différent de celui qui lui a été assigné à la naissance, indépendamment de son corps. Le terme “trans” est d’ailleurs tout à fait adapté puisqu’étymologiquement, il signifie “aller au-delà de son état initial”, comme dans les mots transport, transatlantique, transplanter, etc. La transidentité, ce n’est pas “être de l’autre genre”, c’est se sentir dans un genre différent de celui que l’on nous a assigné. Ce n’est pas la même chose. » Reste que toutes les personnes transmasculines peuvent rencontrer une sage-femme, sauf peut-être les hommes trans qui ont subi une hystérectomie avec ablation du vagin accompagnée de la création d’un pénis et de testicules, « mais ces cas constituent une infime minorité », précise Lou Poll.
Ainsi, de très nombreux hommes trans portent encore vagin, utérus et ovaires, tous organes bien connus des sages-femmes. Ces derniers peuvent cependant avoir été modifiés, par chirurgie ou sous l’action de la testostérone avec laquelle se supplémentent de nombreux hommes trans. En plus de provoquer l’apparition de caractères sexuels secondaires masculins – une pilosité faciale, une voix qui mue, une nouvelle répartition des graisses… -, la testostérone fait grossir le clitoris, que les intéressés appellent alors dicklit. « En tant que sage-femme, on peut tout à fait recevoir des personnes qui ont subi une métaïdoïplastie, une intervention chirurgicale au cours de laquelle on découvre le capuchon du clitoris pour allonger le dicklit, précise Lou Poll. Les sages-femmes peuvent aussi recevoir des personnes trans avec une hystérectomie, mais ayant conservé leur vagin et plus ou moins le col de l’utérus. » Pour accompagner une hormonothérapie masculinisante, encore que ce n’est pas obligatoire, les -personnes transmasculines peuvent donc avoir recours à diverses chirurgies, mastectomie (que les intéressés appellent plus volontiers torsoplastie) en tête. Certaines interventions sont réalisées dans un but purement personnel, pour mieux vivre avec son corps, de la même manière que d’autres se font refaire le nez, les fesses ou les seins. « La frontière est encore floue entre ce que les personnes choisissent de faire uniquement pour se sentir bien dans leur corps et ce qu’elles font pour survivre socialement, avec un peu plus de confort, et résister aux attentes sociales qui ne cessent de juger ce qu’il y a dans leurs sous-vêtements », estime Lou Poll.
POURQUOI ACCUEILLIR LES PERSONNES TRANS ?
« Avant tout, parce que c’est la loi ! », répond Lou Poll, sage-femme libérale à Toulouse et lui-même membre de la communauté trans. « La transidentité est légale. Tout comme l’homosexualité. Pour un professionnel de santé, le fait de ne pas considérer les personnes trans est donc une faute médicale, un manquement à sa responsabilité professionnelle. Ne pas recevoir les personnes trans, ne pas les soigner correctement est une discrimination. Par exemple, on ne se dirait pas qu’on va orienter vers des spécialistes musulmans les femmes voilées parce qu’on n’est pas à l’aise et qu’on refuse de les recevoir en consultation ! Ces dernières années, on commence à penser que la façon dont on traite les personnes trans n’est plus acceptable. Jusqu’à récemment, les professionnels de santé avaient tendance à considérer comme une question de sensibilité personnelle le fait de bien accueillir des personnes de la communauté LGBT dans leurs cabinets. Or, selon le Code de déontologie ou le Code pénal, nous n’avons pas le droit de faire de la discrimination en fonction de l’ethnie, de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre. L’accueil des personnes trans n’est donc pas accessoire. Il relève du droit humain fondamental. En outre, les personnes trans ne sont pas des éléments qui flottent en apesanteur entre les psychiatres et les endocrinologues. Ce sont des personnes réelles qui ont les mêmes problèmes et les mêmes