Opti’soins, un programme de recherche pour les femmes isolées

Depuis le 19 septembre, le camion Opti’soins parcourt les communes isolées d’Auvergne pour aller au-devant des femmes enceintes et leur proposer un suivi de grossesse. Le Réseau de santé en périnatalité d’Auvergne a porté ce projet innovant de sa phase exploratoire à sa mise en œuvre opérationnelle, tout en ayant prévu son évaluation.

«Aller vers » les patients est devenu un leitmotiv depuis la crise du Covid-19 pour faciliter l’accès aux soins. En Auvergne, la réflexion a émergé bien avant la pandémie dans le champ de la périnatalité. Dès 2017, le Réseau de santé en périnatalité d’Auvergne (RSPA) décide de prendre à bras le corps la problématique des déserts médicaux. Fruit de plusieurs années de travaux, réflexions et recherches de financement, le programme de recherche Opti’soins – pour « optimisation des soins » – a démarré le 19 septembre dernier.

Le camion Opti’soins a pour but de répondre aux déserts médicaux.
© D.R.

DU CONSTAT AUX SOLUTIONS 

Comme dans de nombreuses régions, l’Auvergne observe une diminution des professionnels de santé et leur concentration en zones urbaines. « Le Conseil national de l’Ordre des médecins relevait qu’en 2015, l’effectif des praticiens gynécologues et obstétriciens en Auvergne avait diminué de 20 % en sept ans et prévoyait une diminution supplémentaire de 15 % entre 2015 et 2020. (…) Des villes comme Le Puy-en-Velay ou Moulins sont très faiblement dotées considérant leur bassin de vie », souligne le RSPA. De plus, sept maternités ont fermé entre 2003 et 2021. « En région Auvergne, les sages-femmes libérales sont surtout situées autour des grandes villes, complète Nathalie Dulong, sage-femme coordinatrice du projet Opti’soins. Dans les zones plus montagneuses du puy Mary, des monts du Cantal ou encore du nord de l’Allier, leur répartition est plus inégale. Même en dehors des zones montagneuses, des communes sont éloignées des soins. »

« Ce phénomène ne facilite pas la continuité de la prise en charge des usagers, souligne Françoise Vendittelli, présidente du RSPA et gynécologue au Chu de Clermont-Ferrand. La diminution du nombre des maternités, conjuguée à la faible offre de soins extrahospitalière dans certaines zones de notre territoire, alourdit la charge de travail sur les maternités restantes, parfois elles-mêmes en difficulté par manque de spécialistes. Il en va de même pour les professionnels exerçant hors maternité. Par ailleurs, des femmes se retrouvent en difficulté pour accéder à un spécialiste de la périnatalité. Celles-ci ne peuvent donc pas toujours se rendre à l’ensemble de leurs consultations et échographies, empêchant parfois la prévention et le repérage de certaines complications. » 

Durant la phase préparatoire du projet, Anne Debost-Legrand, médecin du Chu de Clermont-Ferrand et investigatrice principale d’Opti’soins, a comparé l’état de santé des femmes enceintes éloignées de l’offre de soins à celui des femmes non isolées. Elle a considéré une commune comme isolée lorsqu’elle était située à plus de trente minutes en voiture d’un établissement ou d’un professionnel de santé et si un seul professionnel était présent ou n’exerçait qu’à temps partiel. Ses résultats préliminaires, portant sur la période 2015-2020, ont été présentés lors des Journées de la Société française de médecine périnatale, qui se sont tenues à Lille du 12 au 14 octobre. Chez les femmes des communes isolées, elle a retrouvé davantage de tabagisme, d’obésité et de pathologies chroniques. Leur fœtus connaît plus souvent une restriction de croissance et un risque d’accouchement inopiné extrahospitalier. Les femmes sont aussi plus souvent césarisées et leur durée moyenne de séjour est plus longue. « Les femmes vivant dans des déserts médicaux sont en plus mauvais état de santé que la population générale avec des conséquences sur les issues obstétricales, conclut Anne Debost-Legrand. Il apparaît alors primordial que ce soit l’ensemble des moyens nécessaires au suivi de grossesse, professionnels et logistiques, qui soit en capacité de se déplacer jusqu’à elles. » Au total, le réseau a identifié 220 communes isolées et évalué à 400 le nombre de femmes enceintes concernées chaque année. Le RSPA a donc cherché une solution mobile de consultation facilitant le suivi de grossesse au plus proche du domicile de ces femmes, s’inspirant de dispositifs existant dans les Drom. À Mayotte, depuis 2011, un camion mobile affrété par le réseau périnatal sillonne l’île deux jours par semaine pour favoriser l’accès aux soins des femmes des villages isolés et bidonville (lire Profession Sage-Femme n° 253 – mars 2019).

