Aurore Koechlin. ® D.R. Comment définissez-vous la « norme gynécologique », à laquelle vous associez le concept de « carrière gynécologique » ? Je définis la norme gynécologique comme la norme qui enjoint aux femmes de consulter régulièrement un ou une professionnelle de santé pour le suivi gynécologique, en particulier pour la contraception et le dépistage. La gynécologie médicale est née dans les années 1930, mais la norme gynécologique apparaît dans les années 1960, avec la légalisation de la contraception, accompagnée de sa médicalisation. On passe alors d’une logique de traitement des pathologies à une logique préventive, qui s’applique aussi bien à la prévention des avortements par la contraception qu’à la prévention des cancers par le frottis ou la palpation des seins. Avec mon étude de terrain, menée essentiellement dans deux espaces sociaux bien différents – un service de PMI en Seine-Saint-Denis et une clinique privée d’un des arrondissements les plus riches de Paris -, j’ai voulu montrer la construction sociale qui se cache là où nous ne voudrions voir qu’un destin biologique. Le suivi gynécologique obéit bien à des normes sociales. J’appelle carrière gynécologique le fait d’entrer dans le suivi gynécologique, et de le poursuivre régulièrement, idéalement une fois par an, toute la vie. L’entrée majoritaire dans la carrière gynécologique s’est construite sur la simultanéité avec l’entrée dans la contraception et la sexualité hétérosexuelle. Le monopole de la prescription contraceptive détenu par les professionnels et professionnelles de la gynécologie constitue un instrument très matériel de renforcement de la norme gynécologique. Inversement, la norme préventive repose en grande partie sur l’initiative des patientes. La principale cause de l’arrêt de la carrière gynécologique est l’arrêt de la contraception médicale. La norme gynécologique ne peut dès lors plus s’appuyer sur la norme contraceptive. Ce changement peut créer les conditions d’un décrochage. La ménopause constitue le deuxième moment fort de…
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Vers des restrictions de visite pérennes ?
TweetÀ la maternité des Diaconesses, à Paris, la réflexion sur les restrictions de visite est antérieure à la crise du Covid-19. En 2009, à l’occasion de l’épidémie de grippe H1N1, des limitations drastiques sont instaurées. Seules les visites du co-parent sont permises. Par la suite, constatant un meilleur repos mère-enfant, les équipes décident de rouvrir à tous les droits de visite mais de limiter les horaires autorisés. Ils sont fixés entre 16 h et 20 h, pour protéger le temps de la sieste. CALME IMPOSÉ « Le personnel informe aussi les visiteurs qu’ils ne doivent rester que 15 à 20 minutes,explique Laurence Pavie, alors sage-femme coordinatrice. Une femme peut avoir besoin d’allaiter en privé, de changer ses protections et n’a pas besoin de gens qui s’incrustent pour poser des tas de questions. » Avec la crise du Covid, passé le temps des restrictions totales, le service décide de restreindre davantage son ouverture. Depuis septembre 2022, seuls la fratrie et le co-parent sont autorisés. « Nous avons tenté de rouvrir plus largement, mais les débordements ont été trop importants, témoigne Laurence Pavie. Les femmes ne réclament pas tant d’autres visiteurs. Comme elles restent peu en maternité, elles n’ont pas d’urgence à les voir dans l’établissement et peuvent donner rendez-vous lors de leur retour à domicile. Si le co-parent est absent, un autre proche est autorisé à venir. Il nous semble plus simple que le service impose des restrictions, car les femmes ont du mal à dire non et sont prises dans des jeux de loyauté familiale. » Pourtant, lors du premier confinement de mars 2020, les témoignages de femmes perturbées par les restrictions sévères de visite pullulent dans les médias. De leur côté, les professionnelles de terrain constatent un calme bienvenu en suites de couches, propice au repos des mères et des bébés. L’année suivante, trois...