enjeux en termes de santé sexuelle que tout un chacun. C’est notre voisin, notre collègue. Souvent, on ne sait d’ailleurs pas qu’ils ou elles sont trans. La base de notre métier de sage-femme est la santé de premier recours, le fait de répondre à tout le monde sans discrimination et le fait d’améliorer la qualité de vie des personnes dans le respect de la physiologie. Quand on arrête de pathologiser la transidentité, que ce soit en termes d’identité de genre ou en termes de parcours médical – qui ne sont souvent pas grand-chose –, les sages-femmes disposent déjà de toutes les compétences nécessaires. Il y a finalement assez peu d’interactions médicamenteuses avec la testostérone à connaître. Et nous avons déjà l’habitude d’accompagner des personnes qui ont subi une hystérectomie ou une ablation des seins, après un cancer ou autre. Face à une jeune personne en questionnement, nous savons aussi déjà recevoir des mineures dans le secret vis-à-vis de leurs parents. Tout cela fait déjà partie de nos pratiques. Donc les sages-femmes ont toutes les compétences, en plus d’avoir été formées à une qualité d’écoute, à l’empathie, à une prise en charge globale des personnes. C’est aussi pour cela que de nombreuses personnes trans se tournent vers les sages-femmes. Pour les accueillir correctement, il suffit donc de comprendre les enjeux et de connaître les quelques recommandations médicales en vigueur. Ce n’est pas difficile. »
DES BESOINS IMPORTANTS
Comme les femmes cis, les hommes trans ont donc besoin d’un suivi gynécologique : dépistage des cancers, des IST, déséquilibres de la flore vaginale, questions de sexualité, traitement d’une sécheresse ou de dyspareunies, douleurs de règles, etc. Les besoins en contraception sont également importants, tout comme le recours aux IVG. « Attention à l’amalgame qui est souvent fait selon lequel les personnes transmasculines n’auraient pas de rapports pénétratifs intravaginaux, alerte Lou Poll. C’est faux pour beaucoup d’entre elles et cela n’a rien à voir avec l’identité de genre. » En outre, si la testostérone peut interrompre les règles, elle n’empêche pas l’ovulation. Pour les hommes trans qui ont des rapports avec des hommes cis, « il y a un vrai risque de grossesse, même quand la personne est sous testostérone », renchérit Céline Puill, sage-femme libérale au Havre, qui a tenu une consultation de gynécologie à destination des personnes lesbiennes ou trans au Checkpoint Paris, une antenne communautaire d’un Cegidd. « Plusieurs idées reçues circulent sur les hommes trans, y compris dans leur propre communauté, poursuit-elle. La plupart sont fausses. Ainsi, la testostérone n’est pas un traitement miracle contre l’endométriose et les tests de grossesse sont bien valides, même quand ils sont utilisés par des hommes trans sous testostérone. Ces derniers ont aussi de nombreuses questions sur le cancer ou l’atrophie des ovaires. À priori, sous testostérone, il risque d’y avoir une atrophie du vagin, mais pas des ovaires, qui peuvent au contraire développer un aspect polykystique à l’échographie. En tant que sages-femmes, nous avons vraiment toute notre place pour répondre à ces questions. » Certaines professionnelles s’inquiètent de leur ignorance à propos des effets de la testostérone, de son interaction avec les contraceptifs, de son effet sur la fertilité. « Mais en tant que sages-femmes, nous sommes habitués à suivre des personnes sous traitement hormonal, antidiabétique ou Lévothyrox par exemple, rappelle Lou Poll. Les interactions entre la testostérone et d’autres traitements ne sont pas si nombreuses, moindres que certains traitements que nous avons l’habitude de prendre en compte. »
RECEVOIR DES FEMMES TRANS EN CONSULTATION