UNE OFFRE COMPLÉMENTAIRE

En Auvergne, il s’agit concrètement d’organiser des consultations de suivi pré et postnatal au sein d’un camion aménagé avec tous les moyens logistiques et humains nécessaires, capable de se rendre au plus près des femmes isolées. En parallèle, une étude portée par le Chu de Clermont-Ferrand doit évaluer le dispositif jusqu’en 2024. De façon randomisée, des femmes isolées sont en cours d’inclusion dans deux groupes : l’un bénéficiant des visites de proximité du camion Opti’soins en pré et postnatal et l’autre résidant au sein de communes-témoins où le camion ne se rend pas. 

L’équipe mobile n’a pas vocation à concurrencer l’offre de soins existante, mais à être complémentaire. De fait, bien qu’il soit opérationnel du lundi au vendredi, de 8 h à 18 h, toute l’année, il n’est pas prévu qu’il ouvre des consultations fixes dans les communes isolées ni des consultations d’urgence. « Nos tournées ne sont pas déterminées d’avance, explique Nathalie Dulong. Elles sont organisées selon l’apparition des grossesses dans les communes isolées, en tentant de regrouper les consultations par zone géographique, pour des raisons logistiques. » En clair : les patientes doivent être adressées à Opti’soins. Cet adressage est double : soit elles sont envoyées par un professionnel de santé informé du projet et qui ne peut assurer le suivi, soit les femmes ont entendu parlé de ce programme de recherche à travers la large communication faite par le RSPA sur les réseaux sociaux, dans la presse, auprès des professionnels de santé, des coordinateurs en santé, des CPTS, MSP et pharmacies. « Le camion n’est pas là pour capter la patientèle ni des PMI ni des sages-femmes libérales, assure Nathalie Dulong. La PMI du Cantal nous a par exemple adressé des femmes, car elle a besoin de relai et fait face à de nombreuses sollicitations. Quant aux femmes qui viennent à nous spontanément, elles seront orientées vers la sage-femme libérale la plus proche pour au moins une consultation en anténatal. Le contact sera ainsi pris pour le suivi en post-partum et le bilan postnatal. Mais nous proposerons aussi ces suivis et bilans pour les femmes qu’aucun professionnel ne peut accompagner. Au démarrage, je contacte les femmes pour leur expliquer le protocole de recherche et leur proposer un rendez-vous. »

Concernant les moyens humains, Opti’soins mobilise deux équivalents temps pleins de sage-femme de coordination, consultation et préparation à la naissance. Trois salariées, détachées du Chu, alternent sur ces postes : Nathalie Dulong, Isabelle Raimbault et Marine Pranal. « Nous proposerons une préparation classique individuelle, précise Nathalie Dulong. Si une femme exprime des besoins spécifiques, nous pourrons l’orienter vers une préparation particulière. »

Une infirmière spécialisée en santé mentale, Sylvie Rolland, est également mise à disposition par l’hôpital Sainte-Marie. Rejoignant l’équipe mi-novembre, elle sera chargée des repérages des fragilités psychiatriques et addictologiques, de même que de la coordination du parcours des patientes en situation de vulnérabilité. Enfin, des sages-femmes libérales assurent des vacations d’échographie au sein du camion, faisant d’Opti’soins un projet ville-hôpital. « Au total, 24 sages-femmes libérales spécialisées en échographie ont répondu être volontaires pour assurer des vacations de 3 heures 30 dans le camion, témoigne Isabelle Raimbault, sage-femme cheffe de projet Opti’soins. Nous leur proposons des dates selon le terme de la grossesse de chaque femme et leur disponibilité. » Les coordinatrices n’ont pas souhaité communiquer la rémunération de la vacation d’échographie. « Cela pourra encore être discuté, mais nous avons tenté de proposer une rémunération attractive, en tenant compte de la nécessité pour les sages-femmes d’avoir leur matériel assuré et de fermer leur cabinet pour assurer une vacation », assure Nathalie Dulong.

