Contre l’avis de l’Organisation nationale des syndicats de sages-femmes (ONSSF), de l’Ufmict-CGT et de la CFTC, trois centrales syndicales ont accepté le 22 novembre le protocole d’accord avec le ministère de la Santé et le secrétaire d’État en charge de
l’Enfance et des Familles.
En s’appuyant sur Force Ouvrière, la CFDT Santé Sociaux et l’Unsa, le Gouvernement est donc parvenu à diviser et obtenir un accord signé. Le texte n’apporte pas davantage de précisions sur la révision des grilles salariales par rapport aux précédentes propositions, mais les syndicats signataires estiment avoir obtenu des garanties malgré l’absence de détails.
UN ACCORD FLOU
Pour une partie de la profession, les signataires apparaissent comme des traitres au mouvement. Les revalorisations de salaire sont toujours jugées insuffisantes. L’accord indique que, dès février 2022, les grilles indiciaires seront revalorisées de 78 euros en moyenne et qu’une prime d’exercice médical de 240 euros sera instaurée, sauf pour les contractuelles qui ne bénéficieront pas de la prime.
« Tout le monde n’obtiendra pas 80 euros de plus, explique Vincent Porteous, sage-femme et représentant de l’Ufmict-CGT, qui n’a pas signé l’accord. Ce n’est qu’une moyenne qui n’a pas été déclinée en détail, aucune grille n’ayant été présentée par le ministère. Certaines seront déçues lorsqu’elles recevront leur fiche de paye. Quand aux salariées du privé, elles ne sont pas concernées par le complément de traitement indiciaire, versé depuis janvier. »
La Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) a confirmé la transposition à 100 % des mesures de revalorisation au bénéfice des 2 550 sages-femmes des 125 établissements concernés, « dans des délais identiques à ceux de la
fonction publique hospitalière », mais sans en détailler les modalités pour l’instant. Le 11 novembre, près de 2 000 sages-femmes du secteur privé avaient adressé une lettre à leur fédération et aux tutelles pour demander notamment une grille de salaire spécifique, à la hauteur de leurs compétences et responsabilités, et la création d’un siège permanent de sage-femme dans les commissions médicales d’établissement des maternités de la FHP.
Les syndicats signataires semblent en tout cas avoir cédé au chantage du ministère, pour qui les dernières propositions étaient à prendre ou à laisser. « Le Ségur est bouclé, s’indigne Vincent Porteous. Il n’y aura donc pas de nouvelle étape avant longtemps même si les syndicats signataires laissent entendre que cet accord n’est qu’une première étape. »
PRENDRE CE QU’IL Y A
Dans un communiqué, la CFDT a estimé qu’il s’agissait « d’avancées historiques et d’un niveau considérable pour la profession ». Pour Florence Dedieu, secrétaire nationale de la CFDT, l’accord représente « une étape dans le processus de reconnaissance des sages-femmes entamé en 2014 ». Elle souhaite cependant que le dossier soit repris avec le prochain Gouvernement, la réingénierie de la formation des sages-femmes et l’ajout d’une sixième année d’études (lire p. 19) ouvrant la voix à une révision des rémunérations. Cette étape risque pourtant de ne pas se produire avant trois ans, voire plus.
« C’est une avancée concrète, avec 140 euros de plus par rapport aux annonces du 16 septembre, estime Gilles Gadier, secrétaire fédéral de Force Ouvrière. Les revalorisations ne sont jamais suffisantes, mais le comparatif avec d’autres professions permet de dire que les sages-femmes ont obtenu le meilleur accord. Les 14 000 sages-femmes hospitalières ne représentent qu’une petite partie du million d’agents hospitaliers. Il est donc difficile d’établir un rapport de force. L’objectif est aussi d’avoir l’opinion avec nous. Auprès de la population, affirmer que 500 euros d’augmentation ne suffisent pas ne passe pas. » Le discours de l’Unsa est proche, avec un accord jugé « parmi les plus favorables du Ségur ».
Le protocole d’accord prévoit aussi que le taux de promus-promouvables entre les grades 1 à 2 demeure à 22 % (au lieu de 11 %) de 2022 à 2024, afin d’accélérer la progression des carrières. Le texte annonce aussi une large concertation avant fin 2021 pour la rédaction d’une instruction aux hôpitaux concernant le caractère médical de la profession, son rattachement aux directions des affaires médicales et non aux directions des ressources humaines, la place et le rôle du coordonnateur en maïeutique et le développement des unités physiologiques dans les maternités. Le calendrier sera-t-il tenu pour une instruction qui risque de n’être qu’un copié-collé des instructions déjà données en 2014 ? « Les instructions précédentes n’ont pas été appliquées, mais nous espérons que celle-ci le sera », se contente de déclarer Florence Dedieu.
RECUPÉRATION SYNDICALE ?
Alors qu’il leur est reproché d’avoir signé un accord sans avoir été leaders du mouvement de protestation, les centrales signataires se défendent. « Les sages-femmes de Force Ouvrière ont accepté que nous signions », plaide Gilles Gadier. « Manifester et faire grève sont des moyens ultimes, juge Jean-Claude Stutz. Cela ne fait pas partie de l’ADN de l’Unsa pour qui la discussion est une méthode de travail syndicale. » « Nous avons lancé un groupe de travail concernant les sages-femmes il y a un an au sein de la CFDT Santé Sociaux, se justifie Florence Dedieu. Nous avons rejoint le mouvement de grève, car les propositions du ministre de la Santé du 16 septembre étaient insuffisantes. » La centrale avait bien rendu public un cahier revendicatif en juin dernier, mais il ne comportait aucune revendication salariale claire ou chiffrée.
