Dans les Drom, une santé périnatale dégradée

En parallèle de l’ENP 2021 classique, Santé publique France a pour la première fois développé un volet ultramarin. Les résultats viennent d’être rendus publics pour la Réunion, la Guadeloupe et la Martinique. Ils éclairent plus finement une santé périnatale globalement dégradée, si on la compare aux résultats obtenus en métropole.

Pour la première fois, l’Enquête nationale périnatale (ENP) s’est doublée d’un volet spécifiquement consacré aux départements d’Outre-mer (Drom). Ce n’est pas du luxe. Les indicateurs de périnatalité y sont en effet globalement plus défavorables. Les autorités sanitaires, les scientifiques et les soignants disposent enfin de données solides pour comprendre et envisager des pistes afin d’améliorer la santé maternelle et néonatale dans ces régions. Comme pour l’ENP 2021, l’étude portant sur les Drom, et menée en parallèle de l’ENP générale, a permis de constituer des cohortes de 800 à 1000 naissance par département. Les femmes ont été interrogées à la maternité, puis 2 mois après leur accouchement. Avoir mené ces études en parallèle et avoir collecté les données de la même manière permet leur comparaison avec celles obtenues en métropole. Si les résultats de l’ENP 2021 sont connus depuis l’automne -dernier (octobre 2022), ceux consacrés aux Drom se sont fait attendre. Santé publique France a diffusé fin juin les données à propos de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Réunion. « Les rapports concernant Mayotte et la Guyane seront publiés ultérieurement », annonce l’institution.

Des facteurs de risques plus nombreux

Globalement, en Guadeloupe, en Martinique et à la Réunion, les femmes sont plus pauvres, plus jeunes, moins éduquées et moins bien couvertes qu’en métropole. La précarité y est plus importante. Sur ces trois îles, la part des ménages déclarant un revenu mensuel inférieur à 1 000 euros net était comprise entre 25 % et plus de 33 %, contre 7,5 % dans l’Hexagone. En Martinique, le taux de femmes sans couverture sociale en début de grossesse est quatre fois plus élevé qu’en France hexagonale (4 % versus 1 %). Le taux de femmes sans couverture maladie complémentaire est quant à lui deux fois supérieur à celui observé en France hexagonale (13,4 % versus 7 %). Autre facteur de risque notable avant la grossesse : la proportion de femmes souffrant d’obésité est plus importante, entre 22,1 % et 24,9 %, contre 14,4 % en métropole. Le niveau d’études des femmes est également inférieur dans les Drom. En Guadeloupe, plus de la moitié des femmes (54 %) avaient un niveau d’études inférieur ou équivalent au baccalauréat, contre plus de 60 % à la Réunion et 40,5 % dans l’Hexagone. En Martinique, la situation est un peu différente. Le niveau d’études des femmes ne cesse d’augmenter. Courant 2021, 54 % des femmes enceintes avaient un niveau supérieur au baccalauréat et 16 % un niveau bac + 5 ou plus (contre 22 % en France hexagonale). En conséquence, les martiniquaises accouchent plus tardivement : l’âge moyen des mères à l’accouchement est de 31 ans (contre 30,9 en métropole). En parallèle, la Martinique est aussi le territoire des Antilles françaises où la proportion des femmes âgées de 15 à 24 ans venant accoucher est la plus élevée : 20,4 %, contre 14,5 % en Guadeloupe. Il faut dire que la contraception y est moins maîtrisée. À la Réunion, un peu plus de 18 % des femmes ne prenaient aucune contraception avant la grossesse. En Guadeloupe, elles étaient 23 %, contre presque 12 % dans l’Hexagone. D’ailleurs, toujours en Guadeloupe, un gros tiers des mères (35 %) a déjà expérimenté au moins une IVG, contre 15 % dans l’Hexagone. En conséquence, les grossesses non désirées, ou « arrivées trop tôt », grimpent à presque 24 % à la Réunion, 29 % en Guadeloupe et à 33 % en Martinique, quand elles plafonnent à 17 % en métropole.