Côté équipement, le camion comprend un bureau de consultation, une salle d’examen équipée d’un échographe et des toilettes. « C’est un mini-hôpital à l’intérieur, afin de faciliter les soins : les prises de sang et examens urinaires peuvent être réalisés dans le camion puis sont ensuite rapportés et analysés par le laboratoire du Chu, détaille Nathalie Dulong. Nous pouvons passer les commandes pharmaceutiques depuis le camion. Le pôle logistique du Chu assure l’entretien du matériel et sert de support. » L’accord des élus locaux a été sollicité, notamment pour le raccordement du camion au réseau électrique. « Nous avons de bons retours des élus locaux, note Isabelle Raimbault. Ils sont satisfaits de l’initiative qui contribue à désenclaver leur commune. » Bien qu’équipé pour un accouchement inopiné extrahospitalier, le camion n’est pas destiné aux accouchements ni aux soins d’urgence. Dans ces situations, les femmes seront orientées vers la maternité la plus proche de leur domicile. En outre, Opti’soins travaille en réseau : « Nous avons un annuaire de référents dans chaque maternité de la région de même qu’un médecin psychiatre référent à l’hôpital Sainte-Marie, précise Nathalie Dulong. L’équipe participe aussi au staff pluridisciplinaire du Chu. »

Le camion itinérant est équipé comme un cabinet de consultation et permet de réaliser les examens sanguins et urinaires sur place. © D.R.

DEUX ANS D’ÉVALUATION

Comme dans toute recherche, les inclusions sont progressives. Mi-octobre, vingt patientes avaient été recrutées, en attendant une montée en charge. « Les premiers retours sont positifs, se félicite Isabelle Raimbault. Certaines patientes devaient faire une heure et demie de route aller, la même chose au retour, pour réaliser une échographie. Plusieurs d’entre elles n’ont pas de médecin traitant ou de suivi gynécologique. Les femmes que nous recrutons n’ont pas un profil type. Il ne s’agit pas que de femmes en situation de précarité ou de vulnérabilité. Il s’agit vraiment du tout venant, avec des problèmes de distance par rapport à l’offre de soins. »

L’étude concernant le projet Opti’soins a pour but de vérifier si le suivi de proximité ambulatoire permet un meilleur suivi de grossesse et une amélioration de la santé de la mère et de l’enfant. Les critères de jugement principaux compareront ainsi le nombre de consultations, d’échographies et d’examens biologiques dans les deux groupes exposés/non exposés de l’étude. Les critères de jugement secondaires porteront sur les issues maternelles et néonatales, en comparant entre autres les taux d’hypertension gravidique, de diabète gestationnel, d’hémorragie du post-partum, de transfert en unité de soins intensifs de la mère ou de l’enfant, la prématurité, la mortalité fœtale in utero, les petits poids pour l’âge gestationnel et la macrosomie. L’étude évaluera aussi l’adhésion des femmes au projet. « Un ingénieur de recherche en santé publique mènera des entretiens avec toutes les femmes incluses, dans les deux bras de l’étude, précise Nathalie Dulong. Deux entretiens se dérouleront pendant la grossesse et un autre après. » Enfin, une évaluation médico-économique sera menée pour mesurer l’impact coût-bénéfice du dispositif. 

L’ensemble de ces volets de recherche a été financé par le ministère des Solidarités et de la Santé à hauteur de 662 663 euros, dans le cadre d’un programme de recherche sur la performance du système des soins, et par les fonds européens de développement régional (Feder) de la Région Auvergne-Rhône-Alpes à hauteur de 78 000 euros. 

« Ce projet est un projet collaboratif qui pourra fonctionner grâce à l’implication des acteurs de terrain, aussi bien les professionnels que les élus, espère Anne Debost-Legrand. L’implication des professionnels de terrain permettrait la construction d’un relais local avec une prise en charge de proximité pour éviter un nomadisme médical. Le but est également de permettre une fluidité du parcours patient avec la réduction de la consommation de soins. »

Jusqu’à la fin de son évaluation en 2024, le dispositif sera de portée réduite. Si les résultats sont concluants, ces concepteurs espèrent qu’Opti’soins sera étoffé. « Si cette première phase est satisfaisante, nous chercherons à la développer pour l’ensemble des territoires auvergnats concernés, et à diversifier l’offre en intégrant des consultations de gynécologie et de prévention notamment dans le cadre de la contraception », conclut Françoise Vendittelli.

■ Nour Richard-Guerroudj