Le syndrome du bébé secoué (SBS) est la forme la plus fréquente de maltraitance dans la première année de vie d’un enfant. Il est aussi le traumatisme crânien le plus sévère chez un bébé, car « il cumule trois facteurs de mauvais pronostic : le très jeune âge, le caractère diffus des lésions cérébrales, et la répétition fréquente du secouement », selon les recommandations actualisées de la Haute Autorité de santé (HAS) de 2017. Son tableau clinique a été décrit par John Caffey en 1972, associant la présence d’un hématome sous-dural, d’hémorragies rétiniennes et l’absence de toute lésion ou impact traumatique. Mais combien de nourrissons en sont victimes ?
INCIDENCE SOUS-ESTIMÉE
Dans ses recommandations, la HAS estime que 1000 enfants sont concernés chaque année. Ce chiffre repose sur le croisement de deux variables du PMSI de 2013, soit les codes de séjour « âge inférieur à 1 an » et « hématome sous-dural ». « Ce chiffre ne prend pas en compte les cas insuffisamment graves initialement pour être hospitalisés ni les décès attribués parfois trop rapidement à la mort subite du nourrisson », souligne cependant la HAS. Il ne tient pas non plus compte des diagnostics manqués aux urgences pédiatriques. « Les enfants ressortent parfois avec un simple diagnostic de gastro-entérite, précise Jean-Yves Frappier, pédiatre et responsable des sections de médecine de l’adolescence et de pédiatrie sociale du CHU Sainte-Justine de Montréal, spécialiste du SBS. Et tous ne sont pas adressés aux urgences. »
Une étude plus récente, publiée dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire n° 26-27 d’octobre 2019, croise d’autres codes de séjours, comme l’hémorragie rétinienne, spécifique du traumatisme crânien infligé par secouement. Étudiant les cas probables et les cas possibles sur la période 2015-2017, elle retrouve un taux d’incidence allant de 22,1 pour 100 000 naissances vivantes à 52,4 pour 100 000 naissances vivantes. C’est pourquoi la campagne d’information lancée par le secrétaire d’État en charge de l’Enfance et des Familles, Adrien Taquet, le 17 janvier dernier, souligne que l’on compte plusieurs centaines de victimes chaque année.
« Nous n’avons pas d’étude en population, souligne Thameur Rakza, chef de la pédiatrie à la maternité de l’hôpital Jeanne-de-Flandre. Si l’on considère que, comme des études canadiennes l’ont montré, entre 5 à 6 % des parents reconnaissent secouer leur bébé au moins une fois par an, ce serait plus de 40 000 enfants concernés en France ! Qu’en est-il du devenir des enfants secoués passés inaperçus, du fait de microlésions, mais qui présenteront des séquelles dont les conséquences se feront sentir au moment de l’entrée à l’école ? »
SÉQUELLES D’UNE MALTRAITANCE
Si près d’1 victime sur 10 décède, comme le rappelle la campagne d’information gouvernementale lancée le 17 janvier, 75 % des survivants présentent des séquelles invalidantes dues à des lésions cérébrales. Certains troubles sont identifiés assez rapidement, comme l’hémiplégie uni ou bilatérale, la cécité, la surdité, la déficience mentale ou l’épilepsie résistante au traitement. Mais d’autres séquelles cognitives et comportementales apparaissent parfois à distance, comme des troubles cognitifs et des difficultés d’apprentissage, des troubles du comportement, de l’alimentation ou du sommeil. Ces handicaps longtemps invisibles s’aggravent avec le temps, faute de soins et d’accompagnement adapté.
Il est désormais acquis que le SBS est une maltraitance et qu’il ne peut être confondu avec un traumatisme accidentel, lorsque le diagnostic différentiel est établi correctement et rapidement. « Le secouement est violent et, pour un adulte, cela équivaudrait à être secoué par un ours de 700 kilos », souligne Mathieu Vinchon, neurochirurgien pédiatrique au CHRU de Lille. Les études montrent aussi que le secouement n’est pas un acte isolé, mais qu’il est répété dans le temps. En moyenne, un bébé est secoué une dizaine de fois.
