Le Grand Prix Evian, reflet de son époque

La 31e édition du Grand Prix Evian des sages-femmes s’est tenue les 17 et 18 octobre à Évian-les-Bains. Comme chaque année, les travaux sélectionnés reflètent les préoccupations de la profession et son actualité.

Organisée par le groupe Danone, la 31e édition du Grand Prix Evian des sages-femmes s’est tenue les 17 et 18 octobre au sein de l’un des hôtels du groupe, à Évian-les-Bains*. Le jury était présidé par Juliette Larivière, sage-femme lauréate 2021 du Prix spécial du jury, accompagnée de Claudine Schalck, sage-femme, psychologue clinicienne et autrice, Alexandra Musso, enseignante sage-femme à l’école de sages-femmes de Nice, Claude Doyen, vice-doyenne de l’école de sages-femmes des Hôpitaux universitaires de Strasbourg et Micheline Boivineau, présidente de l’Association nationale des sages-femmes territoriales.

De gauche à droite et de haut en bas : Camille Marolle, lauréate de la faculté de maïeutique de l’Université catholique de Lille ; Léna Porta, de l’école de Nice et Grand Prix scientifique 2022 ; Alexandra Musso, enseignante à l’école de sages-femmes de Nice ; Micheline Boivineau, présidente de l’Association nationale des sages-femmes territoriales ; Claudine Schalck, sage-femme et psychologue clinicienne ; Claude Doyen, vice-doyenne de l’école de sages-femmes des Hôpitaux universitaires de Strasbourg ; Assetou Fofana, lauréate de l’école de Baudelocque à Paris, Juliette Larivière, sage-femme lauréate 2021 du Prix spécial du jury, Pauline Elégoët, de l’école Foch de Suresnes ; Emma Coutadeur, de l’école Foch de Suresnes et Prix spécial du jury 2022 ; Audrey Fabre, de l’école de Saint-Antoine/Sorbonne Université.
© Hervé Schmezle – Danone Evian

Parmi une cinquantaine de mémoires de fin d’études reçus, anonymisés et sans mention de l’école d’origine, le jury a retenu six lauréates pour la qualité de leurs travaux. Preuve de l’importance prise par les sages-femmes libérales dans le suivi gynécologique, plusieurs mémoires se sont intéressés à l’amélioration des pratiques de suivi. 

Pauline Elégoët, de l’école de sages-femmes Foch de Suresnes, a planché sur l’« Évaluation des pratiques professionnelles des sages-femmes libérales sur le dépistage de l’infection à Chlamydia trachomatis ». Elle a recueilli 741 réponses de sages-femmes libérales, démontrant que le dépistage opportuniste de l’infection n’était pas systématiquement proposé en consultation de gynécologie et encore moins lors d’une consultation de suivi de grossesse. « Les sages-femmes libérales ne connaissent pas les recommandations actuelles, en particulier chez les femmes enceintes de moins de 25 ans et lors de la prise en charge d’un test positif, note la lauréate. Il est important qu’elles remettent à jour leurs connaissances alors que la loi Rist de 2021 a étendu leurs compétences à la prise en charge globale des IST chez les femmes et leur partenaire. » 

De son côté, Audrey Fabre, de l’école de Saint-Antoine/Sorbonne Université, a étudié les réhospitalisations de nouveau-nés pour ictère au sein d’une maternité. « Étaient-ils sortis trop tôt ? », interroge son étude rétrospective et descriptive. Bien que de faible niveau de preuve, son travail souligne que les critères d’éligibilité pour une sortie d’un nouveau-né ne sont pas toujours connus ni appliqués.

PRIX SCIENTIFIQUE 

Léna Porta, de l’école de Nice, s’est pour sa part intéressée au « Vécu du premier examen gynécologique » par les femmes, un sujet d’autant plus important que la littérature a montré qu’un mauvais ressenti pouvait avoir un impact négatif sur le suivi ultérieur. Elle a interrogé des femmes grâce à un questionnaire diffusé sur les réseaux sociaux, lui permettant de recueillir 7847 réponses. Son échantillon n’est pas représentatif, les femmes ayant choisi de répondre désirant sans doute témoigner de mauvais vécu. Pour autant, il indique des tendances intéressantes. Les femmes qui ont mal vécu leur premier examen gynécologique avaient moins de 15 ans (54,3 %), une absence d’activité sexuelle antérieure (64,2 %) ou une absence de consultation antérieure (77 %). En outre, un mauvais vécu était rapporté dans 41 % des cas lorsque le soignant était un gynécologue et dans 10 % des cas lorsqu’il s’agissait d’une sage-femme. Le fait que le soignant soit un homme était un facteur de mauvais vécu dans 64 % des cas. Léna Porta a aussi identifié des facteurs modifiables de mauvais vécu. Pour 86 % des répondantes, l’absence d’information sur les gestes effectués était liée à une mauvaise expérience, de même que l’impossibilité de se déshabiller à l’abri du regard (70 %), la nudité totale (53 %), l’absence de recherche de consentement avant tout geste (86 %), la position gynécologique jugée gênante (88 %) et la présence d’un accompagnement non souhaité (71 %). Ce travail sur le thème des violences gynécologiques et obstétricales, mené en pleine polémique sur la qualification juridique des actes de soins pénétratifs réalisés sans consentement, a été salué par le jury, qui lui a décerné le Prix scientifique. « Céder à un examen n’est pas consentir », a rappelé Claudine Schalck, s’insurgeant aussi que le premier examen soit trop souvent pratiqué à l’occasion d’une demande de contraception, qui n’en nécessite pourtant pas systématiquement. 