Plus exceptionnellement, les sages-femmes pourraient accueillir en consultation des femmes trans. Lorsqu’elles ont subi une chirurgie génitale, ces dernières peuvent avoir besoin d’un soutien en rééducation périnéale. « Globalement, trois techniques existent, explique Anaïs Perrin-Prévelle. Pour celle du retournement pénien, on inverse le tube pénien qui devient l’intérieur du vagin. La technique basée sur une reprise du sigmoïde revient à prélever l’extrémité du gros intestin ensuite utilisée pour fabriquer l’intérieur du néovagin, qui comprend alors une muqueuse qui produit un mucus permanent. Plus récente, la troisième technique repose sur l’utilisation du péritoine. Ici aussi, il s’agit d’une muqueuse qui sécrètera une flore qu’il faudra suivre. En outre, et encore plus dans le cadre de la technique du retournement pénien qui donne un néovagin sans muqueuse, il y a un risque que les parois se “recollent” entre elles. Pour l’éviter, on doit régulièrement faire des dilatations. Les sages-femmes sont sans doute les professionnelles les plus compétentes pour le faire. Ce besoin des femmes trans est de plus en plus important. Après l’intervention chirurgicale, cela peut être intéressant de pouvoir être accompagnée par quelqu’un qui a l’habitude de pratiquer ces dilatations. On sait qu’avec des bougies de dilatation, on peut rattraper des néovagins qui ont été fermés. »
ATTENTION AUX ÉCUEILS
Quand une sage-femme reçoit un homme trans, ses limites de compétences sont les mêmes que pour une femme cis. « L’identité de genre en soi n’a aucun impact sur les suivis que nous pouvons faire, mais nos suivis ne sont pas prévus pour les personnes trans, précise Lou Poll. La façon d’organiser les rendez-vous, le vocabulaire utilisé : la plupart du temps, tout est complètement axé sur l’accueil des femmes cis-hétérosexuelles. Du coup, nous avons besoin de reconstruire nos anamnèses, notre rapport au corps, notre façon de nommer. » En plus de veiller à l’accueil des personnes trans – plusieurs associations proposent de rapides formations sur le sujet – il faudra se méfier de deux écueils principaux. Le premier consiste à considérer que la plupart des problèmes de la personne viennent de sa transidentité. « Par exemple, quand une femme cis se plaint de dyspareunies, on va en chercher l’origine, alors que pour un homme trans, le raccourci le plus fréquent sera de penser qu’il n’aime pas la pénétration vaginale parce que c’est un homme, illustre Lou Poll. Autre exemple : si la personne transmasculine vient avec des douleurs de règles, on va se demander si c’est parce que, dans l’imaginaire dominant, un homme ne doit pas avoir de règles, plutôt que de rechercher une endométriose. Nos constructions sociales influencent nos pratiques médicales et notre arborescence diagnostique. Nos stéréotypes sociaux nous aveuglent. Ils nous font oublier le caractère professionnel et médical de notre métier, si bien qu’on peut se retrouver démuni dans ses capacités de soins. » Les rares sages-femmes qui connaissent le sujet se sont formées seules, au prix de grands moments de solitude, d’un temps et d’une énergie considérables. « Il ne suffit pas de bien genrer quelqu’un et d’être gentil pour recevoir des personnes trans, même si c’est indispensable et que j’ai commencé comme ça, témoigne Céline Puill. À chaque nouvelle consultation, j’étais confrontée à de nouvelles questions. Tel symptôme peut-il s’expliquer par une prise de testostérone ? Quelles peuvent être les autres causes ? Les patients trans m’ont forcée à revoir toute la gynécologie. Depuis, je prends mieux en charge toutes les personnes, y compris d’un point de vue purement médical. » Lou Poll confirme : « Les professionnels qui se sont formés à l’accueil des personnes trans racontent souvent que cela a amélioré tous leurs suivis, en décloisonnant aussi les femmes cis-hétérosexuelles d’une normalité dominante parfois pesante, en ne considérant par exemple qu’un type de sexualité exclusive et pénétrative. Toutes les questions avec une imbrication médicale et sociale peuvent être revues, y compris pour les femmes cis-hétérosexuelles : le rapport à la contraception, les consentements, la pudeur, savoir comment les personnes sont à l’aise avec leur corps, etc. Les stéréotypes ne font de bien à personne, que l’on soit cis ou trans. »
