« Nous luttons contre toutes les formes de discrimination dans le soin » – Entretien avec Bleuenn Ridard

Sage-femme libérale à Castres, en cabinet et en maison de naissance, Bleuenn Ridard, ancienne sage-femme territoriale, est engagée avec l’association Pour une Meuf. Avec son acronyme de « médecine engagée unie et féministe », le collectif de professionnels de santé lutte surtout contre le sexisme médical.

Bleuenn Ridard. © D.R.

Quel est l’objectif principal de l’association ?

Pour une Meuf travaille à visibiliser et à lutter contre toutes les formes de discrimination dans le soin et à permettre un accès à la santé aux femmes de façon équitable. Nous luttons avant tout contre le sexisme médical, mais également contre le
racisme, les discriminations de classe, la grossophobie, la LGBTQI-phobie, le validisme, l’âgisme, la psychophobie… Nous travaillons aussi à faire en sorte que les lois qui existent puissent être appliquées. Par exemple, nous souhaitons que l’accès à la ligature tubaire pour celles qui le souhaitent se passe dans les conditions posées par la loi de 2001.
Les personnes majeures qui en font la demande sont soumises à un délai de réflexion de quatre mois. En comparaison, si on veut se refaire faire tout le visage en chirurgie esthétique, on ne nous demande pas de réfléchir aussi longtemps. Mais en plus de ce délai, beaucoup de médecins font blocus sur des conditions d’âge ou de parité. Or cette pratique n’est pas écrite dans la loi. En ce moment, nous travaillons sur une réponse à un communiqué de l’Académie de médecine à propos des personnes trans et de leur détermination d’identité de genre. L’Académie de médecine pousse à la psychiatrisation, ce contre quoi nous luttons, estimant que les personnes sont capables de s’autodéterminer. Nous avons également écrit un long article pour savoir comment faire face à un médecin agresseur. Par exemple, quand un patient rapporte des faits dont on sait qu’ils sortent d’une relation de soin normale, que peut faire le professionnel de santé ? Que peut-on conseiller aux patients ? D’autres questions peuvent nous animer : par exemple, pourquoi la péridurale ambulatoire n’est-elle accessible que dans 10 % des maternités ? Dans l’association, il y a divers soignants, ce qui enrichit beaucoup nos échanges et réflexions. En 2021, il y avait beaucoup de médecins, généralistes et spécialistes. Les sages-femmes sont le deuxième métier le plus représenté. Nous comptons aussi des infirmières, orthophonistes, psychologues, kinés, ostéos…

Comment l’association fonctionne-t-elle ?

L’association constitue un vrai réseau d’entraide entre pairs. Nous organisons des groupes de travail, en visio ou en présentiel, pour réfléchir en commun sur nos pratiques. Dernièrement, nous nous sommes interrogés sur la sexualité d’un point de vue féministe en consultation. Les différentes réponses fournies par toutes les professions sont très riches. Nous venons à ces groupes avec des situations pratiques qui nous ont marqués. Ces échanges entre pairs sont importants, mais ils ne résument pas l’association. C’est avant tout une association militante ! Par rapport aux groupes d’analyse de pratiques, les conclusions et conseils sont beaucoup plus engagés. En outre, il faut adhérer inconditionnellement à la charte et aux positions politiques de Pour une Meuf.

Notre idée de base, c’est de donner de l’information aux patientes, mais aussi aux professionnels de santé. Comme nous sommes des professionnels du soin, c’est plus facile d’être entendus par nos consœurs et confrères. Nous travaillons sur les deux volets. Lorsque les professionnels sont confrontés à une augmentation des demandes sur un sujet, ils finissent par se renseigner, voire se former, peut-être même à bouger leurs positions. Par exemple, avec la nouvelle loi sur l’allongement du délai d’accès à l’IVG, des professionnels ont cherché à faire bouger leur équipe, souvent résistante.
Au sein de l’association, nous pouvons partager des protocoles, des outils, des arguments. Cela évite de rester seul. Avant d’intégrer l’association, c’était mon cas. Je me sentais très seule avec mes convictions et ce que je savais des lois. Et ce n’est pas facile de construire un argumentaire face à une équipe qui n’est pas ouverte au changement. 

Que vous a apporté cet engagement ?

Les échanges et les débats m’ont fait évoluer dans ma pensée féministe et m’ont affuté l’esprit sur un certain nombre de sujets. Il faut avoir envie de développer un esprit critique, être prêt à remettre en question ses convictions et ses schémas de pensée. Cela a aussi fait changer ma façon de soigner. J’ai d’abord participé à un atelier sur la bientraitance en gynécologie. On prend le temps d’aborder concrètement et théoriquement la posture de bientraitance. Comment poser un DIU sans utiliser de pince de Pozzi, en s’aidant des mobilisations de la patiente ? Notre chaise et notre table d’examen permettent-elles à une femme de 130 kg de se sentir confortable ? Ma salle d’attente dispose-t-elle d’un espace de confidentialité pour le secrétariat ? Quels supports y a-t-il pour se sentir bienvenu et favoriser la parole ? Par exemple, à la maison de naissance où je travaille, nous avons mis le violentomètre dans les toilettes. Comment accueillir les gens, tourner ses phrases ? Tout le monde n’a pas besoin de contraception ni a forcément un désir d’enfant. Au lieu de dire « quelle est votre méthode de contraception », on peut demander « avez-vous besoin d’une contraception ? » 

Au début, j’ai proposé à tout le monde l’auto-insertion du spéculum, mais j’essuyais 95 % de refus. En échangeant avec les membres de Pour une Meuf, j’ai compris que ma tournure de phrase était inadaptée. Depuis, j’explique comment tenir le spéculum, en ajoutant qu’en général, quand on le fait soi-même, on se fait moins mal et on va naturellement vers le col. J’ajoute systématiquement que si la patiente n’est pas confortable avec cela, je peux le faire. Désormais, plus de 50 % des patientes pratiquent l’auto-insertion.

Donner les informations et les outils aux patientes pour qu’elles fassent des choix éclairés est essentiel. Si une patiente refuse la contraception au sortir d’une IVG, je n’ai pas à juger. Mon travail est de l’accompagner dans la prise en charge de sa santé, dans la recherche de ses choix et de ses besoins, pas de la diriger vers ce que je pense être le plus juste. Par exemple, j’ai un certain nombre de patientes qui n’ont jamais fait de frottis. Je leur explique à quoi ça sert et comment ça se passe, en leur montrant le spéculum, en faisant toucher la petite brosse, avec un schéma, en expliquant aussi l’auto-insertion du spéculum. Mais si ce n’est pas possible pour elles aujourd’hui, on ne le fait pas. Ce temps d’explication est non négociable. 

Tous ces échanges et formations m’ont surtout permis d’avoir une attitude autoréflexive, de prendre conscience de mes propres biais et de mon fonctionnement. Ça fait du bien de trouver un endroit où je peux échanger sur ma pratique et mon approche de la santé avec des personnes qui ont la même démarche que moi. Au lieu de me débattre dans le vide, j’ai l’impression de progresser et de faire évoluer la situation vers une médecine plus féministe et plus inclusive.

Propos recueillis par Géraldine Magnan