PRIX SPÉCIAL DU JURY

Le Prix spécial du jury, qui récompense un travail de recherche original, a été décerné à Emma Coutadeur de l’école Foch de Suresnes, pour son mémoire intitulé « Les troubles du comportement alimentaire et la périnatalité : une influence bilatérale ». Le jury a notamment souligné la qualité de la bibliographie de ce mémoire, habilement exploitée dans l’analyse. Emma Coutadeur a cherché à explorer le vécu de la grossesse de femmes ayant un parcours de troubles alimentaires en une approche à la fois sociologique, anthropologique et psychologique. Dans ce but, elle a mené des entretiens semi-directifs auprès de 12 femmes à 2 mois et 2 ans en post-partum. Si la grossesse, par le remodelage psychique et la prise pondérale qu’elle implique, peut majorer ou réveiller des troubles du comportement alimentaire, la maternité constitue aussi une période opportune pour proposer un accompagnement adapté aux femmes. « Bien que ce parcours constitue parfois un facteur d’anxiété supplémentaire, des clés existent : soucieuses de ne pas léser la santé de leur bébé, ces patientes sont plus enclines à envisager une éventuelle thérapie durant la grossesse ou le post-partum », souligne Emma Coutadeur. 

DES SUJETS ORIGINAUX

Deux autres travaux auraient mérité un prix pour leur qualité et leur originalité. Alors que la société se veut inclusive, Camille Marolle, de la faculté de médecine et maïeutique de l’Université catholique de Lille, a interrogé des parents d’adolescentes en situation d’handicap mental sur leurs représentations de la vie affective et sexuelle de leur enfant. Partant du postulat qu’il existe « un interdit autour de la sexualité de ces personnes, renvoyant l’image d’éternels enfants dépourvus de libido qu’il faudrait protéger de la sexualité », elle a mené dix entretiens semi-directifs auprès de parents d’enfants accueillis au sein d’un institut médico-professionnel.  Au final, la question n’était pas taboue pour les parents, préoccupés par les risques de violences ou d’abus envers leur enfant. Ils ont témoigné de leurs besoins d’aide et de réponses pour accompagner leur fille dans la sexualité, rôle que les sages-femmes pourraient endosser dans le cadre de suivis gynécologiques de prévention, selon Camille Marolle.

De son côté, Assetou Fofana, jeune diplômée de l’école de Paris Baudelocque qui exerce en tant que remplaçante libérale à Argenteuil, s’est intéressée à la protection périnéale en maison de naissance. Le sujet est d’intérêt pour deux raisons. D’une part, la technique du hands off est retrouvée dans 77,4 % des accouchements en maisons de naissance françaises, alors que la technique de référence pour prévenir les lésions du sphincter anal est celle du hands on. D’autre part, les comparaisons de pratiques entre maisons de naissance dans le monde montrent davantage de périnées intacts dans les maisons de naissance françaises par rapport aux maisons de naissances anglaises et australiennes. Y a-t-il donc une French Touch en la matière ? Pour le savoir, Assetou Fofana a interrogé treize sages-femmes exerçant en maison de naissance. Elle a ainsi pu montrer une pratique spécifiquement française : « Au-delà du hands off classiquement décrit (mains à distance du périnée), les sages-femmes des maisons de naissance en France semblent pratiquer également le hands poised, technique où elles apposent les mains sur le périnée à l’aide de compresses chaudes sans pour autant exercer de pression sur le périnée. » En parallèle, elles ne dirigent pas les efforts expulsifs et n’en limitent pas la durée. Ce travail mérite d’autres investigations pour être consolidé, mais contribue à documenter les pratiques des maisons de naissance, modèle de soin amené à se développer.

L’ensemble des présentations de ces mémoires a donné lieu à des échanges nourris et chaleureux, soulignant la place prise par le Grand Prix Evian dans la dynamique de la profession.

■ Nour Richard-Guerroudj

* Le groupe Danone Evian a pris en charge les frais de transport et d’hébergement de la rédaction à l’occasion du Grand Prix.