TRANSPHOBIE
Le second écueil tient aux enjeux liés à la transidentité et aux spécificités socio-économiques de la population trans. « Cela n’a rien à voir avec la transidentité, mais vient de la transphobie générale, explique Lou Poll. Ces personnes sont souvent exclues de leur famille, précarisées, avec des difficultés d’accès à l’emploi et aux soins. Le risque de suicide est beaucoup plus élevé à cause des violences subies. Il faut en tenir compte dans nos prises en charge. Dans notre société cis-normative et transphobe, nous devons donc nous former un peu plus que ce que l’on nous a appris à l’école de sages-femmes. » Selon une revue de littérature menée par la sage-femme Maurane Coudert, qui présentait un mémoire de fin d’études à l’école de Clermont-Ferrand en 2022, 8 personnes trans sur 10 ont été victimes de discrimination. Dans les quelques pays où des enquêtes ont été menées, 1 personne sur 5 s’est sentie discriminée par le personnel social ou médical. Presque la moitié des personnes ont subi des violences physiques au cours de leur vie, 40 % des violences sexuelles. Les conséquences sont inéluctables : mauvaise estime de soi, dépression (pour une grosse moitié), anxiété, tentatives de suicide (pour un quart), syndrome de stress post-traumatique, usage de substances psychoactives. À peine plus de la moitié avaient un emploi, et moins de la moitié étaient sans domicile fixe.
UNE ÉPIDÉMIE D’ENFANTS TRANS ?
Les personnes trans sont de plus en plus visibles dans l’espace social. Y aurait-il une mode ? Une épidémie ? Certains médias et personnalités dénoncent ce phénomène. Ils s’inquiètent notamment d’une surreprésentation de garçons trans, autrement dit des enfants assignés filles à la naissance qui expriment un genre masculin. Leur analyse est un peu courte. Ils oublient en effet le biais de l’âge, comme le rappelle Anaïs Perrin-Prevelle, coprésidente de l’association Outrans : « Si l’on ne tient pas compte de l’âge, il y a à peu près autant de femmes trans que d’hommes trans dans la population générale. Mais quand on tient compte de ce facteur, les personnes se répartissent différemment en fonction de l’âge. Avant la puberté, si un enfant assigné fille à la naissance dit qu’il veut avoir les cheveux courts et jouer au football, on va seulement penser que c’est un garçon manqué et ce n’est pas un drame. À l’inverse, on va emmener chez un psy un enfant assigné garçon à la naissance qui déclare vouloir être une princesse avec les ongles peints et des cheveux longs. Ainsi, la société visibilise davantage les enfants trans assignés garçons à la naissance. Au moment de la puberté, le phénomène s’inverse, la puberté féminine étant plus précoce que la puberté masculine. Et les éléments qui sont gênants pour une personne trans, comme l’arrivée des règles et la pousse de la poitrine, arrivent tôt dans la puberté, en plus d’être douloureux. Pour les personnes trans assignées garçons à la naissance, c’est la mue de la voix qui est compliquée. Or, cet élément arrive plus tardivement au moment de la puberté. Il en va de même pour la pilosité faciale, qui arrive encore plus tard. Les éléments déclencheurs d’une prise de conscience trans sont beaucoup plus tardifs dans le cadre d’une puberté masculine par rapport à une puberté féminine. Donc, les personnes trans qui vont se signaler auprès de services médicaux auront autour de 12 ans pour les personnes transmasculines et plutôt autour de 16 ans pour les personnes transféminines. Plus tard, une nouvelle inversion va se produire, avec l’apparition d’un autre élément sociétal : il est