Pour les syndicats signataires, une révision des grilles doit attendre celle du statut. La CFDT ne se positionne pas sur ce sujet. L’Unsa et FO sont en faveur d’une filière médicale. « Nous n’avons pas de dogme, précise Jean-Claude Stutz, conseiller technique national de l’Unsa. Mais nous demandons un droit d’option si un statut hors fonction publique hospitalière devait être retenu. Il faut engager des discussions pour que les sages-femmes soient autonomes vis-à-vis des médecins. »
Quant à la pénurie de personnel, la CFDT déplore une problématique qui touche tous les professionnels de santé. « Il y a une absence d’ambition sur les effectifs et une absence de volonté du Gouvernement de faire avancer le dossier des décrets périnataux, estime Gilles Gadier. L’état des lieux est terrible et est à reprocher à tous les gouvernements depuis 1995. Concernant les maternités, nous craignons que la pénurie ne soit entretenue pour fermer des lits ou des services entiers. » Jean-Claude Stutz reconnaît aussi que « le Gouvernement n’a pas pris la mesure du problème et ne parvient pas à entendre ce qui remonte du terrain, malgré des alertes depuis cinq ans déjà. »
Dans ce contexte, une étude publiée par la Drees en novembre vient appuyer la colère des sages-femmes (voir encadré). Elle démontre que dès 2019, soit bien avant la crise sanitaire, les risques psychosociaux étaient particulièrement élevés dans la profession. Depuis, les contraintes au travail se sont dégradées au fil des vagues de Covid-19. En décembre, la maternité de Sarlat ne pourra accueillir aucun accouchement, sauf urgence : sur 7 sages-femmes, 4 sont en arrêt maladie, pour épuisement professionnel, selon le communiqué du comité de défense de l’hôpital public et de la maternité. La commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé, créée à l’initiative du groupe Les Républicains au Sénat et qui a débuté ses travaux le 9 décembre, mentionnera-t-elle les maternités et les sages-femmes ?
BAROUD D’HONNEUR
En attendant, l’apaisement souhaité par le Gouvernement n’est donc pas au rendez-vous. L’ONSSF et l’Ufmict-CGT ont maintenu leurs appels à des week-ends noirs. Selon l’ONSSF, le dernier week-end de novembre, le mouvement a été « très suivi », avec des cabinets libéraux fermés et une grève dans « plus de 70 % des maternités publiques et privées ». Le 4 décembre, dans la mobilisation générale des soignants contre la « désintégration » de l’hôpital, des sages-femmes ont rejoint les cortèges. Du 24 au 31 décembre, une « semaine noire » est programmée. La période des fêtes sera-t-elle un baroud d’honneur avant que le mouvement ne s’essouffle ? Les sages-femmes profiteront sans doute de la trêve des confiseurs pour affuter leurs futurs plaidoyers auprès des candidats aux prochaines élections présidentielles et législatives.
Les risques psychosociaux touchent davantage les sages-femmes, selon la Drees
Tous les trois ans depuis 2013, la Drees mène des enquêtes sur les conditions de travail et les risques psychosociaux. La dernière a eu lieu entre octobre 2018 et mai 2019. En 2019, le secteur hospitalier était bien plus concerné que les salariés du reste de l’économie par les contraintes liées aux conditions de travail. Et parmi les soignants, les agents d’entretien, les aides soignantes, les infirmières et les sages-femmes ont connu une situation bien plus défavorable encore. Ainsi, 72 % des sages-femmes et des infirmières déclaraient devoir souvent se dépêcher, contre 62 % des autres soignants, dans le secteur public comme dans le privé. A peine plus d’une sage-femme sur deux estimait disposer d’un temps suffisant pour accomplir son travail. Elles étaient aussi 65 % à déclarer aussi une quantité de travail excessive, contre 57 % des salariés du secteur. 90 % des sages-femmes rapportaient des contacts avec des personnes en situation de détresse, contre 46 % pour l’ensemble des soignants. De plus, 45 % des sages-femmes affirmaient devoir cacher leurs émotions, contre 39 % des médecins. 20 % des sages-femmes disaient vivre des situations de tensions avec le public. Par ailleurs, 54 % continuaient de penser à leur travail même en dehors. Les sages-femmes étaient aussi plus concernées par les contraintes physiques (station debout prolongée, déplacements à pied longs et fréquents, portage d’objets lourds, mouvement douloureux ou fatiguants). Pour tous les salariés, « un recul de l’autonomie est une tendance de long terme identifiée », selon la Drees. Le sentiment de disposer d’assez de matériel est aussi en recul. Et de moins en moins de sages-femmes estimaient recevoir le respect dû pour leur travail. Déjà, 64 % des sages-femmes se disaient insatisfaites de leur rémunération et à peine plus d’un tiers s’estimaient capable d’effectuer son travail jusqu’à la retraite. Changements d’organisation mal préparés, crainte sur la soutenabilité du travail à long terme, le constat de la Drees en 2019 était déjà calamiteux. Avec l’épuisement lié à l’impact de la crise sanitaire dans les hôpitaux, il ne peut être que plus dégradé encore aujourd’hui. L’enquête Epi-Cov, menée en août 2021, le révèlera sans doute.
Source : Drees. L’exposition à de nombreuses contraintes liées au conditions de travail demeure, en 2019, nettement plus marquée dans le secteur hospitalier qu’ailleurs. Études et Résultats n° 1215, novembre 2021
■ Nour Richard-Guerroudj