Alors qu’elle fête ses 40 ans, comment va l’ANSFL ?
Je suis pleine d’espoir et confiante. Notre nombre d’adhérents ne fait que grossir. Nous en sommes à 1200, ce qui représente environ 15 % de l’ensemble des libérales. C’est important, car cela nous rend légitimes. Avoir un conseil d’administration fort est aussi capital. À l’occasion des 40 ans de l’association, il a été renouvelé, ce qui a permis aussi de combler différents départs successifs au CA ces dernières années. Les nouvelles élues vont amener une bouffée d’oxygène. Le CA a de nombreuses missions à remplir : représenter l’association dans différentes instances, produire La Lettre de l’ANSFL, alimenter le site web et poursuivre le podcast qui en est à sa troisième saison. Ce dernier est un véritable support pour les sages-femmes libérales, qui le conseillent à leurs patientes. Le CA doit aussi construire l’avenir.
Quels sont les projets en cours à l’ANSFL ?
Nous travaillons avec le Conseil de l’Ordre, l’Association nationale des étudiantes sages-femmes (Anesf), l’Association nationale des sages-femmes coordinatrices (ANSFC), les syndicats et le Collège des sages-femmes sur la permanence des soins. Les sages-femmes libérales sont bien sûr pleinement concernées. Quelle prise en charge proposer aux femmes lorsque les cabinets sont fermés, les week-ends par exemple ? Nous savons que c’est un sujet prioritaire pour le ministère de la Santé et que la profession sera consultée. Nous souhaitons donc être prêtes et force de proposition lorsque ce sera le cas. À partir des textes existants, il s’agit d’abord de définir la permanence des soins. Nous réfléchissons aussi au cadre de cette permanence, afin d’éviter des dérives, comme le fait que des sages-femmes reçoivent des femmes pour des consultations pour de la pathologie urgente ou pour des problèmes de pathologies pédiatriques. Il faut aussi qualifier ce qu’est l’urgence en gynécologie. Tout en offrant une permanence des soins, il faut aussi veiller à ne pas morceler les prises en charge et les suivis. La question de la régulation est aussi primordiale. Pour l’instant, nous posons donc les bases, puis nous nous inspirerons de modèles existants, comme la Permanence des soins des sages-femmes de Paris, par exemple.
Le deuxième gros chantier porte sur une proposition de loi sur la santé des femmes que le Conseil de l’Ordre souhaite élaborer et porter auprès du Parlement. Ce dernier a lancé une consultation dans ce sens, souhaitant aussi associer les usagers. Des réunions se tiennent avec l’Anesf, l’ANSFC, l’Association des sages-femmes territoriales (ANSFT), la Conférence nationale des enseignantes en maïeutique (Cnema), le Collège et les syndicats pour pouvoir finaliser un texte d’ici le 5 mai probablement, à l’occasion de la Journée internationale des sages-femmes. Cette PPL a deux objectifs : répondre à la crise que traverse la profession et améliorer durablement la santé sexuelle et reproductive des femmes. C’est une nouvelle expérience enrichissante pour l’ANSFL, car nous n’avons jamais été à l’initiative d’un texte législatif.
Enfin, il reste beaucoup à faire pour créer des liens entre la ville et l’hôpital. Les communautés professionnelles territoriales de santé sont un outil important pour aider au dialogue et favoriser ce lien, mais elles n’existent pas encore partout. Avec l’ANSFC, nous avons élaboré une fiche de liaison ville-hôpital, intitulée « Coordination ville-hôpital : votre parcours périnatal », téléchargeable sur notre site. Elle décrit le parcours des patientes/couples au fur et à mesure qu’évolue la grossesse, et s’adresse tout autant aux femmes et couples en attente d’enfant qu’à ceux projetant une grossesse et souhaitant anticiper leur suivi.
Quel regard portez-vous sur l’évolution des sages-femmes libérales ?
Il est certain que de nombreux combats restent en cours et perdurent depuis de nombreuses années, comme la reconnaissance de l’accompagnement des accouchements à domicile par exemple. Le travail pluridisciplinaire initié par la Fédération des réseaux de santé en périnatalité en matière de gestion des risques autour des accouchements à domicile (AAD) a été dur et éprouvant. Il va aboutir à la production de documents d’information à destination des soignants et des parents. Le texte à usage des soignants est unanimement approuvé. C’est une petite victoire que l’AAD doive être mentionné lors des consultations et de l’information donnée dans les hôpitaux. Le document pour les parents fait encore l’objet de débats, car il souligne beaucoup les risques de l’AAD. Mais il était difficile de s’attendre à autre chose, chaque organisation professionnelle donnant son avis.