plus facile de sortir d’une situation d’oppression que d’une situation de privilège. Quand on est assigné garçon à la naissance, mais qu’on se sent fille ou femme, le mouvement est d’autant plus difficile que tous les attributs féminins sont globalement dévalorisés par la société. Les chiffres du registre national belge – en Belgique, depuis 2018, on peut faire un changement de la mention de sexe à l’état civil sur simple déclaration –, montrent qu’entre 2019 et 2022, il y a 50 % de personnes transféminines et 50 % de personnes transmasculines. Par contre, l’âge moyen diffère : il est de 26 ans pour les personnes transmasculines, contre 35 ans pour les personnes transféminines. Cet écart de neuf ans est réel. Il est lié à la puberté, à la société, au patriarcat et à toutes les oppressions. »
En plus de devoir se former à ces enjeux, les sages-femmes doivent apprendre l’interaction des chirurgies et des traitements hormonaux avec les contraceptifs, l’équilibre de la flore, la sexualité, les douleurs pelviennes qui peuvent survenir après plusieurs années sous testostérone, etc. « Tout comme les sages-femmes se forment sur la ménopause, le SOPK ou l’endométriose », souligne Lou Poll. Pour l’heure, les choix de formation restent limités. En collaboration avec l’association Acceptess-t, Lou Poll a mis sur pied un programme de trois jours spécifiquement destiné aux sages-femmes. Il est proposé par Medic Formation. De son côté, Céline Puill intervient dans le cadre de l’unique DU destiné aux professionnels médicaux, à Sorbonne Université. Elle s’apprête également à proposer un programme avec l’ANSFL. Créé en Bretagne en 2018, le Réseau de santé trans associe des professionnels de santé, des personnes trans, des associations. Depuis 2021, il s’est développé sur d’autres régions. En plus de proposer une charte commune et une formation de quelques heures sur l’hormonothérapie, la structure lutte contre l’isolement des professionnels. « Aujourd’hui, 170 professionnels de santé situés partout en France, essentiellement des généralistes, ont été formés, explique Anaïs Perrin-Prevelle, coprésidente d’Outrans. Quand l’un d’eux a une question, ils sont 169, en plus des formateurs, à pouvoir lui répondre via le réseau. Ceux qui ne répondent pas voient passer les échanges et continuent donc de se former. Tout le monde est réuni au sein du même réseau. » Il y a urgence. « Sur Paris et la région parisienne, il y a environ 10 000 médecins généralistes. Seulement une -trentaine accepte de prendre en charge les personnes trans, d’après les informations que nous avons, toutes associations confondues, poursuit la militante. Pour identifier de nouveaux spécialistes à conseiller, nous avons récemment appelé soixante endocrinologues sur Paris et la région parisienne. Seuls cinq d’entre eux acceptent de recevoir des personnes trans. Les autres nous ont dit qu’ils n’y connaissaient rien en hormones, ce qui est quand même un peu embêtant quand on est endocrinologue ! » Elle participe aussi à un groupe de travail de la Haute Autorité de santé sur les parcours de transition. L’instance devrait rendre ses conclusions dans un an ou deux. Il y a peu de chances que le suivi gynécologique des personnes transmasculines y soit abordé. Les très rares estimations quantifient pourtant le nombre de personnes trans à au moins 1 % de la population.
LEXIQUE POUR DÉBUTER
Sexe : Particularité physique qui associe des organes génitaux mâles ou femelles et des caractères sexuels secondaires mâles ou femelles à une personne. On reconnaît usuellement l’existence de deux sexes, mâle et femelle, mais la biologie montre un continuum entre les deux, avec une grande variété anatomique, biologique, physiologique, chromosomique, etc.
C’est aussi une mention légale à l’état civil, qui ne reconnaît aujourd’hui en France que l’existence de deux sexes, masculin ou féminin.
