Halte au validisme

La plupart des personnes en situation de handicap dénoncent un système d’oppression généralisé auquel n’échappe pas l’immense majorité des professionnels de santé. Cette thématique a été abordée aux Journées de l’Association nationale des centres d’IVG et de contraception, fin mars, à Grenoble.

« Célibataire, je suppose ? » Telle est la question qu’a posée un médecin à Laetitia Rebord, encore que le point d’interrogation est peut-être de trop, tant la formulation et le ton lui ont paru affirmatifs. « Auprès de quelle jeune femme oserait-on pareille assertion, qui présuppose une absence totale d’activité sexuelle ? », s’interroge-t-elle encore. Invitée par l’Association nationale des centres d’IVG et de contraception (Ancic) lors de ses dernières Journées organisées fin mars à Grenoble, Laetitia Rebord est une patiente-experte. Elle présente une incapacité motrice presque complète, à l’exception des muscles du visage, d’un orteil et d’un pouce. Mais, comme elle le raconte dans sa truculente conférence La vie sexuelle inattendue d’une étoile de mer, visible sur son site internet Sexpair, elle est très loin de l’abstinence sexuelle !

UN SYSTÈME D’OPPRESSION

Selon la dernière définition de l’OMS, « est handicapée toute personne dont l’intégrité physique ou mentale est passagèrement ou définitivement diminuée, soit congénitalement, soit sous l’effet de l’âge ou d’un accident, en sorte que son autonomie, son aptitude à fréquenter l’école ou à occuper un emploi s’en trouvent compromises ». L’approche médicale du handicap est centrée sur l’individu et sa pathologie. Elle veut la corriger, pour faire entrer l’individu dans une forme de normalité. À l’inverse, le modèle social considère le handicap dans le cadre d’une interaction entre l’individu et l’environnement. C’est l’environnement inadapté qui crée le handicap. Il est alors une pathologie sociale plutôt qu’individuelle. Quand on le nie, on n’est pas loin du validisme, qui justifie les discriminations dont souffrent les personnes handicapées. Ce système d’oppression considère que les personnes valides sont supérieures aux personnes handicapées. Le handicap est alors perçu comme anormal et honteux. « On trouve le validisme dans tous les domaines : juridique, social, médical… Il est partout. Et contrairement à certaines oppressions comme le sexisme ou le racisme, le validisme est peu connu », rapporte Laetitia Rebord, qui est aussi membre du collectif handi-féministe Les Dévalideuses.

APPROCHE MÉDICALE ET PATERNALISTE

« Le modèle social du handicap est le plus répandu dans le monde, sauf en France », ajoute-t-elle. François Crochon, sexologue clinicien qui dirige le Centre Ressources Handicaps et Sexualités à Lyon, raconte qu’en août 2021, la France a été auditionnée par l’ONU sur le sujet. « Dans le rapport de 20 pages, il y a une demi-page de compliments et 19 pages et demie de points d’alerte et de récriminations. Les inspecteurs de l’ONU ont noté que nous étions dans une approche très médicale et très paternaliste du handicap. Il y a beaucoup trop d’institutions qui bafouent les droits des personnes. »

Dans son parcours médical, presque chaque fois que Laetitia Rebord a cherché à obtenir une contraception, les professionnels ont immédiatement évoqué l’IVG. « Est-ce la première chose qu’on aurait proposée à une femme de 35 ans qui n’aurait pas de handicap ? », questionne-t-elle. Selon une étude réalisée en 2017 pour l’Agence régionale de santé d’Île-de-France, dans le cadre du dispositif Handigynéco, seuls 58 % de femmes en situation de handicap bénéficient d’un suivi gynécologique régulier. Plus d’un quart d’entre elles n’ont jamais eu de frottis. Laetitia Rebord dénonce le manque de formation des professionnels de santé. Dans sa conférence en ligne, elle explique avoir expérimenté sa sexualité tardivement, à l’âge de 35 ans. Outre un immense plaisir, elle a découvert avec surprise que son handicap pouvait être un atout dans sa vie affective et sexuelle. 


L’Ancic à Grenoble

Les dernières Journées de l’Ancic se sont tenues à Grenoble, ville phare dans l’histoire des luttes pour le droit à l’IVG. Dès l’été 1972, des étudiants en médecine qui y pratiquaient des avortements clandestins ont diffusé à toutes les équipes françaises la méthode Karman, une technique d’aspiration plus rapide et sûre que le curetage. Un an après, le
Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception, le Mlac, était né. Aujourd’hui, l’Ancic se réjouit des récentes avancées sur le front de l’accès à l’IVG. Elle profite aussi de sa présence dans la ville historique pour mettre en avant la contraception masculine. 

■ Géraldine Magnan