
Depuis la dĂ©nonciation des violences gynĂ©cologiques et obstĂ©tricales en 2017, le CollĂšge national des gynĂ©cologues et obstĂ©triciens français nâa brillĂ© ni dans sa communication ni dans ses actions. Attitude de dĂ©fense et de dĂ©ni, refus dâĂȘtre auditionnĂ© par le Haut Conseil Ă lâĂ©galitĂ© entre les femmes et les hommes sur le sujet, initiation dâun label de bientraitance mal ficelĂ© qui sĂ©duit peu de maternitĂ©s, instrumentalisation dâun groupe de travail sur le sujet que le Collectif interassociatif autour de la naissance (Ciane) a fini par quitter et qui a donc disparu⊠De façon Ă©tonnante, aux journĂ©es Paris SantĂ© Femmes, qui se sont tenues Ă Lille fin janvier, aucun reprĂ©sentant du CNGOF nâa Ă©voquĂ© ces Ă©checs. Seule Juju la gygy, une obstĂ©tricienne investie sur les rĂ©seaux sociaux qui souhaite conserver son patronyme anonyme, a osĂ© lancer : « Nous avons Ă©tĂ© mauvais et nous avons creusĂ© le fossĂ©. »
CHANGEMENT DE CAP
Pour la nouvelle direction, ces journĂ©es scientifiques entendaient dĂ©montrer que le CNGOF agit. « Il est impossible de ne pas entendre les femmes, mais aussi de laisser toute une profession ĂȘtre clouĂ©e au pilori », affirme JoĂ«lle BelaĂŻsch-Allart, prĂ©sidente du CNGOF, qui souhaite concilier les deux approches.
Au total, pas moins de cinq longues sessions ont portĂ© sur la bientraitance, le consentement, les violences subies en consultation et les pistes pour amĂ©liorer la confiance avec les patientes. PrĂšs dâun an aprĂšs que les affaires DaraĂŻ et Zacharopoulou aient Ă©clatĂ©, lâannonce des recommandations sur lâexamen pelvien avait clairement pour but de fixer le cadre de cette pratique (lire p. 25). Avec la publication dâune nouvelle Charte des soins en salle de naissance, lâensemble donnait aussi lâimpression dâun plan de communication destinĂ© Ă redorer une image ternie. Pour autant, de nombreux intervenants â obstĂ©triciens, sages-femmes, juristes, -Ă©thiciens â sont intervenus sans langue de bois. Bien que plusieurs obstĂ©triciens semblaient encore crispĂ©s et quâil manquait une diversitĂ© de reprĂ©sentants dâusagers au congrĂšs, lâattitude globale des gynĂ©cologues-obstĂ©triciens Ă©volue.
Une premiĂšre session a Ă©tĂ© consacrĂ©e Ă un Ă©tat des lieux de la maltraitance en gynĂ©cologie-obstĂ©trique dans le monde. Madeleine Garba Rahamatou, prĂ©sidente de la SociĂ©tĂ© nigĂ©rienne de gynĂ©cologie-obstĂ©trique, a fait un tour dâhorizon des maltraitances en Afrique subsaharienne. De nombreuses Ă©tudes rĂ©centes menĂ©es attestent de violences Ă lâĂ©gard des femmes en salle dâaccouchement dans de -nombreux pays africains. Le sujet nâest plus cantonnĂ© aux cercles de chercheurs, anthropologues ou soignants. Les tĂ©moignages de femmes sont dĂ©sormais mĂ©diatisĂ©s et relayĂ©s par les rĂ©seaux sociaux. Les problĂ©matiques de lâAfrique subsaharienne sont spĂ©cifiques : manque de couverture maladie universelle, manque de maternitĂ©s de proximitĂ©, maternitĂ©s de rĂ©fĂ©rence engorgĂ©es, locaux inadaptĂ©s, discriminations ethniques ou liĂ©es Ă la sĂ©ropositivitĂ© des patientes ou Ă leur statut familial. Mais alors que le continent africain a longtemps Ă©tĂ© pointĂ© du doigt en matiĂšre de maltraitance en obstĂ©trique, tous les pays sont concernĂ©s. Dario Garcia, prĂ©sident de lâAssociation des gynĂ©cologues-obstĂ©triciens du QuĂ©bec, est revenu sur les polĂ©miques qui ont secouĂ© son pays. « Il y a longtemps eu un dĂ©ni au Canada et au QuĂ©bec, souligne-t-il. Mais depuis un an, le CollĂšge des mĂ©decins du QuĂ©bec planche sur des recommandations sur le consentement et les soins respectueux lors de lâaccouchement. Et le Gouvernement a financĂ© Ă hauteur de 500â000 dollars une vaste Ă©tude pour identifier les besoins pluriels des femmes recevant des soins obstĂ©tricaux et gynĂ©cologiques et dĂ©gager les pratiques pouvant favoriser lâhumanisation des soins. » BaptisĂ©e “Respect”, cette recherche, dont les rĂ©sultats sont attendus courant 2023, doit estimer la prĂ©valence et les caractĂ©ristiques des soins irrespectueux, tout en Ă©tudiant les contextes dans lesquels se sont produites ces maltraitances.