Nous luttons encore aussi pour être reconnues et que la population connaisse le rôle des sages-femmes libérales. Cependant, ces dernières années ont été marquées par des évolutions très positives. La sixième année d’études, désormais actée, va donner davantage de légitimité à la profession. L’implication des libérales dans les communautés professionnelles territoriales de santé et dans les maisons de santé pluridisciplinaires nous donne aussi une visibilité. Même si de nombreux professionnels de santé ignorent encore ce qu’est une maison de naissance, nous avons davantage d’espace et d’interlocuteurs pour faire connaître le concept. Nous sommes encore peu nombreuses parmi l’ensemble des professionnels de santé libéraux, mais nous prenons notre place et gagnons en légitimité dans le suivi gynécologique par exemple.
L’ANSFL, entre passé et avenir
Le 11 mars, l’Association nationale des sages-femmes libérales (ANSFL) organisait un colloque pour ses 40 ans, sous le titre « Sages-femmes libérales d’hier à demain, prenons notre place ! ». Outre des tables rondes riches débattant de l’actualité et de l’avenir de la profession, les présidentes successives de l’ANSFL ont apporté leur témoignage. Françoise Olive, en libéral de 1939 à 1983 et qui a fondé l’ANSFL, a raconté son combat pour la reconnaissance de l’accouchement à domicile ou l’accès aux plateaux techniques. « J’ai toujours argumenté en citant le Code de santé publique, pour éviter que nous paraissions comme des marginales ou des idéologues », se souvient-elle. Jacqueline Lavillonnière a raconté qu’alors qu’elle prenait la présidence, l’association connaissait un tournant, avec davantage de libérales ne pratiquant pas l’accompagnement global ou l’accouchement à domicile, deux sujets inscrits dans l’ADN de l’ANSFL. L’association allait-elle perdre son âme ? « J’ai toujours été plus dans l’ouverture que dans l’enfermement », a-t-elle résumé. Après elle, Laurence Platel a témoigné avoir été la première présidente à ne pas pratiquer l’accompagnement global. « L’ANSFL se bat toujours pour le défendre, mais doit aussi défendre toutes les sages-femmes en promouvant leur autonomie », a-t-elle souligné. Madeleine Moyroud a ensuite relaté son combat de présidente de l’ANSFL pour mieux faire connaître la profession et nouer des partenariats. Isabelle Fournier, pour sa part, a eu une présidence difficile, en pleine crise du Covid-19. Désormais, c’est Éliette Bruneau qui dirige l’association (lire ci-contre).
À l’occasion du colloque, Marie-France Morel, historienne spécialiste d’iconographie médiévale et membre de la Société d’histoire de la naissance, a retracé l’histoire de la profession du Moyen Âge à nos jours en France. Elle a notamment démoli le mythe tenace qui voudrait que les sages-femmes aient été massivement victimes de la chasse aux sorcières au Moyen Âge. « Ce cliché est né dans les milieux féministes américains et il est encore entretenu par des féministes contemporaines », explique l’historienne. En effet, en 1973, Barbara Ehreinrich et Deirdre English, respectivement écrivaine et sociologue, publient Witches, Midwives and Nurses, appuyant leur démonstration sur leur lecture du Malleus Maleficarum, publié en 1496 à Strasbourg par un prêtre dominicain et chasseur de sorcières obsessionnel. « Si cet ouvrage a eu un certain succès en Europe, il a rapidement été interdit par l’Église et mis à l’index », souligne cependant l’historienne. Et en 1990, l’historien David Harley, étudiant les archives des procès de sages-femmes, a démontré que les sages-femmes n’étaient pas surreprésentées devant les tribunaux ni poursuivies pour la pratique de leur art.
Le colloque de l’ANSFL a aussi été l’occasion d’évoquer l’actualité et l’avenir. Interrogés, les représentants syndicaux se sont expliqués sur leurs positions antagonistes au sujet de l’avenant 6 à la convention, que l’ONSSF a dénoncé juridiquement. Murielle Cheradame, membre de l’Union nationale des syndicats de sages-femmes (UNSSF), a également soulevé plusieurs interrogations.
La sixième année d’études va-t-elle scinder la profession ? L’arrivée des infirmières en pratique avancée va-t-elle bouleverser la place des sages-femmes ? Les soins en distanciel vont-ils modifier les suivis ? Pour sa part, Willy Belhassen, représentant de l’Organisation nationale des syndicats de sages-femmes (ONSSF), a exhorté à davantage de mobilisation de la profession : « Sur 24 000 sages-femmes, 4000 sont syndiquées, à 75 % à l’ONSSF, mais si on ne se prend pas en charge nous-mêmes, d’autres le feront ! »
■ Nour Richard-Guerroudj