INFOX EN SÉRIE
Pourtant, en 2019, l’association Adikia, qui défend des familles s’estimant « accusées à tort » de maltraitance, a saisi le Conseil d’État pour faire annuler les recommandations sur le repérage des enfants victimes du syndrome du bébé secoué de la HAS. L’avocat d’Adikia a estimé que les recommandations incitent à poser automatiquement un diagnostic de syndrome du bébé secoué à partir de symptômes pouvant être attribués àdes chutes de faible hauteur ou à des maladies
génétiques. Le 7 juillet 2021, le Conseil d’État a rejeté la demande d’annulation de la recommandation, estimant que la publication de la HAS « ne peut être regardée, au regard des connaissances médicales avérées à la date de la présente décision, comme étant entachée d’erreur manifeste d’appréciation » et a réfuté l’idée que « la recommandation de bonne pratique méconnaîtrait la présomption d’innocence ». La décision du Conseil d’État précise que « contrairement à ce qui est soutenu, la recommandation n’indique pas (…) qu’une chute de faible hauteur ne peut occasionner des symptômes similaires à ceux du syndrome du bébé secoué, mais relève que les lésions associées à une telle chute ne peuvent présenter les caractéristiques et la localisation des lésions associées à un secouement ».
Le recours d’Adikia n’est pas isolé et les infox sont nombreuses au sujet du SBS. Pour Mathieu Vinchon, qui milite contre ces infox avec l’association Les Maux – Les Mots pour le dire, de fausses informations sont notamment véhiculées à travers « des stratégies de défense judiciaire venant en particulier des cabinets d’avocats américains spécialisés ». Dans son article publié dans Childs Nervous System début 2022, il souligne que « bien que le SBS et son diagnostic soient bien établis depuis plusieurs décennies, ils sont davantage remis en cause devant les tribunaux et de façon plus agressive ». Le neurochirurgien a recensé une douzaine de fausses informations reprises ça et là, et s’attache à les démonter une à une dans ses publications et dans une vidéo sur YouTube mise en ligne le 23 décembre 2021. Par exemple, il souligne qu’on ne peut confondre des lésions liées à la naissance avec celles du SBS. « Des lésions traumatiques surviennent dans 11 % des naissances, note Mathieu Vinchon, mais elles ne sont pas situées au même endroit et disparaissent environ en quatre semaines, avant l’âge du bébé secoué. » En comparant différents traumatismes d’enfants, il a démontré en 2010 que le triptyque hématome sous-dural – hémorragie rétinienne – absence de bosse sérosanguine, signe d’un impact, est prédictif à 100 % d’un syndrome du bébé secoué. Lors d’un traumatisme accidentel, les lésions intracrâniennes sont différentes, le corps porte des signes d’impact et l’hémorragie rétinienne est peu importante.
ALERTER ET PROTÉGER
Le neurochirurgien insiste donc pour que des professionnels bien formés aux critères spécifiques du SBS puissent réaliser les diagnostics et pour que l’approche médicale soit distinguée de l’approche juridique. « En cas de relaxe d’un accusé par la justice, s’en suit une suspicion d’erreur médicale, relate Mathieu Vinchon. Or une relaxe ne signifie ni qu’il y a absence de culpabilité ni que le diagnostic médical est faux. Certains parents peuvent, de bonne foi, être convaincus ne pas être à l’origine du SBS de leur enfant, tout en se trompant. » La protection de l’enfant relève ainsi d’un acte médical et d’une obligation légale pour les professionnels de santé. Si devant les tribunaux, l’expertise se doit d’être pointue, nul besoin d’être certain de la maltraitance ni d’en apporter la preuve pour faire un signalement. Des dérogations à la violation du secret professionnel permettent de relater les maltraitances constatées aux autorités compétentes, comme le soulignent les recommandations de la HAS.
Pour sa part, la campagne d’information du Gouvernement, qui comprend une vidéo choc, a été lancée symboliquement par Adrien Taquet au CHRU de Lille, appuyant ainsi les travaux du docteur Vinchon et de l’association Les Maux – Les Mots pour le dire. Adoptant le slogan « Secouer un bébé est une maltraitance qui peut être mortelle », la campagne vise à ancrer dans les esprits que le SBS est une violence volontaire et répétée.
Pour en savoir plus :
• HAS. Le Syndrome du bébé secoué. RPC, juillet 2017
• Louis-Marie Paget et coll. Les Enfants victimes de traumatismes crâniens infligés par secouement hospitalisés : analyse exploratoire des données du PMSI. BEH n° 26-27 – 15 octobre 2019
• Mathieu Vinchon et coll. The legal challenges to the diagnosis of shaken baby syndrome or how to counter 12 common fake news. Childs Nerv Syst . 2022 Jan;38(1):133-145. doi: 10.1007/s00381-021-05357-8. Epub 2021 Sep 25.
• Mathieu Vinchon. Le Guide du bébé secoué. Edité par l’association Les Maux – Les Mots pour le dire. Disponible en ligne
• https://neurochirurgiepediatrique.com
■ Par Nour Richard-Guerroudj