La peur des accusations de viol est revenue rĂ©guliĂšrement au cours des dĂ©bats Ă Paris SantĂ© Femmes. « Si on Ă©limine les situations criminelles Ă©videntes, il reste difficile dâentendre parler de viol en rĂ©union ou en sĂ©rie sâagissant dâexamens mĂ©dicaux », affirme ainsi Cyril Huissoud, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du CNGOF. Les juristes invitĂ©s ont pourtant Ă©tĂ© rassurants : la justice cherche Ă vĂ©rifier les Ă©lĂ©ments matĂ©riels et intentionnels du viol (lire p. 38). Quant aux craintes dâaccusations calomnieuses, elles doivent ĂȘtre balayĂ©es selon Juju la gygy. « Quand on voit la difficultĂ© pour les femmes de porter plainte pour viol, on ne peut penser que la majoritĂ© des patientes ont juste lâintention de nuire », rappelle-t-elle.
LA FIN DE L’OMERTA ?
Pour sa part, IsraĂ«l Nisand, ancien prĂ©sident du CNGOF, appelle à « faire le mĂ©nage » parmi les mĂ©decins pour en finir avec les viols et agressions sexuelles en consultation. Alors quâen 2018, le professeur Nisand osait Ă©mettre que les plaintes de patientes pouvaient provenir de « patientes Ă©conduites » par leur mĂ©decin, c’est un revirement de discours. « Suite Ă la derniĂšre condamnation dâun mĂ©decin dans ma rĂ©gion, on se rend compte aprĂšs coup que la secrĂ©taire, lâassociĂ© et les collĂšgues Ă©taient tous au courant », tĂ©moigne-t-il. Citant notamment une Ă©tude canadienne de 1994, oĂč 3â % des obstĂ©triciens rĂ©pondants et 1â % des obstĂ©triciennes affirmaient avoir Ă©tĂ© impliquĂ©s sexuellement avec une patiente, et oĂč 10â % des obstĂ©triciens disaient connaĂźtre un pair sexuellement impliquĂ© avec une patiente, IsraĂ«l Nisand estime que la profession a nĂ©gligĂ© cette question. Et de prĂȘcher pour un « groupe rĂ©gional de pairs » pour recueillir les signalements et mettre fin Ă la loi du silence. Proposera-t-il cette piste, Ă affiner, aux Ătats gĂ©nĂ©raux des maltraitances qui viennent de sâouvrir sous lâĂ©gide du ministĂšre des SolidaritĂ©s, de l’Autonomie et des Personnes handicapĂ©esâ ?
Les professionnels de la pĂ©rinatalitĂ© et de la gynĂ©cologie pourront en tout cas s’appuyer, d’ici quelques semaines, sur un avis du ComitĂ© consultatif national d’Ă©thique (CCNE), commandĂ© par la PremiĂšre ministre Ălisabeth Borne en rĂ©action aux plaintes pour « viol gynĂ©cologique ». Il portera sur le consentement dans les actes mĂ©dicaux liĂ©s aux sphĂšres urogĂ©nitale et anorectale. Toutes les professions concernĂ©es ont Ă©tĂ© auditionnĂ©es, prĂ©cise Karine Lefeuvre, vice-prĂ©sidente du CCNE.
