DISCRIMINATIONS RACIALES EN SANTÉ, DES RECHERCHES POUR AGIR

La pandémie de Covid-19 a souligné l’intérêt de la recherche sur les discriminations raciales en santé. En témoigne la publication d’une série d’articles dans The Lancet fin 2022. Si la multiplication des études favorise une prise de conscience, les actions de lutte contre les discriminations systémiques sont encore rares. En France, quelques chercheurs sont en pointe dans la recherche sur les soins différenciés et les discriminations ethno-raciales en périnatalité.

A side profile of a tranquil pregnant woman holding her bare belly and looking down © laflor - istockphoto.com

En septembre 2020, en pleine crise du Covid-19, plusieurs spécialistes de la périnatalité français signent un éditorial dans Gynécologie Obstétrique Fertilité et Sénologie, intitulé « Racisme systémique et inégalités de santé, une urgence sanitaire et sociétale révélée par la pandémie Covid-19 ». Parmi les signataires : Priscrille Sauvegrain, sage-femme, enseignante à l’université de Paris et docteure en sociologie. Au sein de l’équipe de recherche en épidémiologie obstétricale périnatale et pédiatrique (Épopé) de -l’Inserm, c’est elle qui a introduit l’étude des discriminations sur des critères ethno-raciaux dans les soins, à l’échelle de la relation de soins comme à l’échelle institutionnelle. Elle est notamment responsable de la -coordination scientifique de l’axe sociologique du projet Biais implicites et soins différenciés en périnatalité (Bip), co-écrit avec l’obstétricien Élie Azria (lire p. 24). 

DÉPASSER LES FREINS À LA RECHERCHE

Dans cet éditorial, les auteurs appellent à sortir de la frilosité à accepter le lien entre discriminations ethno-raciales et inégalités sociales de santé. Car « les différences de traitement fondées sur l’origine sont un phénomène de grande ampleur », selon un rapport de la défenseure des droits publié en 2020.

Les publications d’Épopé sur la cohorte PreCare et les différents volets de l’étude Bip soulignent bien l’existence de préjugés implicites et de soins différenciés (lire p. 24). Les chercheurs souhaitent aussi pouvoir disposer de données. Dénonçant le refus de statistiques ethniques en France, ils estiment qu’« au nom d’un universalisme qui consacre le principe d’une République une et indivisible, l’idée qu’existeraient des communautés est niée et la possibilité de travailler à partir de catégories racialisées rompant cette unité est grevée »

Il n’est pas surprenant que ce soient des spécialistes de la périnatalité qui aient sonné l’alarme, tant les inégalités raciales sont criantes et funestes dans ce champ, en France comme dans le reste du monde. La dernière Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles, publiée en janvier 2021, souligne que les femmes nées en Afrique subsaharienne ont trois fois plus de risque de décéder que celles nées en France et que les soins qu’elles reçoivent sont davantage sous-optimaux (lire aussi p. 16 et Profession Sage-Femme n° 241 – décembre-janvier 2018).

L’intérêt porté au racisme structurel en santé a explosé ces dernières années aux États-Unis. Le mouvement Black Mamas Matter est né en 2013, en même temps que le mouvement Black Lives Matters, qui occupe le devant de la scène depuis l’assassinat de George Floyd par un policier à l’été 2020. Black Mamas Matter a contribué à sensibiliser la population, les instances et les décideurs à la surmortalité maternelle des femmes noires américaines. Depuis, les études, recherches-actions et mesures politiques se multiplient pour lutter contre ce phénomène. Et l’accent est mis sur l’équité en santé, ce qui implique d’en faire plus en direction des plus discriminés. 

Au Royaume-Uni également, la prise de conscience est en cours. En 2021, le rapport de l’équipe MBRRACE de l’université d’Oxford soulignait que la mortalité maternelle des femmes noires est quatre fois plus élevée que celle des femmes blanches, et deux fois supérieure concernant les femmes catégorisées comme asiatiques. En mai 2022, l’association d’usagers Birthrights publiait à son tour un rapport sur le sujet. Donnant la parole aux femmes, il démontre que les non-blanches se sentent souvent en insécurité, ignorées, sans possibilité de formuler des choix et déshumanisées en maternité. Le Collège royal des sages-femmes a pris la mesure du problème et mis sur pied le -programme Race Matters tandis que le National Health Service investit sept millions de livres pour lutter contre les inégalités en maternité.

RECONNAÎTRE LE RACISME SYSTÉMIQUE

Cependant, au niveau mondial, « l’importance du racisme structurel comme déterminant de la santé reste sous-estimée », note Delan Davakumar, de l’Institut for Global Health de l’University College de Londres, au Royaume-Uni, dans le premier article de la série du Lancet sur le racisme, la xénophobie et les discriminations en santé, publiée en décembre 2022. Cette série, qui donne un cadre conceptuel d’analyse et invite à agir, est clairement le fruit de la pandémie de Covid-19. En effet, les minorités discriminées ont davantage été victimes du virus que les autres groupes, ce qui a renouvelé l’intérêt pour la question du racisme structurel en santé. Dans les quatre articles généraux, le racisme recouvre les discriminations liées à différentes catégories : caste, ethnie, indigénéité, statut migratoire, race, religion ou couleur de peau.