Genre : système d’organisation sociale qui se focalise sur le sexe pour hiérarchiser les personnes. L’identité de genre est l’expression sociale d’une façon d’être, qui n’a donc rien à voir avec les organes génitaux. Les identités de genre ont toujours évolué avec l’histoire. Aujourd’hui, les femmes ont le droit de travailler, de voter et de porter des pantalons.
Sexualité : ensemble de pratiques et de préférences sexuelles. L’orientation sexuelle d’une personne n’a rien à voir avec son genre. On peut être transgenre tout en étant hétérosexuel, homosexuel, bisexuel ou autre, comme pour les personnes cisgenres. Ainsi, un homme transgenre peut avoir des rapports sexuels avec d’autres hommes. Ses pratiques sexuelles peuvent donc comporter les mêmes risques de grossesse ou d’IST que les rapports hétérosexuels entre une femme et un homme cisgenres.
Personne transgenre ou trans : personne qui ne se vit pas en accord avec le genre qu’on lui a assigné à la naissance.
Homme transgenre ou trans : personne assignée fille à la naissance qui se perçoit de genre masculin.
Femme transgenre ou trans : personne assignée garçon à la naissance qui se perçoit de genre féminin.
Femme ou homme cisgenre ou cis : personne dont le sexe et le genre assigné à la naissance sont en accord, par opposition aux personnes transgenres.
Personne non binaire : personne qui ne se reconnaît ni dans un genre ni dans l’autre ou souhaite exprimer les deux genres selon les moments.
Personne transmasculine : personne qui a entamé une transition masculinisante. Il peut s’agir d’un homme trans ou d’une personne non binaire. Les médecins emploient parfois le terme FtM, pour Female-to-male.
Transition de genre : ensemble des processus que suivent les personnes transgenres pour se sentir mieux dans leur genre. Ils peuvent être sociétaux (changer de prénom et de pronoms, s’habiller et se coiffer autrement), administratifs (à l’état civil, la CPAM) ou médicaux (hormonaux, chirurgicaux). Chaque parcours de transition est unique. Il n’y a ni étape obligatoire ni ordre préétabli. Des personnes transgenres, même après avoir obtenu une mention de changement de sexe à l’état civil, peuvent conserver leurs organes génitaux initiaux.
Mégenrer, mégenrage : Désigner une personne par un genre dans lequel elle ne se reconnaît pas, en utilisant un pronom ou des accords que la personne elle-même n’utilise pas. L’erreur est humaine, mais quand elle est volontaire ou outrageusement répétée, il s’agit d’un acte de transphobie.
Transphobie : Discrimination d’une personne trans. La transphobie est extrêmement répandue. Elle peut aller du harcèlement et des insultes jusqu’à des violences si graves qu’elles peuvent conduire à la mort.
Pour aller plus loin :
- Rapport relatif à la santé et aux parcours de soins des personnes trans, remis au ministre de la Santé en janvier (2022) https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/284386.pdf
- Nombreuses ressources associatives :
- Plateforme d’informations pour les jeunes trans ou en questionnement, réalisée par des associations en collaboration avec l’AP-HP : https://trajectoiresjeunestrans.fr
- DU de prise en charge de la transidentité à Sorbonne Université
https://fc.sorbonne-universite.fr/nos-offres/prise-en-charge-de-la-transidentite/
- Formation « Santé sexuelle et reproductive des personnes transgenres et non binaires : Savoir accueillir et soigner dans son quotidien de sage-femme », Medic Formation. Deux sessions prévues en décembre 2023 et avril 2024 :
https://medicformation.fr/formations/sante-sexuelle-et-reproductive-des-personnes-transgenres-et-non-binaires-q271-1/
- Podcast Transgenre, réalisé par Romain Desgrand, en 6 épisodes de 20 min à 30 min parus entre octobre 2022 et février 2023 : https://shows.acast.com/transgenre
- Réseau d’associations et de professionnels de santé :
https://reseausantetrans.fr