Concernant les plaintes pour maltraitance en gĂ©nĂ©ral, Patrick Fournet, gynĂ©cologue–obstĂ©tricien et expert -judiciaire Ă Rouen, rappelle que les patients demandent globalement plus d’explications que de rĂ©parations dans les procĂ©dures. Selon lui, bien des dossiers pourraient ĂȘtre dĂ©samorcĂ©s avant dâarriver devant la justice en Ă©coutant la souffrance des patientes. « Expliquer les faits, exprimer des regrets, voire prĂ©senter des excuses est essentiel, estime lâexpert. De mĂȘme, faire part des actions dâamĂ©lioration entreprises dans lâĂ©tablissement est nĂ©cessaire, car les patientes demandent avant tout une reconnaissance de ce quâelles ont vĂ©cu et que cela ne se rĂ©pĂšte pas pour dâautres. »
Pour lâinstant, le CNGOF met surtout en avant deux chartes quâil a produites. La premiĂšre, rendue publique il y a un an, concerne la consultation en gynĂ©cologie. « Les successions de plaintes nous ont amenĂ©s Ă proposer une rĂ©ponse pour rassurer les femmes inquiĂštes en consultation », tĂ©moigne Robin Geoffroy, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du CNGOF. Cette charte a Ă©tĂ© Ă©valuĂ©e auprĂšs de 1006 femmes dans le cadre du travail de thĂšse -dâAppoline Yves. « La majoritĂ© des femmes a trouvĂ© un intĂ©rĂȘt Ă cette charte, mĂȘme si nous avons notĂ© une demande dâun texte moins genrĂ© », poursuit lâobstĂ©tricien. Cette annĂ©e, le CNGOF publie une Charte des soins en salle de naissance, inspirĂ©e du rĂ©seau pĂ©rinatal Aurore. Elle invite par exemple les professionnels Ă se prĂ©senter lors dâun premier contact avec une patiente, Ă permettre aux femmes de se dĂ©vĂȘtir Ă lâabri des regards, Ă recueillir lâaccord de la patiente avant tout examen ou traitement chaque fois que possible, Ă prendre en considĂ©ration le confort et la douleur des femmes, Ă ne pas pratiquer dâexpression abdominale et Ă permettre aux femmes de revenir sur leur vĂ©cu de lâaccouchement.
TOUT Ă CONSTRUIRE
Mais les chartes suffisent-elles ? Un travail de thĂšse sur le vĂ©cu des femmes en consultation de gynĂ©cologie de Pauline Lerouge, soutenu en septembre 2022, a Ă©tĂ© rĂ©sumĂ© lors des journĂ©es lilloises. PrĂšs de 1270 rĂ©ponses ont Ă©tĂ© reçues en 48 heures, dans lesquelles 15â % des femmes affirment ressentir le praticien comme autoritaire, 25â % estiment quâil nâĂ©coute que rarement, voire jamais. Autres rĂ©sultats inquiĂ©tants : 26â % des femmes se sentent souvent jugĂ©es pendant la consultation et 20â % rapportent des tentatives de dissuasion face Ă leur demande dâIVG.
« Aujourdâhui, nous en sommes au mĂȘme point quâen 2017, estime Juju la gygy. Mais oĂč en -serons-nous demain ? » Face Ă ces interrogations, une meilleure formation des soignants a Ă©tĂ© Ă©voquĂ©e tout au long du congrĂšs. Et alors que le CNGOF a publiĂ© ses chartes sans concertation vĂ©ritable avec les usagers ou le CollĂšge national des sages-femmes de France, Isabelle Derrendinger, prĂ©sidente de lâOrdre des sages-femmes, a lancĂ© un appel Ă un travail commun. « Les femmes ont Ă©tĂ© patientes, souligne-t-elle. Cela fait des annĂ©es quâelles sâexpriment ! Si chacun a eu un cheminement individuel sur ces questions, nous devons lâavoir collectivement. » Un souhait entendu puisquâun groupe de travail pluridisciplinaire sur la maltraitance en gynĂ©cologie–obstĂ©trique vient de dĂ©buter, portĂ© par la SociĂ©tĂ© française de mĂ©decine pĂ©rinatale cette fois. Mieux vaut tard que jamais.
â Â Nour Richard-Guerroudj