Mais des comportements vertueux

En parallèle, les femmes des Drom adoptent des comportements bien plus vertueux que les métropolitaines. Ainsi, elles sont moins nombreuses à consommer du tabac au cours du troisième trimestre de grossesse : entre 3,9 % et 8,7 % dans les trois îles, contre 12,2 % dans l’Hexagone. L’allaitement est aussi plus développé. Entre 82,6 % et 93,6 % des réunionnaises, martiniquaises et guadeloupéennes donnaient le sein à leur bébé (parfois accompagné de suppléments industriels) à la maternité, contre seulement 69,7 % des femmes en métropole. Et deux mois après leur sortie de l’établissement, elles étaient toujours plus nombreuses à poursuivre ces pratiques : de 66 % à 76,1 %, contre 54,2 % en métropole. Au cours de leur grossesse, les femmes sont globalement bien suivies. En très grande majorité, elles consultent un unique professionnel, gynécologue-obstétricien ou sage-femme. À la Réunion, 6 femmes sur 10 déclarent avoir consulté le même gynécologue-obstétricien au cours des 6 premiers mois de leur grossesse, contre 5 femmes sur 10 dans l’Hexagone. En revanche, seules 2 femmes sur 10 ont consulté la même sage-femme pour cette période, versus 4 sur 10 dans l’Hexagone. Près d’une femme sur deux déclare avoir bénéficié d’un entretien prénatal précoce, contre 38 % en Guadeloupe et 37 % dans l’Hexagone. À la Réunion, près d’une femme sur deux a également reçu régulièrement une sage-femme libérale à domicile, contre 19 % dans l’Hexagone. C’est le taux le plus élevé des Drom. Il est probablement en rapport avec la densité importante de sages-femmes dans l’île (209 contre 151 dans l’Hexagone pour 100 000 femmes âgées de 15 à 49 ans en 2021). En revanche, les femmes n’ayant pas rencontré l’équipe de maternité avant l’accouchement sont plus nombreuses : 22 % à la Réunion, contre 5 % dans l’Hexagone.  À la maternité, le recours à la péridurale a globalement augmenté. Entre 2003 et 2021, à la Réunion, il est passé de 55 % à 72 %. En Guadeloupe, en 2021, il était de 65 %, contre 84 % dans l’Hexagone. Le taux de césariennes est quant à lui globalement similaire à celui de métropole. 

Des femmes moins bien nourries ?

Les femmes des îles souffrent davantage de pathologies liées à la grossesse. Quel que soit leur terme, la fréquence du diabète gestationnel est de 22 % à la Réunion, contre 16 % dans l’Hexagone. Il est cependant difficile de comparer ces données, le dépistage étant quasi généralisé sur l’île alors qu’il est ciblé sur des facteurs de risques en métropole. Mais, combiné à un surpoids, le diabète gestationnel augmente le risque de prééclampsie. Or, la fréquence de cette pathologie double quand on passe de l’Hexagone à la Réunion (2 % versus 4 %). Plus d’une parturiente sur deux (52 %) présente également une anémie en cours de grossesse, soit le double qu’en métropole. En Guadeloupe, ce taux atteint 34 %. « Lorsqu’elle est associée à la surcharge pondérale, l’anémie par carence martiale peut soulever la question de la qualité de l’alimentation des femmes », soulignent les auteurs du rapport sur la Réunion.

Côté enfants, la prématurité est plus élevée : presque 9 % à la Réunion et 10 % en Guadeloupe, contre 7 % dans l’Hexagone. Les petits poids de naissance sont aussi plus nombreux : entre 10,5 % et 12,4 % sur l’ensemble des trois îles, contre 7 % en France hexagonale. Il en va de même pour les petits poids pour l’âge gestationnel, même si la situation est plus inquiétante à la Réunion. Sur cette île, la proportion de ces enfants était de presque 19 %, alors qu’en Martinique et en Guadeloupe, elle variait entre 13 % et 18 %. En France hexagonale, ce taux atteint 11 %. En outre, sur les trois îles, plus d’un enfant sur trois dormait dans le lit de ses parents, contre environ un enfant sur dix en métropole. La Haute autorité de Santé recommande bien de faire dormir les nourrissons dans la chambre de leurs parents durant les 6 premiers mois de vie, mais dans un lit séparé et sur le dos. C’est un message important de prévention de la mort inattendue du nourrisson. 

Globalement, plusieurs indicateurs de santé périnatale paraissent s’être améliorés au cours du temps. Mais lorsqu’on compare les informations à celles de France métropolitaine, les inégalités sociales de santé sont criantes. Cette fois, les autorités disposent d’une bonne base de données pour suivre les évolutions plus finement et tenter de réduire la fracture périnatale. 

■  Géraldine Magnan