À Lyon, une consultation dédiée aux ménorragies
Tweet« Les premiers jours de mes règles, je dois changer de tampon toutes les heures, alors je préfère ne pas sortir de chez moi. » « La nuit, c’est le carnage sur les draps ! » « Quand une réunion de travail dure trop longtemps, j’ai peur de laisser des traces de sang sur la chaise. » « Les anémies à répétition, la fatigue, la charge mentale des règles qui me pourrissent la vie, je n’en peux plus… »De tels témoignages, les docteures Giulia Gouy et Lucia Rugeri en recueillent depuis mai 2021. À l’hôpital de la Croix-Rousse (Hospices civils de Lyon), la gynécologue et l’hématologue ont ouvert une consultation dédiée aux ménorragies, une première en France. Chaque vendredi, elles reçoivent une dizaine de patientes de tous âges et venant de la France entière. En quelques heures, ces femmes rencontrent les deux médecins, passent plusieurs examens et se voient proposer une prise en charge. Les ménorragies se définissent par des pertes de sang menstruel supérieures à 80 ml par cycle, à objectiver par un interrogatoire (fréquence des changes, présence de caillots…) et le score de Higham (voir encadré). Il faut aussi envisager la fatigue, une anémie et le retentissement sur la vie privée et professionnelle. En février 2021, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) a mis à jour ses recommandations(1) pour le diagnostic et la prise en charge des ménorragies. Alors pourquoi une telle consultation ? « Parce qu’il y a un sous-diagnostic flagrant des ménorragies et que les femmes concernées souffrent d’une errance médicale considérable, déclare la docteure Giulia Gouy. S’il y a un tabou des règles, alors les règles hémorragiques, c’est carrément l’omerta ! » Et pourtant, 11 à 13 % des femmes en âge de procréer souffrent de ménorragies, et même un quart des plus de 41 ans(2) ! Les hormones en première intention Ce matin gris d’octobre, c’est Olivia*, 20 ans,...


Ménorragies, quoi de neuf ?
Tweet« Suite à la crise des progestatifs et devant le besoin de mieux considérer les alternatives à l’hystérectomie, il était nécessaire de proposer de nouvelles recommandations concernant la prise en charge des ménorragies. » Le professeur Jean-Luc Brun, chirurgien gynécologue au CHU de Bordeaux, a coordonné le texte publié sous l’égide du Collège national des gynécologues-obstétriciens français (CNGOF) en 2022 (1). Il remplace donc les recommandations de 2008 et répond à 37 questions selon la méthodologie Pico-Grade, approche qui évalue et compare pour une population ou un problème donné les interventions et leurs résultats, en attribuant des grades de preuve plus ou moins élevés. CRISE DES PROGESTATIFS ET APPARENTÉS Les spécialistes ont en effet craint une augmentation des hystérectomies de première ou deuxième intention suite aux restrictions de prescriptions ou au retrait de plusieurs traitements progestatifs et apparentés (modulateurs sélectifs des récepteurs à la progestérone), jusqu’alors employés pour traiter les ménorragies associées à un fibrome ou à de l’endométriose. La première « crise » a concerné l’acétate d’ulipristal (Esmya®). Employée comme traitement des fibromes utérins avant chirurgie, la molécule a fini par perdre son autorisation de mise sur le marché (AMM) européen en 2020, en raison de risques hépatotoxiques jugés graves, suite à de premières alertes en 2017. Une étude d’Audrey Chevrot note d’ailleurs que les hystérectomies dans le traitement des fibromes utérins augmentent de 42 000 à 44 000 dès 2018 (2). En 2021, l’Agence française de sécurité du médicament (ANSM) et la Caisse primaire d’assurance maladie confirment un surrisque de méningiome chez les femmes exposées à l’acétate de nomégestrol (Lutényl® et ses génériques) ou à l’acétate de chlormadinone (Lutéran® et ses génériques). Ces macroprogestatifs sont désormais indiqués seulement en dernier recours, pour traiter une endométriose ou des -ménorragies associées à un fibrome en préopératoire et pendant une période courte (3). Leur utilisation implique une surveillance...