Un premier article de Delan Davakumar détaille les différentes strates au travers desquelles le racisme s’exprime, car les comportements et convictions individuelles racistes ne « représentent que la partie émergée de l’iceberg ». Le racisme peut viser des communautés ou être lié à une ségrégation géographique qui place souvent « les personnes minorisées dans des environnements mauvais pour la santé » ou des environnements moins dotés en termes de ressources ou d’accès à l’emploi, à un logement ou à une bonne éducation. 

L’article rappelle aussi combien les idéologies discriminatoires ont modelé la science, la médecine et la recherche à travers l’histoire. Par exemple, James Marion Sims, considéré comme le père de la gynécologie aux États-Unis, a développé ses techniques de réparation des fistules vésico-vaginales à travers ses expériences sur des esclaves, et ce sans anesthésie, même quand elle était disponible. La domination coloniale ou esclavagiste, comme tout système de domination, s’exerçait avant tout sur les corps, en particulier celui des femmes, dans le but de déstructurer les familles et les communautés. Stérilisations forcées et violences sexuelles sont documentées dans différents contextes. En Australie ou au Canada, au XIXe et au XXe siècle, des enfants ont été retirés de leur communauté aborigène ou amérindienne pour les « civiliser ». 

Et les effets du colonialisme continuent de se faire sentir. La défiance vaccinale durant la crise du Covid-19 aux États-Unis et dans les départements français d’outre-mer n’est-elle pas en partie liée au passif esclavagiste ou néo-colonial de ces deux pays ? Delan Davakumar illustre en tout cas le néo–colonialisme en citant le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale, qui avertissait en avril 2022 que le « schéma inégal de distribution des vaccins contre le Covid-19 et des technologies afférentes entre pays reflétait un système global privilégiant les ex-pouvoirs coloniaux au détriment des pays auparavant colonisés ». Dans un deuxième article, dirigé par Sujitha Selvarajah, de l’Institut for Global Health de l’University College de Londres, les auteurs soulignent aussi que « la rhétorique nuisible concernant la surpopulation de la terre en lien avec le dérèglement climatique et la demande d’une planification familiale mieux contrôlée dans les pays à faibles ressources relève du sexisme, du racisme et de l’eugénisme »

DES EFFETS SUR LA SANTÉ

Rejetant le fait que les inégalités de santé soient simplement liées à des différences biologiques ou à un statut économique défavorable, les auteurs soulignent combien subir des discriminations altère la santé physique et mentale aux différents âges de la vie. Cela peut engendrer un stress chronique à l’origine de pathologies tandis que les réponses adaptatives à ce stress sont parfois inappropriées : abus de substance, mise en danger de soi, etc. L’épigénétique a aussi montré comment l’exposition aux discriminations d’une génération peut avoir un impact sur la santé des générations suivantes. 

« Les personnes minorisées portent le poids des discriminations avant même leur naissance », soulignent Sujitha Selvarajah et ses -collègues. D’ailleurs, la série du Lancet inclut une -méta-analyse concernant les effets de la race et de l’ethnicité sur les indicateurs périnataux. Jameela Sheikh, membre de l’International Prediction of Pregnancy Complications Network, et des collègues issus de plusieurs pays ont sélectionné 51 études de pays à haut revenu et à revenu moyen-supérieur, incluant ainsi plus de deux millions de grossesses. Les auteurs démontrent que, quelles que soient les régions du globe, la mortalité néonatale est deux fois plus élevée chez les femmes noires que chez les femmes blanches, de même que la mortinatalité. Le risque de naissance prématurée et de petit poids pour l’âge gestationnel est aussi plus élevé chez les femmes noires.

Le parti pris du Lancet est clair : il promeut une approche intersectionnelle – reliant les discriminations de genre, de classe et de race – et -décoloniale de la santé. Dans l’article d’Ibrahim Abubakar, également membre de l’Institut for Global Health de l’University College de Londres, plusieurs leviers sont mentionnés pour lutter contre les discriminations raciales en santé. Selon l’auteur, cela passe par des mesures légales, politiques et de soutien économique, par la mobilisation des textes internationaux sur les droits humains, la discrimination positive en matière d’emploi et d’éducation et la promotion de la diversité et de l’inclusion. Au niveau plus local, certains hôpitaux américains ont recours à des tableaux de suivi des disparités, forment leur personnel aux biais implicites ou incluent des personnes discriminées au sein de leur commission qualité, par exemple. Delan Davakumar avertit : « En ignorant la réalité du racisme systémique, les professionnels de santé se rendent complices de la violence structurelle qui conduit à une mauvaise santé. » 

Nour Richard-Guerroudj

Pour en savoir plus :

www.thelancet.com/series/racism-xenophobia–discrimination-health